Dormir dehors, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le froid de l’hiver et les conditions de vie extrême des sans-abris à Bruxelles.

Combien fera-t-il dans les rues de Bruxelles dans les prochains jours, et surtout dans les prochaines nuits ? -3 la nuit prochaine, -2 dimanche matin, -4 dans la nuit de dimanche à lundi. Derrière tous ces chiffres, il y a une cruelle réalité. Le danger encouru par les milliers de personnes qui chaque nuit, dans notre ville dorment dehors.

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais depuis quelques mois, quand je traverse Bruxelles, je constate avec tristesse la multiplication des signes extérieurs du sans abrisme. Des sacs de couchage, des cartons, des tentes. Il suffit d’ouvrir les yeux pour les voir. Du boulevard Anspach à la rue Neuve, de Saint-Gilles au Petit-Château, mais aussi dans les parcs, dans les gares, ces signes d’une vie en rue sont présents partout.

Selon une dernière étude de la fondation Roi Baudouin, il y a plus de 5 000 sans-abris dans les rues de Bruxelles. Parmi eux, 900 enfants. Et même si les autorités et les associations d’aide sont désormais dans une logique où on tente de proposer un accueil toute l’année, on sait que l’hiver est une période cruciale, il faut se mobiliser davantage encore.

À ces sans-abris, il faut ajouter les mal-logés. Ceux qui vivent dans des squats ou des logements de fortune. Un exemple, le bâtiment de la rue des Palais 48 à Schaerbeek. 700 demandeurs d’asile y ont trouvé refuge. Parmi eux, beaucoup de mineurs non accompagnés. Le bâtiment n’était pas fait pour cela, les sanitaires y sont en nombre insuffisant, les conditions d’hygiène y sont désastreuses, la gale, la tuberculose, la diphtérie sont présentes. Un jugement a ordonné l’expulsion des résidents… mais il n’y a pas d’autres bâtiments pour les reloger.

La prise en charge de cette souffrance humaine, aujourd’hui, repose en grande partie sur le travail d’organisations non-gouvernementales. Souvent subsidiées par les pouvoirs publics, c’est vrai. Mais qui tirent aussi une partie de leur dynamisme de l’engagement de leurs volontaires. On peut les citer, l’îlot, la Croix-Rouge, Médecin du monde, Médecin sans frontière, infirmière de rue, les restos du cœur, etc. J’en oublie forcément. Sans ce secteur associatif, la misère et la souffrance seraient plus grandes encore.

En ce mois de décembre à Bruxelles, une partie de cette crise de l’accueil aurait pu être évitée. C’est la partie liée aux procédures d’asile que l’État belge a l’obligation d’assortir d’un hébergement. C’est le fameux article 26 : pendant la durée où on examine sa demande d’asile, le demandeur a droit à un hébergement, à l’habillement, à de la nourriture et à une aide médicale. En théorie c’est Fedasil, une administration fédérale qui s’en charge. Délibérément sous-dimensionnée, Fedasil est incapable de le faire. Depuis le début de l’année, l’État belge a été condamné plus de 5 000 fois pour avoir bafoué ce droit à l’hébergement. Un état condamné en justice, mais qui s’en contrefiche jusqu’à présent.

Lorsqu’on l’interroge sur cette question, la secrétaire d’État à l’asile estime qu’elle ne peut rien y faire et que c’est à d’autres niveaux de pouvoir de trouver la solution. Les régions, les communes. Passivité et cynisme sont les deux adjectifs qu’on doit accoler à l’action du gouvernement fédéral. Cette crise de l’asile ne fait pas qu’intensifier, accroître, gonfler la crise du sans-abrisme. Elle l’explose au point de rendre la situation intenable dans les rues de Bruxelles.

La nuit prochaine, il fera moins -3, lundi moins 4. Il ne faudra pas s’étonner si dans un hébergement de fortune, un carton, un sac de couchage, un ou une sans-abri, qu’il soit ou pas demandeur d’asile, finit par ne pas se réveiller.

■ Un édito de Fabrice Grosfilley

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09 décembre 2022 - 18h08
Modifié le 09 décembre 2022 - 18h08