Handicap : la question de la stérilisation et des agressions sexuelles revient à l’ordre du jour
La contraception et la stérilisation des personnes en situation de handicap, majoritairement des femmes, restent des pratiques très controversées. La stérilisation est même illégale. Et pourtant, elle se pratique toujours en Belgique, selon les associations qui travaillent auprès des personnes en situation de grande dépendance. Ce sujet sera à l’ordre du jour d’une prochaine conférence interministérielle sur le handicap.
“Il y a 20 ans, quand ma sœur trisomique est rentrée en institution, on nous a demandé de la stériliser.” Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des femmes, ne cache pas la réalité. Cette question a été posée pendant de nombreuses années aux familles de jeunes femmes en situation de handicap physique ou mental.
“Cela s’est fait pendant longtemps, ajoute Cinzia Agoni du GAMP, une association qui dénonce depuis des années le manque de places en institution pour les personnes en situation de grande dépendance. Nous avions beaucoup travaillé sur la question lorsqu’Evelyne Huytebroeck avait en charge la question du handicap. Cette pratique est illégale, mais elle perdure. Cependant, il est très complexe de recueillir des témoignages, car les familles qui acceptent ont honte. Récemment, on m’a parlé du cas d’une jeune fille de 14 ans à qui on a fait mettre un stérilet pour éviter une grossesse. Elle vit en institution. A quel moment, elle peut se retrouver dans une situation d’intimité sans surveillance? Pour moi, la contraception ou la stérilisation des femmes en situation de handicap est tout simplement un passeport pour le viol. Les institutions savent que cela existe, qu’elles ne peuvent l’empêcher, mais au moins, il n’y aura pas de grossesse.”
80% des femmes en situation de handicap victime d’agressions sexuelles
Viol. Le mot est fort. En Belgique, il existe très peu d’études sur les violences sexuelles faites aux femmes en situation de handicap mental. Au ESENCA, le syndicat des personnes en situation de handicap, de maladie grave, chronique et invalidante de Solidaris, on estime que 80% des femmes ont subi des violences sexuelles. Selon une étude de l’Université de Gand, parmi les femmes en situation de handicap mental interrogées, près de la moitié ont subi un viol. Dans la majorité des cas, il s’agit d’une personne connue soit de la famille, soit de l’institution, soit du personnel médical.
Cependant, le dépôt de plainte auprès de la police n’a jamais lieu. “Nous savons que les femmes en situation de handicap ont plus de risques d’être agressées sexuellement, reconnait Cinzia Agoni. Ce n’est pas une raison pour leur donner une contraception. Souvent, on leur donne sans penser aux conséquences, juste parce que cela régule leurs cycles. Elles n’ont pas plus de menstruations difficiles que les autres femmes. Par contre, les effets secondaires de la contraception peuvent être différentes. Une maman me disait que sa fille était devenue obèse en quelques mois. Ma première question a porté sur la contraception. Sa fille avait commencé à grossir dès la prise du médicament.”
La question de la vie affective et sexuelle
Dans le cadre de travaux parlementaires au fédéral, les députés ont abordé la question de la vie relationnelle, sexuelle et affective des personnes en situation de handicap. Certains souhaiteraient notamment la création d’un statut pour les assistants sexuels, comme c’est le cas en Suisse par exemple. Ces débats ont aussi remis sur le devant de la scène, la question de la stérilisation.
Au parlement francophone bruxellois, à plusieurs reprises, le député Ecolo Ahmed Mouhssin a interrogé le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS), en charge de la question du handicap à la Cocof. “Ces dernières semaines, plusieurs témoignages d’associations de terrain que nous avons rencontrées, nous parlent de personnes en situation de handicap qui ont effectivement subi une stérilisation. A ma connaissance, il n’existe actuellement aucune documentation concernant le nombre de stérilisations ainsi que les conditions dans lesquelles ces actes médicaux se déroulent en Région bruxelloise. Le flou concernant un sujet aussi sensible éthiquement ne permet pas d’accompagner et d’informer les personnes concernées ainsi que leurs proches de manière adéquate.”
Pour rappel, voici l’avis de 1998 du Comité consultatif de bioéthique de Belgique : “le statut d’incapacité juridique n’implique pas nécessairement que la personne handicapée soit incapable de prendre une décision la concernant“. En effet, la décision de la personne en situation de handicap intellectuel concernant son mode de contraception ou sa stérilisation, doit être cadrée en la prévenant, l’informant et l’accompagnant, afin qu’il puisse y avoir un consentement éclairé de sa part. Selon le Comité consultatif de bioéthique de Belgique, la stérilisation forcée ne devrait être pratiquée que dans les cas extrêmes, dans lesquels la santé est mise en danger.
Cependant, pour certains parents, il est difficile d’imaginer son enfant avoir des relations sexuelles et encore plus de s’occuper d’un enfant. “Tout le monde n’éprouve pas le besoin non plus d’avoir des relations sexuelles, ajoute Valérie Lootvoet. Pour les personnes en grande dépendance, cette notion est souvent totalement étrangère.”
Lors de sa réponse le 14 octobre dernier, Rudi Vervoort a rapporté ne pas avoir de signalement de cas de stérilisation forcée pratiquée dans les institutions subventionnées par la Cocof. Néanmoins, il reconnaît que cela ne veut pas dire que la pratique n’existe pas. Il encourage les institutions ou les familles à porter plainte le cas échéant.
“En France, une ligature des trompes ne peut se faire que sur une personne majeure et si elle a été placée sous tutelle juridique, alors la décision doit passer devant le juge des tutelles et être argumentée, explique Ahmed Mouhssin. Ne pourrions pas nous aussi changer la loi au fédéral dans ce sens?”
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga