Il y a 50 ans, un coup d’État marquait la fin du socialisme au Chili
Ce 11 septembre marque les 50 ans du coup d’État au Chili. Des commémorations ont lieu à Bruxelles.
Il y a 50 ans jour pour jour, le 11 septembre 1973, un coup d’État mené par le général Augusto Pinochet sonnait la fin abrupte du régime socialiste de Salvador Allende au Chili. Arrivé à la présidence en 1970, Allende avait entrepris d’instaurer le socialisme sur un continent marqué par des régimes militaires. Figure clivante tantôt adulée, tantôt détestée, il laisse une marque indélébile sur le pays et sur l’histoire des mouvements politiques de gauche.
Salvador Allende se destine très tôt à la politique, même s’il y parvient par des chemins détournés. Fils d’un fonctionnaire et d’une fille d’immigrant belge, Laura Gossens, il intègre l’université du Chili où il étudie la médecine, après avoir hésité avec le droit. Une fois diplômé, il exerce la médecine mais se lance très vite en politique. En 1933, il participe à la fondation du parti socialiste chilien au sein duquel il occupera d’abord les postes de chef régional et de secrétaire de section.
Désormais pleinement engagé en politique, il gravit les échelons, devenant parlementaire puis ministre de la Santé dès octobre 1939. En 1943, il obtient le poste de secrétaire général du parti socialiste qu’il occupe à partir de juin 1944. Il entre au Sénat l’année suivante et y siègera pendant 25 ans.
Son ambition présidentielle se manifeste dès les élections de 1952. Il échoue pourtant à se faire élire, tout comme lors des élections de 1958 et 1964.
En 1970, dans un contexte politique marqué par une gauche très divisée, Salvador Allende plaide pour une coalition des forces de gauche. Il réussit son pari et devient la tête de liste de l’Unité populaire (UP). Le 4 septembre, contre toute attente, il arrive en première position à l’élection présidentielle, avec 36,6% des suffrages, et devance le conservateur Jorge Alessandri Rodríguez (35,3%) et le démocrate chrétien Radomiro Tomić (28,1%). Des résultats qui ne manquent pas de surprendre l’administration Nixon. Ce dernier, estimant avoir été mal informé par ses services de renseignements, fulmine. Les États-Unis voient en effet d’un très mauvais œil l’émergence d’un État socialiste dans une région qu’ils considèrent comme leur zone d’influence.
Une fois élu, Allende applique son programme de “chemin vers le socialisme” et nationalise de nombreuses entreprises, la majorité des banques ainsi que les mines de cuivre, sources de rentrées économiques substantielles pour le Chili, alors 3e producteur mondial de ce minerai utilisé dans l’industrie de l’armement. Son programme concrétise également une réforme agraire axée autour de la redistribution de près de 10 millions d’hectares à plus de 100.000 familles.
Le gouvernement de l’Unité populaire procède en outre à une augmentation des salaires, à un contrôle des prix et à un moratoire sur les remboursements de la dette extérieure.
Sur le plan géopolitique, le Chili rejoint le Mouvement des non-alignés, créé à l’initiative de la Yougoslavie, de l’Inde, de l’Égypte, du Ghana et de l’Indonésie afin de rassembler les États désireux de s’affranchir de l’influence des pays occidentaux et du bloc de l’Est.
Les États-Unis s’inquiètent
Très vite, l’administration Nixon, particulièrement inquiète par ces mesures politiques et l’amitié affichée entre Salvador Allende et le leader cubain Fidel Castro, durcit le ton. Plusieurs mesures de rétorsion sont mises en place dont le gel des avoirs et biens chiliens aux États-Unis, le blocage de l’exportation de pièces de rechange destinées à l’industrie minière ainsi que des pressions pour faire baisser le cours du cuivre. Le FMI et la Banque mondiale refusent quant à eux tout prêt au Chili.
En conséquence, le prix du cuivre chute d’un tiers entre 1970 et 1972 et la valeur des exportations chiliennes diminue tandis que celle des importations augmente. Très vite, le pays se retrouve aux prises d’une spirale inflationniste également engendrée par les hausses salariales, les gels de prix et l’impression d’une grande quantité de monnaie.
L’augmentation du pouvoir d’achat des classes populaires entraîne en outre une forte augmentation de la consommation qui débouche sur des pénuries. Ces dernières poussent le gouvernement à rationner 32 produits de base, dont le pain, dès 1973. En parallèle, l’approvisionnement du pays est entravé par des grèves des camionneurs massives qui paralysent le Chili dès 1972.
Une tentative de putsch, avant le coup d’État
Dans un contexte social et politique de plus en plus tendu, le gouvernement échappe de justesse à une première tentative de putsch en juin 1973.
En août, Allende, sous pression depuis ce coup d’État manqué, nomme de nouveau des militaires à son cabinet, à plusieurs postes dont le Budget et les Travaux publics. Cela ne suffit toutefois pas à apaiser les tensions et, fin août, la Chambre des députés adopte une motion dans laquelle elle appelle l’armée à “rétablir les conditions de pleine application de la Constitution et des lois“. Le lendemain, il nomme le général Augusto Pinochet au poste de commandant en chef des forces armées.
Bien conscient des clivages de plus en plus marqués à son égard, le président envisage d’annoncer début septembre la tenue d’un référendum destiné à décider de son sort. Ses adversaires ne lui en laisseront toutefois pas le temps: le 11 septembre, le palais présidentiel de La Moneda est assiégé par l’armée, sous le commandement du général Pinochet. Malgré l’offre des putschistes qui lui promettent un sauf-conduit pour quitter le Chili, Allende refuse de se rendre, déclarant lors d’une allocution à la radio: “Face à cette situation, je n’ai qu’une seule chose à dire aux travailleurs : je ne démissionnerai pas!” Le palais est ensuite bombardé depuis les airs.
Lorsque les militaires envahissent les lieux en début d’après-midi, Salvador Allende est retrouvé mort. À ses côtés, un AK-47 offert par Fidel Castro: la thèse du suicide est retenue.
Deux jours plus tard, la junte ordonne la dissolution du congrès, de tous les partis politiques et des syndicats, suspend la Constitution et la liberté de la presse. S’ensuivront 17 années d’un régime dictatorial brutal, procédant à des assassinats et des arrestations arbitraires de masse. Au total, le régime de Pinochet, inculpé de “génocide, terrorisme et tortures” à la fin de la dictature mais jamais jugé, aurait causé la mort d’au moins 2.279 personnes.
Belga
■ Reportage de Bryan Mommart, Marie-Noëlle Dinant et Nicolas Scheenaerts