Boris Dilliès : “Je pense être un bourgmestre plus efficace aujourd’hui”

Boris Dilliès (MR), bourgmestre d’Uccle, a été surpris comme tout le monde par l’ampleur de la crise. Il a toujours tenté de répondre au maximum à toutes les questions des habitants et des commerçants de sa commune, quitte à se transformer en call center.

Nous sommes en janvier 2020 et la Chine se confine. Dans quel état d’esprit êtes-vous?

Je me dis que c’est loin et je ne vois pas arriver le drame. Je vois ça comme un fait d’actualité parmi d’autres au niveau international. Quand cela arrive en Italie, je me dis que cela se rapproche, mais je ne vais pas faire le malin en disant que j’avais mieux appréhendé que les virologues. Je trouve que c’est facile les politiques qui disent qu’ils avaient vu venir la chose.

Le premier confinement est une réelle surprise?

Le confinement est une vraie surprise sans précédent. Je n’imaginais jamais vivre cela même si j’avais vu que cela se pratiquait dans certains pays. C’était nécessaire, mais c’était une grande violence.

Comment vous organisez vous?

J’essaie d’abord de trouver l’information. La difficulté, c’est de répondre à des questions auxquelles je n’ai pas la réponse. La première mesure, c’est de rassurer la population, apporter des réponses et essayer de la protéger même si je me pose aussi beaucoup de questions. Tout le monde apprend en marchant. J’ai assez rapidement fait des facebook lives où la population posait ses questions et cela a bien fonctionné. Il fallait une information aussi précise que possible. Je n’avais pas réponse à tout mais nous partions du principe que lorsque nous avions beaucoup de fois la même question, alors elle concernait beaucoup de monde. Entre les mails, les whatsapp, les coups de téléphone… je recevais plus de 200 messages par jour! Par moment, je me transformais en call center à moi tout seul! J’avais des appels parfois très terre à terre. Les gens voulaient savoir s’ils pouvaient promener leur chien. Et d’autres citoyens avaient simplement besoin de parler. Le rôle du bourgmestre joue parfois le rôle de père. C’était très fort et pas toujours évident à gérer. Ce qui a bien fonctionné aussi, au niveau du collège, chacun a pris sa place et cela a contribué à mettre de l’huile dans les rouages aussi bien au niveau de l’administration que de la police. Le bilan est très positif.

Vous ne vous êtes pas senti seul aux commandes?

Non. Nous avons fonctionné de manière collégiale et tous ont pris leur part, mais le rôle de bourgmestre focalise plus les questions évidemment. J’étais l’entonnoir, mais tout le monde était sur le pont. Ça rend les choses plus fluides aujourd’hui. Quand on vit une crise, cela peut contribuer à renforcer les liens.

Comment se passe votre premier confinement?

Je ne suis pas confiné. J’essaie d’aller voir les équipes qui sont sur le terrain. L’administration, la police, le CPAS, tous ont toujours continué à travailler. J’ai vécu ce premier confinement en passant beaucoup de temps au téléphone. Je n’ai pas pu repeindre ma maison (rires). Lors du premier confinement au printemps, le home du Neckersgat a pris feu. Nous sommes en plein confinement, on ne peut pas avoir pire. Heureusement, la police et les pompiers ont bien géré et il n’y a pas eu de blessé. Mais cela fait partie des événements forts. C’était une scène surréaliste en plein milieu d’un lockdown.

Les maisons de repos ont été particulièrement touchées. Avez-vous le sentiment qu’elles ont été abandonnées?

Je n’ai pas ce sentiment car tout était difficile. Il y avait plus de difficultés dans les maisons de repos et les débuts ont été plus difficiles là qu’ailleurs, mais on ne peut pas utiliser le mot abandon car dans ce mot, j’entends un choix. Personne a fait le choix de les abandonner. Les membres du personnel, ce sont des héros.

Vous avez également la question des masques à gérer.

C’est un des pires chapitres de cette crise. Je suis dans le constat, je ne veux accuser personne. C’était le bordel partout, au fédéral comme à la Région et au niveau local. La première information que nous avons, c’est qu’il ne faut pas porter de masque. Je ne suis pas un scientifique, donc si un scientifique me dit fais comme ça, je fais comme ça. Mais les scientifiques ont le droit à l’erreur dans leur jugement puisque personne ne connaissait rien de ce virus. Nous nous sommes retrouvés dans la pire des situations parce que les choses n’avançaient pas et chaque commune est partie sur le marché des masques de manière indépendante. C’était chacun pour soi. Nous n’avions pas le choix car la population s’est retournée vers les communes. Mais d’une commune à l’autre, en fonction des budgets, il n’était pas possible de distribuer des masques à tout le monde. A Uccle, nous l’avons fait finalement parce qu’aucun arrivage massif n’allait arriver. Nous en avons commandés 75.000. Les habitants ont reçu un masque dans leur boîte aux lettres. C’est vrai, je n’ai pas voulu me précipiter et je ne le regrette pas, mais cela a été vraiment chaotique.

Lorsqu’on déconfine en juin 2020, quelles sont vos pensées?

Je suis naïvement optimiste. Je pense vraiment que les choses vont évoluer favorablement. L’histoire montre que je suis à côté de la plaque.

Le deuxième confinement est long et les difficultés économiques vont en grandissant.

Nous avons mis en place un dispositif très large au niveau de l’aide sociale. Uccle est une commune de commerçants et d’indépendants. Nous avons apporté un soutien économique, créé les chèques commerces. La plus grande difficulté, c’était d’apporter le soutien aux indépendants et aux commerçants. Je tentais de rassurer. J’ai eu à deux reprises des patrons de restaurant en larmes dans mes bras. C’est quelque chose que je n’oublie pas. La commune a débloqué plus de 1,2 million d’euros. La grande violence est pour eux. Cela a été un des éléments les plus durs de la crise. Le budget du CPAS a augmenté car nous avons vu arriver des personnes qui ne venaient jamais. Les indépendants ne savaient pas faire face à leurs besoins premiers et cela aura des conséquences financières dans un futur proche. Le coût des dépenses sociales et le coût aux commerces vont se répercuter sur nos finances. A Uccle, 20% de notre budget est consacré à l’aide sociale. Nous avons joué notre rôle en aidant des gens qui d’habitude ne demandent jamais rien.

Avez-vous senti une montée des tensions?

Nous avons eu quelques tensions. Le premier confinement, il faisait beau et cela a été difficile pour ceux qui avaient un petit logement sans jardin ni balcon. Nous avons mené un gros travail avec la police sur les violences intrafamiliales. Nous avons eu à Uccle, une police intelligente et courageuse qui a fait d’abord de la prévention. Les policiers sont des femmes et des hommes qui doivent faire respecter les mesures et qui vivent aussi la crise. Je tire mon chapeau à la police. Après, je ne vais pas juger la gestion de la boum au bois de la Cambre.

Vous avez eu des tensions avec la Ville de Bruxelles sur la gestion du bois lors du premier déconfinement.

C’était une vision de mobilité axée sur la crise sanitaire. C’était basé sur le fait qu’il y avait peu de déplacements, pas d’école et un temps magnifique. Mais ça, c’est le monde de Walt Disney. Cela ne va pas rester ainsi. En tout cas, je me serai bien passé de ce combat sur le bois de la Cambre en pleine crise sanitaire.

Sur la crise, trouvez-vous que la coordination avec les autres bourgmestres a été efficace?

Nous avons eu beaucoup de réunions pour écouter les avis des uns et des autres. Il y avait différentes tendances. J’étais d’avis que nous devions avoir une position homogène. La conférence des bourgmestres était très mature et très sérieuse. La situation était tellement grave que nous avons transcendé les courants politiques. Chaque bourgmestre veut protéger sa population, nous avons le poids d’une responsabilité plus forte. La vie de bourgmestre n’est pas un long fleuve tranquille. Il y avait quand même des cas où on se mettait d’accord sur une position et à la sortie de la réunion, l’un ou l’autre y allait de sa petite musique surtout au début, mais un peu après aussi. Dans l’ensemble, l’esprit était constructif. Je pense que la conférence va prendre du poids politique mais c’est surtout lié au décumul. Avant, les bourgmestres étaient au parlement. Maintenant plus donc ils veulent se faire entendre.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?

Je suis en grande vigilance parce que la seule certitude pour moi est que je sais qu’on ne sait pas. Il faut beaucoup de sang-froid et de vigilance. On ne sort pas pareil de ce genre de crise. La gestion de crise, cela vous renforce. Je pense être un bourgmestre plus efficace aujourd’hui.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?

Le plus dur était la détresse des gens par rapport à leur situation financière. Une crise comme celle-là cela révèle le plus beau et le plus dégueulasse aussi. J’ai vu des gens qui ont pris des nouvelles de leurs voisins alors qu’ils ne les connaissaient. J’aime voir le verre à moitié plein. Ce qu’il a de plus dégueulasse, ce sont les dénonciations. Des gens m’ont appelé pour dénoncer leur famille. Une personne m’a appelé un dimanche en me disant que son frère allait organiser une fête pour son anniversaire, en donnant l’adresse et en m’expliquant que pendant la succession du décès des parents, il ne s’était pas bien comporté. C’est moche.

Qu’est-ce qui vous a surpris?

Je suis épaté par le travail des chercheurs et aussi par l’Etat car je trouve que l’Etat a organisé les choses de manière exceptionnelle. Je trouve cela extraordinaire qu’on ait réussi à trouver un vaccin et à le distribuer en un temps record. Je me souviens aussi que j’ai eu deux personnes qui sont venues chercher chez moi des vaccins en pensant que j’avais une réserve. Il faut faire preuve de pédagogie dans ces cas-là et c’était symptomatique de ce que les gens attendent du bourgmestre. C’était surréaliste. J’ai reçu beaucoup de messages de soutien et d’autres très agressifs car certains trouvaient que le masque n’arrivait pas assez vite. Cela a renforcé la relation entre le bourgmestre et le citoyen. On ne peut pas faire semblant dans une crise ou on se met sous son bureau et on pleure.

Vous avez eu envie de vous cacher sur le bureau?

Pas vraiment. J’estime que j’ai fait mon job, certainement parfaitement, mais j’ai fait le maximum. Il n’y a pas un seul jour où je n’ai pas été occupé par un élément de cette crise. J’ai eu de gros coups de fatigue. J’ai eu envie de passer un week-end où le covid n’existait pas. C’est aussi ma faute car personne n’est indispensable. A un moment, j’ai dû prendre une pause car mon corps déclinait.

Qu’est-ce qui vous a choqué?

La détresse des gens et de ne pas pouvoir leur fournir de réponse.

Qu’est-ce qui vous a manqué?

Ce qui m’a manqué le plus, c’est de ne pas voir les gens que j’aime. Je suis assez clanique, j’adore cuisiner, recevoir faire des grandes tablées avec plein d’amis.

Qu’est-ce qui a changé chez vous?

Rien je crois. Je ne suis pas plus dans l’essentiel maintenant qu’avant. Je trouve même étrange les gens qui disent ça. Ce qui a changé par contre, c’est que si un jour, on nous parle d’un virus lointain, je ne me dirais plus, cela ne peut pas arriver chez nous!

Vanessa Lhuillier

 

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20 juillet 2021 - 17h00
Modifié le 26 juillet 2021 - 13h04