Bataille de pétitions : voici ce que révèle cette technique de lobbying
Non au survol de Bruxelles, non à la création d’un centre Fedasil au home Sebrechts, mettez fin à l’abattage sans étourdissement, maintien de l’abattage sans étourdissement… Les pétitions sur les sites internet ou que l’on vous demande de signer dans la rue sont nombreuses. Seulement, pour qu’elles soient ensuite prises en considération par le monde politique, c’est une autre affaire. En tout cas, elles font partie de l’arsenal des lobbies et sont une arme rhétorique pour appuyer les arguments des défenseurs de leurs causes.
Mercredi, au Parlement bruxellois, quelques députés PS posaient fièrement dans le hall d’entrée de l’institution avec à leurs côtés des membres du CCLC, le Collectif Citoyen pour la Liberté de Culte, et leur avocat, Alexis Deswaef. Ils leur remettaient une pétition de 127 074 citoyens qui demandent le maintien de l’abattage sans étourdissement au nom de la liberté de culte.
Alexis Deswaef qui était ensuite auditionné lors de la poursuite des travaux de la commission Environnement sur l’abattage rituel avec ou sans étourdissement, a affirmé que cette pétition avait été signée par 120 000 personnes dont 80% de Bruxellois. Cela représente donc 96 000 Bruxellois. Grâce à ce chiffre, Alexis Deswaef utilise un argument objectif relatif au nombre de Bruxellois. Il serait possible de sous-titrer : “nous avons réussi à recueillir plus de signatures que Gaïa et, en plus, nous avons énormément de Bruxellois qui ont signé et qui sont vos électeurs, vous les députés qui m’écoutez”.
“96 000 Bruxellois, cela voudrait dire qu’en deux semaines, le CCLC a réussi à faire signer un Bruxellois sur 10. Cela me paraît beaucoup”, réfléchit le député DéFi, Emmanuel De Bock. “Cette phrase a attiré mon attention et j’ai demandé à voir la pétition. En faisant des coups de sonde, j’ai rapidement vu que parfois, une personne avait signé pour toute sa famille ou qu’il n’y avait que les adresses e-mail. Il n’est pas possible de savoir où ces personnes sont domiciliées. En regardant les 1 000 personnes qui ont signé en papier la pétition, il doit y avoir 40 à 50% de Bruxellois.”
Des critères de recevabilité
Cette pétition du CCLC doit être examinée mercredi prochain par le bureau élargi du Parlement bruxellois afin de juger de sa recevabilité. Celle de Gaïa qui demandait la fin de l’abattage sans étourdissement avait reçu un peu plus de 70 000 signatures et a été jugée recevable. Celle du CCLC ainsi qu’une autre qui demande l’interdiction de l’abattage sans étourdissement doivent encore être examinées par le bureau élargi. Pour celle du CCLC, il y a de fortes chances qu’elle soit aussi jugée recevable, car sur plus de 120 000 signatures, il est probable qu’on trouve au moins 1 000 Bruxellois.
► Pour ou contre l’interdiction de l’abattage sans étourdissement ? Deux pétitions circulent
Pour être considérée comme valide et que le signataire soit auditionné en commission, le Parlement bruxellois impose quelques conditions. Il faut tout d’abord que 1 000 Bruxellois la signent. Ensuite, il faut que la pétition porte sur un sujet sur lequel le Parlement est compétent. Les pétitions doivent être adressées au président du Parlement, comporter le nom, prénom, date de naissance, adresse et signature du pétitionnaire et être conforme aux droits humains et aux libertés fondamentales.
Si 1 000 Bruxellois de plus de 16 ans ont signé, alors le pétitionnaire doit être entendu en commission. S’il y a moins de 1 000 Bruxellois, alors c’est aux députés de la commission de trancher quant à une audition.
Dans le cadre des pétitions de Gaïa et du CCLC, comme les deux parties étaient déjà prévues dans les auditions de la commission Environnement, elles ne seront pas entendues une nouvelle fois.
Un outil de pression
Au cabinet du président du parlement bruxellois, Rachid Madrane (PS), on reconnaît qu’il est impossible de vérifier que tous les signataires d’une pétition papier existent bien ou sont domiciliés à Bruxelles. Il y a des coups de sonde pour vérifier l’identité de quelques personnes et ensuite, c’est une extrapolation.
Pour éviter ces risques de fraude, le Parlement régional a mis en place le site democratie.brussels sur lequel on retrouve les pétitions prises en compte ou en cours. Si quelqu’un souhaite signer, il devra introduire sa signature électronique soit via un lecteur de carte d’identité, soit via Itsme.
Pour cette année parlementaire, 16 pétitions ont été introduites auprès du Parlement bruxellois sur des thèmes aussi divers que le survol de Bruxelles, la fin de la discrimination entre réfugiés ukrainiens et les autres, le report de l’interdiction des véhicules diesel euro 4 et 5. À chaque fois, le but de la pétition est identique : montrer son point de vue et faire un travail de lobbying auprès des députés.
Plus la pétition aura de signataires, plus la cause semblera importante. Et si elle est importante pour beaucoup d’électeurs, alors les députés la prendront en considération. Après débute le travail de vérification, d’étude du libellé de la pétition et aussi de renseignement pour ne pas se laisser manipuler par un lobby.
Vanessa Lhuillier – Photo : Facebook/Emmanuel De Bock