Dix ans après la fermeture du boulevard Anspach, le piétonnier a métamorphosé Bruxelles

Les piétons et cyclistes naviguent depuis dix ans à leur gré sur les grands axes du centre de Bruxelles, rendus piétons entre la place Fontainas et le boulevard Adolphe Max. Depuis la fermeture du boulevard Anspach à la circulation automobile, le piétonnier a transformé le quartier et attire de plus en plus de visiteurs, alors que les critiques persistent sur la multiplication d’événements et de projets touristiques, au détriment des riverains.

“Un nouveau cœur pour Bruxelles”: voici comment la Ville a annoncé en janvier 2014 son grand plan de réaménagement du centre de la capitale, destiné à sa “revitalisation économique” et une “réappropriation de l’espace public” par ses habitants. Le projet porté par la majorité PS-MR autour de l’ex-bourgmestre Yvan Mayeur, depuis repris par son successeur Philippe Close, voit le jour le 29 juin 2015 avec la fermeture aux véhicules motorisés du boulevard Anspach, cette travée de 800 mètres qui coupe le centre du nord au sud.

Les travaux, d’abord prévus pour un budget global de 20 millions d’euros jusqu’à fin 2017, vont finalement s’étaler par phases jusqu’à l’été 2024 – avec l’inauguration du boulevard Adolphe Max rénové – et coûteront 27,8 millions d’euros. Les boulevards du centre, plusieurs rues perpendiculaires ainsi que les principales places du quartier (Fontainas, Bourse, De Brouckère) ont ainsi connu une cure de jouvence, avec un revêtement en pierre de plain-pied, des espaces verts ou encore de nouvelles fontaines. Avec une offre commerciale renouvelée, malgré des critiques sur une présence importante de cellules dédiées à la restauration rapide – 51% des commerces sont de l’horeca -, le piétonnier est devenu en 2024 la quatrième artère la plus fréquentée de Bruxelles avec 29.100 passages quotidiens, derrière la rue Neuve, la Porte de Namur et Grand-Place.

Un soutien qui a progressé

Le soutien en faveur de la piétonnisation des boulevards du centre a par ailleurs progressé entre 2017 et 2021, avec un avis plus favorable parmi les personnes habitant à proximité que parmi celles qui vivent en périphérie de la Région bruxelloise, ressort-il d’un sondage commandé par l’agence régionale Bruxelles Mobilité et mené par un collectif de chercheurs de la VUB et de l’ULB. “Le taux d’approbation est d’autant plus important que le rythme de fréquentation du centre-ville est élevé”, souligne encore l’étude, menée auprès près de 3.300 personnes. Les usagers interrogés sont par ailleurs plus satisfaits de la qualité des trottoirs et des infrastructures du piétonnier depuis 2021.

Bruxelles Environnement constate pour sa part une légère amélioration de la qualité de l’air autour de l’hyper-centre, selon les concentrations de dioxyde d’azote (NO2) analysées sur trois sites autour du piétonnier (place Sainte-Catherine, rue de la Grande Île et rue de Laeken). La station Sainte-Catherine montre ainsi que la concentration moyenne de près de 30 μg/m3 de NO2 en 2015 a diminué sous les 20 μg/m3 en 2024. Un taux quasiment similaire a été constaté sur la rue de la Grande Île, non loin de la place Fontainas.

Cela reste cependant au-dessus des recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais en deçà du seuil européen d’information et de sensibilisation. Il est à noter que ces chiffres s’expliquent avec diverses variables, comme le plan de mobilité du Pentagone qui a également réduit la circulation automobile dans ces quartiers bruxellois ou la mise en place de la zone de basses émissions (LEZ) sur l’ensemble de la Région bruxelloise.

Vision commerciale et surtourisme

Si la Ville se félicite d’une redynamisation du centre avec la multiplication de projets immobiliers et commerciaux tels que la tour Oxy (l’ex-tour Centre Monnaie), Brouck’r (autour des cinémas UGC) ou The Dome (l’ancien immeuble d’Actiris), des associations comme l’Atelier de recherches et d’actions urbaines (Arau) ou Inter-Environnement Bruxelles (IEB) déplorent une vision commerciale et un risque de surtourisme. “La Ville a fait un choix: celui de privilégier les visiteurs, au détriment des habitants“, clame ainsi l’Arau. “Cette politique ‘d’attractivité’ augmente fortement le risque de voir le surtourisme dégrader l’habitabilité du centre-ville“, dénonce de son côté l’IEB. Tous deux déplorent les projets immobiliers faits de démolition et de reconstruction, peu efficients en termes de bilan carbone, l’absence de logements abordables ou sociaux dans ces futures tours et une mobilité toujours difficile malgré l’interdiction du trafic automobile. Dix ans plus tard, le piétonnier s’est donc durablement installé, mais reste un débat permanent dans la capitale, à mesure que les projets se concrétisent (centre administratif de la Ville, Belgian Beer World au sein de la Bourse…) autour d’un centre encore en gestation.

Un “modèle dépassé” face à une “ville en mutation et plus animée”

Le canevas du piétonnier des boulevards du centre est un modèle dépassé des années 1980, avec l’idée de réaliser une galerie commerçante à ciel ouvert”, déplore Marion Alecian, directrice de l’organisation citoyenne Arau. “L’objectif est de favoriser une fonction commerçante et une fonction touristique. Le problème, c’est que cela se fait au détriment des commerces de proximité et de ceux qui font l’identité de Bruxelles. Il n’y a pas de retour qualitatif, on se retrouve avec de grands projets standardisés“, estime-t-elle, ajoutant que “le nombre d’habitants qui augmente doit être analysé par quartier. Car de notre côté, nous recevons beaucoup de plaintes de riverains qui souhaitent partir en raison des nuisances autour du piétonnier.

Philippe Close défend une ambition destinée à changer Bruxelles “qui a trop subi le fait d’être une ville d’usage, d’une ville dont on se moque des habitants, dans laquelle on rentre pour repartir aussitôt“. “Il y a désormais une dynamique urbaine en place sur le centre-ville et même sur l’ensemble de la Région, qui est polycentrique, avec plusieurs quartiers animés“, explique-t-il.

Concernant les commerces, l’élu socialiste évoque un passé “peu glorieux”. “On se souvient de ce qu’il y avait sur le boulevard Anspach il y a dix ans?“, interroge-t-il. “Oui, il y a pas mal d’horeca aujourd’hui, mais il y a aussi des commerces spécialisés, des commerces de destination. Je rappelle aussi qu’il y a aux alentours d’autres types de magasins, haut de gamme, mais aussi des rues commerçantes comme la rue Neuve, ce qui confirme la mixité nécessaire dans le centre.

Inaccessible pour les riverains?

L’Arau pointe pour sa part des projets immobiliers coûteux sur le plan environnemental et peu accessibles pour les riverains. “Ces bâtiments proposent des logements de standing, ce qui rend l’habitabilité autour des boulevards encore plus difficile. Alors que ces quartiers ont besoin de logements accessibles et de logements sociaux. Je suis certaine que si on regarde précisément au nombre de familles qui s’installent dans ces quartiers, le nombre sera réduit“, assure Marion Alecian. Le bourgmestre promet vouloir “intégrer de la mixité sociale” dans le centre. “30% des logements dans le quartier sont gérés par nous, la Ville de Bruxelles. Mais la mixité, c’est aussi faire revenir des revenus. Donc, j’assume que le privé construit des logements, dont les prix peuvent parfois être plus élevés. Cela nous permet aussi de payer les services publics et nos services sociaux. Donc, on est aussi content que des gens avec des revenus importants décident d’habiter en ville“, admet-il.

La réappropriation de l’espace public n’est pas non plus vu du même œil, selon les points de vue. “Au lieu d’une densification de la population, on assiste à une densification de l’horeca et des événements“, tonne la directrice de l’Arau. “On voit malheureusement une privatisation de l’espace public au profit du tourisme.” Philippe Close dit assumer cette succession de célébrations sur le piétonnier. “Cela fait 20 ans que je développe l’événementiel à Bruxelles parce que je voulais sortir la ville de sa torpeur. On l’appelait ‘boring city’ avant, la ville ennuyeuse. On en a finalement fait une ville extrêmement animée. (…) Je pense qu’il y a moyen d’allier les deux et que ça marche, parce qu’il y a énormément d’événements et plus d’habitants dans le centre“, réplique-t-il.

Quartiers limitrophes délaissés

L’Arau poursuit ses critiques au-delà du piétonnier, regrettant des quartiers limitrophes “délaissés”, notamment Stalingrad, Lemonnier ou Fontainas, au sud du centre-ville. “C’est une sacrée violence pour les habitants“, confie Marion Alecian, qui rappelle que l’Arau proposait pour sa part un projet de tram en surface sur l’ensemble de l’axe nord-sud pour faire le lien entre les quartiers du Pentagone. “Le vrai problème, c’est ce chantier du métro 3 sur lequel le consortium privé en charge des travaux n’arrive pas à mener le projet qu’il devait réaliser”, se défend Philippe Close, évoquant notamment le palais du Midi, fermé et démembré pour permettre la poursuite de l’ouvrage. “Je vais être franc, j’attends de voir ce qui va se passer avec le métro pour poursuivre ensuite les projets dans le quartier Lemonnier. Pour l’avenue Stalingrad, un permis d’urbanisme est prévu pour faire de cette artère une vraie entrée sur le centre.

Philippe Close ajoute songer à un autre grand projet urbanistique: le réaménagement du Sablon, entre la place Royale et la place Poelaert. “Il y a une belle dynamique là-bas, et on veut en profiter pour lui donner un visage plus moderne. On doit encore voir ce qu’on va faire, mais la rénovation des espaces publics reste l’une de nos priorités. La Ville de Bruxelles en mutation permanente“, admet-il. Pour sa part, l’Arau compte bien faire encore entendre sa voix sur le piétonnier des boulevards du centre et sur les prochains chantiers de la Ville. “Nous ne voulons évidemment pas revenir en arrière sur l’ensemble du projet, mais nous espérons pouvoir aboutir à des adaptations quand cela est possible. Les boulevards du centre ne doivent pas s’arrêter au projet du piétonnier, mais doivent prendre en compte l’ensemble des aspects“, conclut la directrice.

Avec Belga

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27 juin 2025 - 15h18
Modifié le 27 juin 2025 - 15h48

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