Coronavirus : voici pourquoi les entreprises appellent massivement leur service de médecine du travail
Au sein des entreprises de la capitale, le retour des équipes sur le lieu de travail représente un casse-tête permanent. Les services de médecine du travail font massivement face à des demandes de conseil.
Au niveau professionnel, le télétravail reste hautement recommandé pour tous les travailleurs. Pour de nombreuses fonctions, le travail à domicile n’est cependant pas possible. Certains travailleurs ont repris par ailleurs, depuis la rentrée, le chemin du bureau une ou deux fois par semaine. Les entreprises doivent alors prendre des mesures visant à garantir le respect maximal des règles de distanciation sociale. A commencer par le maintien d’une distance de 1,5 mètre entre chaque personne. Avec le retour des vacances, puis le rebond des chiffres liées à la contamination, force est de constater que l’équation reste compliquée pour les entreprises bruxelloises.
Pour leur stratégie de prévention, les patrons bruxellois peuvent compter sur l’expertise de leur conseiller de prévention et leur service de médecine du travail. Le premier travaille généralement au sein de l’entreprise, le deuxième appartient ultra majoritairement à un service externe. “Il y a au maximum une centaine d’entreprises qui ne font pas appel en Belgique à un service externe. Les 200.000 autres font appel à une des 10 services externes agréés en Belgique”, explique Geert Desmedt, de la Fédération des services externes pour la prévention et la protection (Coprev Belgique). Parmi celles-ci, figurent par exemple Securex, Celsi ou encore Mensura.
“On est bombardé de questions”
Plus d’un mois après la rentrée, les entreprises bruxelloises continuent à s’interroger sur la meilleure gestion possible des risques. Beaucoup s’interroger même. “On reçoit beaucoup de questions. Vraiment beaucoup de questions! Cela n’arrête jamais”, explique Tom Deburghgraeve, de Mensura. “On est bombardé de manière continue de questions en lien avec le Covid”, confirme Benoit Calcus, directeur médical Wallonie-Bruxelles de Securex. La Fédération des entreprises bruxelloises (Beci) reçoit aussi chaque jour de nombreux coups de fil. “On en reçoit tout le temps”, indique son administrateur-délégué Olivier Willocx.
Retour des vacances, application Coronalert, modalités de quarantaine, ou encore tracing interne: les questions varient fortement. Benoit Calcus donne un cas pratique avec la quarantaine. “Jusque récemment, c’était 14 jours. Sciensano a modifié cette règle. Celle-ci ne dure plus que sept jours, mais il s’agit quand même d’éviter au travailleur tous contacts sociaux la deuxième semaine. Les employeurs viennent vers nous et nous demandent comment ils doivent faire. On regarde ce qui est possible avec eux. On peut envisager par exemple que le travailleur soit dispensé de réunions et de formations, soit placé seul dans un bureau, ou encore garde le masque tout le temps”.
L’apparition d’un cas de contamination dans l’entreprise représente actuellement la source d’inquiétude la plus importante. “C’est ce qui nous occupe très fort en ce moment. On nous dit ‘J’ai un cas positif, qu’est-ce que je dois faire avec ça?’. On participe alors avec eux à l’analyse de risque. On développe une sorte de procédure de tracing en interne. On leur explique comment déterminer les travailleurs désormais considérés à haut risque. Il s’agit de celles qui se sont trouvées à moins d’1,5 mètre de distance durant plus de 15 minutes de la personne contaminée”.
Angoisses ,tensions et absentéisme
Ches les travailleurs qui reviennent au travail, les réactions sont très différentes. Certains sont ravis de reprendre le chemin du bureau, d’autres auraient souhaité rester en télétravail, constate Olivier Willocx. “Il y a des grosses angoisses sur les modalités de déplacement, sur les transports en commun. Il y a beaucoup d’absentéisme, des taux de maladie de longue durée qui sont parfois hors du commun selon les secteurs. Certains sont ravis de revenir. Cela dépend notamment de l’âge. Pour faire simple, un jeune célibataire de Wavre qui a télétravaillé quelques mois est ravi de revenir. D’autres sont très stressés. Ce n’est parfois pas pour eux, mais pour leurs parents, leurs grands-parents. On a vraiment deux catégories: ceux qui s’en foutent et ceux qui ont peur”.
Conséquence: des tensions parfois au sein de l’entreprise. “Si je prends l’horeca, vous avez plein de jeunes qui disent qu’ils peuvent mettre leur masque sous le nez et vous avez 20% des clients qui ne supportent pas ça. Mais oui, porter le masque toute la journée, c’est fatiguant, en tout cas quand on n’en a pas l’habitude”. Secrétaire régional bruxellois de la CGSLB, Michaël Dufrane, fait les mêmes constats: “Il y a un inconfort réel pour ceux qui doivent porter le masque en permanence, même si ça se justifie au niveau sanitaire. Il y a par ailleurs un stress permanent chez les travailleurs, qui ont peur d’attraper le virus via leurs collègues ou leurs clients”.
La délicate question de la vie privée
Les employeurs sont réglièrement confrontés à des travailleurs inquiets d’être possiblement contaminés. Il faut alors gérer au cas par cas. “C’est tout le temps. Ce sont toutes des situations particulières qu’il faut trancher. Mettons par exemple quelqu’un qui a une bronchite depuis cinq ans, qui tousse et qui fume tout le temps. Faut-il le renvoyer à la maison? Peut-être pas s’il tousse, mais c’est chaque fois un casse-tête”.
La question du retour des vacances se pose encore toujours avec insistance. Les travailleurs ne sont pas censés dire à leur patron dans quel pays ils partent, mais ce dernier pourrait parfois être tenté de leur recommander d’éviter les zones rouges. Priver de salaire les travailleurs concernés de retour et en quarantaine, serait en tout cas contre-productif, explique Olivier Willocx. “Les gens vont commencer à mentir. La plupart du temps, on aménage ça en télétravail”.
Des équipes hors service
Les entreprises possèdent une marge de manoeuvre quant aux mesures de prévention à prendre. Il bien existe quelques recommandations de Sciensano, mais les entreprises s’adaptent en fonction de leurs réalités de terrain. Celle-ci font face de plus en plus à la mise en quarantaine d’un service entier. “Je le vois beaucoup à Bruxelles et c’est un phénomène en augmentation et auquel il fauit aussi se préparer. Du jour au lendemain, on a un collaborateur testé positif et tout le service est parfois mis en quarantaine. Cela peut mettre à plat une entreprise”, explique Michaël Dufrane.
Sentiment de lassitude
La Beci constate un sentiment de lassitude chez de nombreux travailleurs bruxellois. “C’est ce qu’on observe sur le terrain. Je pense en tout cas que toutes les entreprises un peu responsables ont prévu une personne chargée de veiller au respect des règles. Je ne pense pas que c’est obligatoire, mais cela me semble du bon sens. C’est souvent quelqu’un des ressources humaines ou un conseiller prévention”, explique Olivier Willocx.
De nombreuses entreprises demandent par ailleurs à leurs travailleurs de porter leur masque lors de leurs déplacement à l’intérieur. La règle n’est pas toujours complètement respectée. C’est ce qu’explique le délégué syndical d’une entreprise de 250 personnes de la capitale: “Officiellement, on doit porter un masque quand on n’est pas assis au bureau. Dans les faits, cela n’est quasiment jamais le cas. Je ne pense pas que notre entreprise est un cas exceptionnel”.
J. Th. – Photo: Belga/Thierry Roge