Coronavirus : quel est l’impact du covid-19 sur l’économie de la Région bruxelloise?
Les équipes pluridisciplinaires de Perspective.brussels ont travaillé pour tenter de dresser un premier bilan de l’impact de la crise du coronavirus sur la Région bruxelloise. Avec ce document, elles tentent également de tirer des conclusions et des recommandations pour le développement de notre “monde d’après”.
Evidemment, le premier impact du covid-19 est humain. A l’heure actuelle, Bruxelles enregistre une surmortalité importante d’environ 1.400 décès sur la période comprise entre la mi-mars et le 18 juin. 88,4 % des décès masculins et 94,4 % des décès féminins concernent les plus de 65 ans. Le solde naturel de la population bruxelloise devrait donc diminuer légèrement même si on constatera certainement en 2021, une baisse de la natalité car en période incertaine, et même avec un confinement, les gens ont tendance à faire moins d’enfant. La croissance démographique devrait donc diminuer quelque peu.
A ce solde naturel, il faut aussi ajouter que les migrations sont moins nombreuses. L’immigration et l’émigration sont moins fortes à cause de la fermeture des frontières. Et dans les mois à venir, il faudra voir si les migrations internes à la Belgique se répercutent sur la démographie bruxelloise. En effet, si on en croit une première étude d’Immoweb, le Bruxellois aurait tendance à regarder à acheter un bien immobilier en dehors de la capitale afin d’avoir un jardin si une pareille situation devait se reproduire. De plus, l’augmentation du télétravail et donc d’une réduction des déplacements, rendent la vie en périphérie moins contraignante.
Une économie plus durement touchée
De part sa nature, Bruxelles a été plus durement touchée au niveau de son économie. Le tourisme, l’horeca, la culture, les services, représentent une part importante de l’activité de la capitale. En plein confinement, on constatait une diminution très importante du nombre de Bruxellois au travail. En avril, près de 76.000 salariés bruxellois étaient en chômage temporaire et 46.585 indépendants bruxellois bénéficiaient du droit passerelle. La consommation a aussi chuté de 31%. Les entreprises ont ainsi reporté leurs investissements à une date inconnue pour la plupart. Les TPE et les PME sont nombreuses dans la capitale et ce sont elles qui ont connu le plus de perte. De plus, elles sont aussi plus susceptibles de faire faillite par manque de liquidité.
Le tourisme, un secteur en crise
En mars 2020, les hôtels bruxellois voient leur taux d’occupation dégringoler (occupation de 28 % contre 76 % en mars 2019). En avril, ce taux plonge à 1,8 %. Aujourd’hui, il peine à atteindre les 20% alors que certains week-ends de juillet, notamment celui de Tomorrowland, il est de 80%.
À l’aéroport de Zaventem, la diminution du nombre de passagers est également drastique, avec seulement 796.743 passagers en mars 2020, contre près de 2 millions en mars 2019, du fait notamment de l’interdiction des voyages non-essentiels à l’étranger imposée dès le 18 mars. Au mois d’avril 2020, le nombre de passagers tombe à 17.000.
La diminution du tourisme en Région bruxelloise implique une forte perte pour le secteur mais aussi une diminution des dépenses liées à la consommation courante des touristes sur le territoire. À plus long terme, une fois les mesures de confinement levées et les frontières rouvertes, la fréquentation touristique pourrait ne pas retrouver son niveau d’avant crise. En effet, la pandémie pourrait avoir réorienté les envies de voyages et de consommation vers du plus local. De plus, tant que le Covid-19 sera présent dans le monde, tant la population que les autorités publiques chercheront à limiter les voyages.
Les secteurs économiques qui organisaient de grands congrès internationaux pourraient aussi avoir la tentation de ne plus ou moins en organiser. Or, Bruxelles dépend du tourisme d’affaires qui représente environ 50% des nuitées. De plus, un touriste d’affaires dépense en moyenne 450 euros par jour pour 150 euros pour un touriste classique. Cela signifie donc moins de rentrer pour les restaurants, les musées, les boutiques de souvenirs… Des secteurs qui emploient beaucoup de Bruxellois.
34% des ménages ont connu une perte de revenu
La diminution de la consommation plus la fermeture de nombreux services ont évidemment eu un impact sur les finances des ménages. 34% des Bruxellois ont vu une perte de leur revenu durant le confinement. De plus, 14 % des ménages bruxellois (13 % en mai) seraient extrêmement vulnérables face à la crise du fait d’une perte de revenu d’au moins 10 % combinée à un coussin d’épargne leur permettant de subvenir à leurs besoins pendant maximum 3 mois. Ces ménages fragilisés pourraient l’être plus encore par l’augmentation des prix des produits alimentaires pour lesquels la demande ne peut pas fondamentalement varier. En effet, la crise du Covid-19 a augmenté les prix du commerce de détail alimentaire de près de 2 %.
Cette perte signifie ensuite des dépenses pour les pouvoirs publics. Le nombre de demandes auprès des CPAS ont augmenté et cela devrait être encore le cas dans les semaines à venir.
Des scénarios de relance
Le chômage bruxellois augmentera certainement et touchera de manière différente les travailleurs. Les personnes peu qualifiées qui travaillent habituellement dans l’horeca auront de grandes difficultés à retrouver un emploi.
Aujourd’hui, le taux de chômage est de 17,6%. Un premier scénario de relance qui pourrait être qualifié d’optimiste dans l’analyse, estime qu’aucun report des mesures de confinement ne serait à envisager, et le suivi de la reprise des activités économiques permettrait de retrouver un emploi assez rapidement.
Un deuxième scénario anticiperait l’effet d’une deuxième vague de l’épidémie (avec un taux de chômage administratif en Région bruxelloise à 19,5% suivant les projections du FMI).
Un troisième scénario projette l’impact de l’arrêt des mesures de soutien économique qui sont en vigueur depuis le début du confinement. Ce scénario se construit sur les résultats de l’enquête menée par la BNB et la Fédération des entreprises belges (FEB) auprès d’entreprises et d’indépendants en Belgique avec un passage de 20% des travailleurs en chômage temporaire en chômage complet ainsi que l’arrêt de l’activité de 9% des indépendants. Ce dernier scénario permet de présenter les conséquences hypothétiques d’un risque de faillites et de licenciements accru dans certains secteurs.
Pour les chercheurs, avec le scénario 1 : le taux de chômage administratif augmente de 1,9 % en 2020 et on enregistre 10.000 demandeurs d’emploi indemnisés (DEI) supplémentaire. Scénario 2 : le taux de chômage administratif augmente de 3,8 % en 2020 ce qui représente 20.000 DEI en 2020. Scénario 3 : arrêt des mesures de soutien économique ce qui entraîne 20% des travailleurs bruxellois au chômage temporaire et une perte d’emploi pour 9% des indépendants soit un taux de chômage de 21,2% en 2020 avec 30.000 chômeurs en plus.
Face à ce constat, les chercheurs préconisent donc de maintenir les aides actuelles avec une relance de la demande et de veiller à l’employabilité des personnes. Une politique d’investissements de type keynésienne serait la bienvenue et pourrait se baser sur la rénovation des bâtiments et la valorisation des déchets par exemple afin de rencontrer également les aspects environnementaux que se sont fixés les membres du gouvernement bruxellois.
Une politique genrée
Il faudra aussi veiller à mener une politique genrée. En effet, les femmes sont surreprésentées dans les emplois qui se sont révélés essentiels lors du confinement et de la crise: soins de santé, soins aux personnes âgées, aide à domicile, commerces alimentaires, enseignement, crèches, nettoyage des établissements restés actifs … Elles représentent 80% des travailleurs dans le secteur hospitalier; 88% dans les maisons de repos et de soins; 86,5% dans les maisons de repos pour personnes âgées; 96% dans les crèches; 95% dans le secteur des aides familiales à domicile; 60% dans le secteur du commerce de détail en magasin non-spécialisé (grande distribution).
Pour les chercheurs, la tenue de statistiques genrées pour toutes les mesures adoptées durant la crise, via la mise en place d’outils comme le gender budgeting et le gender mainstreaming, est primordiale pour pouvoir corriger ces biais et permettre l’accès égalitaire de ces publics aux services et à la valorisation tant salariale que symbolique de ces métiers.
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga/Nicolas Maeterlinck