Haute école Francisco Ferrer : les professeurs déboutés, le port de signes convictionnels reste autorisé

La procédure en tierce opposition intentée notamment par des professeurs et anciens professeurs de la Haute école Francisco Ferrer, contre le jugement disant discriminatoire le règlement d’interdiction des signes convictionnels dans cet établissement a été de facto invalidée jeudi par la Cour constitutionnelle.

Dans un arrêt rendu jeudi dernier en réponse à une question préjudicielle, celle-ci a estimé que ni une asbl, ni des personnes individuelles invoquant un intérêt personnel sans prétendre être la victime ou l’auteur de la discrimination ne peuvent agir dans le cadre d’une telle procédure. Retour chronologique sur cette procédure.

Des étudiants obiennent gain de cause

L’affaire remonte à 2017 lorsqu’une plainte a été déposée par des étudiantes de la Haute école Francisco Ferrer à Bruxelles contre le règlement de l’école. Selon elles, l’interdiction faite aux étudiants de porter des signes manifestant une appartenance philosophique ou religieuse, notamment le foulard islamique, était discriminatoire. Soutenues par Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, elles avaient introduit une action en cessation devant le tribunal civil de Bruxelles contre le pouvoir organisateur de l’école, la Ville de Bruxelles.

Le tribunal a décidé, dans un premier temps, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle, à propos d’une disposition d’un décret de 1994 de la Communauté française sur laquelle s’appuyait le règlement de l’école. Dans un arrêt rendu le 4 juin 2020, la Cour a répondu que “l’interdiction [de signes religieux] n’est pas contraire à l’obligation du respect de la neutralité au sein de l’enseignement officiel et ne viole pas la liberté de religion garantie par la Convention européenne des Droits de l’homme“.

Le tribunal a ensuite rendu son jugement, en novembre 2021, établissant que le règlement de l’école est discriminatoire. Par ailleurs, il a relevé que l’interdiction du port de signes convictionnels devait être prévue par un décret et non par un simple règlement d’ordre intérieur de l’école. À la suite de ce jugement, le règlement a donc été modifié.

Des professeurs font tierce opposition

Mais un collectif de 62 professeurs et anciens professeurs de la Haute école Francisco Ferrer et de la Haute école Ilya Prigogine (partenaire de la première), rejoint par le Centre d’Action laïque (CAL) et l’Observatoire des fondamentalismes, ont fait tierce opposition.

Le tribunal civil de Bruxelles avait alors décidé, il y a deux ans, de saisir à nouveau la Cour Constitutionnelle au sujet de la recevabilité de cette procédure en tierce opposition intentée par des professeurs et anciens professeurs.

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Cette procédure permet à une partie tierce de demander au juge de statuer une nouvelle fois sur une affaire déjà jugée, lorsque cette partie prouve que ses intérêts sont engagés dans l’affaire et qu’elle n’avait pas été appelée à se défendre dans le premier débat.

En attendant, le règlement était demeuré en vigueur. Les signes convictionnels étaient restés autorisés au sein de la Haute école.

Les motifs de la Cour

On relèvera qu’au-delà de l’invalidation de facto de la procédure en tierce opposition de professeurs et anciens professeurs, la Cour a estimé conformes aux règles de répartition des compétences, les dispositions du décret anti-discrimination de la Communauté française qui règlent la possibilité pour certaines personnes morales, comme des ASBL, d’agir dans le cadre d’une procédure judiciaire qui vise à faire cesser rapidement une discrimination dont une personne est victime.

Par ailleurs, “il est constitutionnel qu’une personne morale qui invoque un intérêt collectif ne puisse pas agir dans le cadre d’une telle procédure en soutien ou à la place de l’auteur de la discrimination, alors que c’est possible en faveur de la victime“. Au-delà des personnes morales, . les personnes qui invoquent un intérêt personnel sans prétendre être victime ou auteur de la discrimination alléguée ne peuvent pas agir devant le juge des cessations, que ce soit en soutien de la victime ou de l’auteur.

La Cour précise que le jugement rendu sur une action en cessation n’est pas opposable aux personnes qui n’y ont pas été parties. Ces personnes peuvent introduire une action en justice si elles estiment qu’un de leurs droits est méconnu.

Belga – Photo : Belga