“C’est la madeleine de Proust du hip-hop belge”: plongée dans l’histoire du rap belge en 60 albums

À l’occasion du vernissage de l’exposition Belgian Hip-Hop Legacy ce vendredi à BXL Central, petite plongée dans les archives du hip-hop belge (et bruxellois). Pour évoquer l’histoire du rap belge, cette expo signée Melodiggerz  propose “un échantillon soigneusement sélectionné de 60 vinyles, chacun porteur d’une histoire unique.” Avec en bonus, une application pour “une expérience immersive”.

Sonny Mariano, organisateur de l’exposition, distingue six périodes qui jalonnent le hip-hop belge entre 1990 et 2020. On lui a demandé de nous guider à travers six albums bruxellois emblématiques (parmi d’autres).

L'émergence - BRC volume 1

1983 est considérée comme l’année de naissance du hip-hop en Belgique. L’histoire commence à Bruxelles, avec le premier concours de breakdance, organisé dans la salle de la Gaîté.

Les fondations musicales du mouvement seront posées dans les différentes régions du pays. Sur la scène bruxelloise, c’est la compilation Brussels Rap Convention qui fait office de point de départ, sortie en 1990. 

Dans l’imaginaire, c’est la madeleine de Proust du hip-hop belge. C’est la base de tout ce qui va suivre. C’est un socle” commente Sonny. Le genre est encore totalement underground et le style, s’il semble aujourd’hui dépassé, caratéristique des pionniers, parmi lesquels Defi-J, et Rayer (futur De Puta Madre).

L'âge d'or - Phat Unda Compil

Dans le courant de la deuxième moitié des années ’90, une nouvelle génération débarque sur les scènes underground, influencée par ce qui se passe en France. Dans le même temps, le matériel professionnel commence à se démocratiser.

À Bruxelles, plusieurs structures émergent, comme 9mm ou Souterrain, par exemple.

La “Phat unda compil” est un condensé de toute la scène de l’époque, majoritairement bruxelloise. “Ce projet pue les nineties ! C’est la compilation boom bap par excellence.” Les figures de proue sont toutes dessus, notamment Les Vils Scélérats (CNN199), Onde de Choc (le premier groupe de Pitcho) ou encore le premier morceau officiel de Starflam, qui réunit tous les membres.

Quelque 500 exemplaires seront pressé à l’époque.

L'expansion - Regarde comment!

Au début des années 2000, Internet chamboule la scène hip-hop belge. Ce nouvel outil permet de partager plus vite sa musique. Il facilite aussi les connections avec les rappeurs parisiens et marseillais. Des collaboration qui réunissent Starflam ou Rival avec des rappeurs français comme Ärsenik ou Le Rat Luciano voient le jour. Les CD, quant à eux, facilitent la production d’albums.

On assiste aussi à une expansion médiatique. Les clips tournent de plus en plus. C’est le cas du morceau “Ma part du ghetto” de Pitcho, qui sera diffusé sur MCM. “Il n’avait pas spécialement de passage en radio, mais le clip a énormément tourné“, précise Sonny. L’album marque une véritable dynamique d’expansion, via la diversité de ses influences (belges, françaises et américaines) et des thèmes abordés. “Pour moi, c’est la variété des thèmes qui a fait que cet album est devenu un gros classique.

L'identité belge - Safari Bizness

La deuxième moitié des années 2000 correspond à une période de grande inventivité. Beaucoup de rappeurs se décomplexent. Chaque artiste belge trouve sa personnalité, dans ses sons, ses thèmes. “En tant que Wallon d’origine, je ressentais bien que le rap wallon et bruxellois étaient différents.

Et pourtant, c’est également une période très creuse. “Il fallait trouver son délire. C’était la période la moins évidente, et bizarrement c’est celle où les identités musicales se sont le plus affirmées.”  Le vinyle étant en déclin, l’identité belge se développe surtout via les CD, beaucoup moins chers à produire. On se permet alors de tester des choses et de sortir de la normalité.

À cette période, Carjack Ray (Rayer) quitte le groupe De Puta Madre et sort un album solo, Safari Bizness. “Cet album est bizarre. Tu as l’impression qu’il se teste, et en même temps tu as deux énormes morceaux.

Une belle illustration de ces frontières dépassés pour un rappeur bruxellois qui a déjà de la bouteille dans le milieu. Il était déjà présent dans la BRC en 1990.

La confirmation - Cirque Royal

Le début d’une nouvelle décennie. Cette période est dans la continuité de l’identité belge, poussée à son paroxysme. On ne se met plus de frontière. On affirme qu’on est belge.

Chacun fait son truc. Les rappeurs s’affirment, les beatmakers s’affirment.” On commence  de plus en plus à créditer les beatmakers. Le web participe à attirer le regard sur la scène hip-hop belge. Les plateformes de streaming permettent une diffusion encore plus grande de projets encore plus inattendus.

Et rien ne représente mieux cette période que “Cirque Royal”, un album des deux autres membres issus du groupe De Puta Madre, réunis sous le nom “Les Deux Fils De Pute”. “Cet album, il faut le prendre au 1.000eme degré. Ils racontent n’importe quoi. Les prods sont dingues, mais en même temps, tu ne sais pas où ils veulent en venir. C’est du Belge. Si tu veux écouter un bon exemple d’album hip-hop belge décalé, il faut écouter celui-là.

La segmentation - Bodie

Le hip hop devient une culture populaire à l’échelle internationale, et la Belgique ne fait pas exception. Le genre se diversifie encore plus dans ses sonorités, ses styles.

On assiste alors à une double segmentation. D’abord celle des artistes, qui partent dans des directions, des styles de rap, très différents. En conséquence, le public se segmente lui aussi. “Un certain public écoute un certain style de rap. Un autre public écoute un autre style.

Cette période voit l’arrivée de projets hybrides. Par exemple, Veence Hano et Le Motel. “Tu as d’un côté un rappeur, et de l’autre un beatmaker.”

Mais cette segmentation a un effet sur l’ouverture à ces différents styles. Veence draine un certain public qui partage une même vision de la musique. Un autre public, qui s’intéresse à des artistes plus mainstream par exemple, ira moins vers ce type de production.

Dans une idée comparable aux bulles de filtre, le public s’ouvre plus difficilement à ce qui diffère de ses habitudes. “C’est dommage car Veence reste pour moi l’un des plus grands lyricistes du hip-hop belge.

Apposés sur le mur, les différents albums sont accessibles via une application. Il suffit de scanner la pièce et d’accéder à la tracklist de chaque album. Des projets parfois rares, numérisés par Sonny. Un passionné qui rassemble vinyles, disquettes, CD’s, flyers d’évènements, affiches de concerts depuis 10 ans. Tout ce qui touche de près ou de loin à la culture hip-hop belge, dont un échantillon se dévoile au public du 13 septembre au 20 décembre à BXL Central (Chez Pias).

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Sonny Mariano de Melodiggerz