Ahmed Laaouej : “La fermeture des crèches et des écoles a été la décision la plus dure à prendre”
Grâce à ses multiples casquettes, le bourgmestre de Koekelberg, Ahmed Laaouej (PS), est un homme bien informé mais qui reconnaît son manque d’expérience dans la gestion d’une telle crise.
Nous sommes en janvier 2020 et le coronavirus se propage en Chine. Quel est votre état d’esprit?
Je me dis que cela ne va pas avoir d’ampleur mondiale ni nous toucher. Ce n’est pas la première fois qu’on apprend qu’un virus se propage à l’autre bout du monde. En février, nous manquons d’informations. Le gouvernement fédéral ne s’est pas encore doté d’un groupe d’experts et au parlement Maggie De Block parle avec aplomb. On est dans le même cas de figure que lors de la naissance de la grippe H1N1. On se dit donc “attention” mais on ne pense pas que, quelques semaines plus tard, on va tout fermer.
Quand commence le premier confinement, quelles sont vos pensées?
Je ne suis pas de formation scientifique mais je suis cartésien et je peux assez rapidement faire preuve de discernement. Je considère à un moment que nous avons assez d’éléments pour prendre des mesures de prudence. Je me dis aussi que nous rentrons dans une phase dont on ne connaît pas l’issue. Nous voulons seulement éviter la saturation des hôpitaux. On gère l’urgence en étant le plus pédagogue possible. Mais en tant que bourgmestre, je n’ai pas tous les éléments. Je multiplie la communication envers la population avec des toutes-boîtes, des publications digitales vers les écoles et les associations. J’insiste sur la distanciation sociale, le gel hydroalcoolique pour endiguer la pandémie. Notre vulnérabilité est d’être la troisième commune la plus dense de Bruxelles. Cela a été un fil conducteur durant ma gestion des affaires.
Était-ce une gestion complexe?
Quand on a eu les premières mesures de confinement, j’ai lu l’inquiétude dans le regard de beaucoup d’agents communaux. Mais de manière générale, j’ai pu compter sur leur courage et leur abnégation alors qu’on avait des doutes sur les facteurs de contamination. Le covid est associé à la mort et, malgré tout, j’ai vu des chefs de service sur le pont et j’ai été agréablement surpris. Il y avait un vrai courage. Nous étions face à l’incertitude. Nous n’arrivions pas à rassurer les gens. C’est une difficulté d’être à court de réponse. C’était d’ailleurs la première fois que je gérais avec autant d’inconnues. Mais les communes sont un niveau de pouvoir très efficace. Quand j’ai fait le constat que les masques du fédéral arriveraient tard, que les délais pour ceux de la Région étaient longs et que j’étais face à une population angoissée, j’ai pris les devants. Une nuit avec ma femme, nous avons fait le tour de tous les zonings de la Région pour trouver quelqu’un qui acceptait de fabriquer des masques à des prix démocratiques. On a vu à quel point la commune était en phase avec les urgences. C’est une des grandes leçons de la crise. Pareil pour les gardiens de la paix. Nous les avons envoyés voir les personnes âgées ou en situations difficile. Quel est l’autre niveau de pouvoir qui est capable de le faire ?
Lors de la première vague, les maisons de repos sont particulièrement touchées. Avez-vous senti un abandon?
Il y a eu un moment de flottement, pas dans le chef des gestionnaires des maisons de repos mais dans le système. Le sentiment d’abandon, nous l’avons compensé par une intervention communale mais cela n’a pas empêché les décès. Après la levée de la première interdiction de visite qui avait été décidée par le Fédéral, j’ai dû prendre un arrêté pour la réimposer. Je me rendais compte de ce que je faisais, que c’était difficile pour les résidents, mais j’avais un foyer de contagion et il fallait le stopper.
Avez-vous eu peur de prendre les mauvaises décisions?
Bien sûr, mais on pèse le pour et le contre. Quand je décide de maintenir le port du masque à certains endroits, je suis critiqué mais je sais pourquoi je le fais. Il faut envoyer un signal à la population pour dire “attention, on n’est pas sorti de la crise”. Certaines décisions ne sont pas faciles à prendre. Je dois fermer des crèches et des écoles. Je sais que cela accentue le décrochage scolaire mais ce qui me guide, c’est la volonté d’arrêter l’augmentation des décès. Dans un deuxième temps, je veille pour que cela n’engendre pas d’autres difficultés en créant des guichets contre les violences intrafamiliales. C’est la théorie des dominos et la complexité de la gestion communale.
En juin 2020, vous pensez que la crise est derrière nous?
Je pense qu’on va trop vite. J’ai des doutes mais il y a la pression populaire et celle de certains lobbies qui veulent rouvrir. Je suis contre: si on déconfine mal, on reconfinera… Le deuxième confinement, je m’y attendais.
Croyiez-vous que les négociations gouvernementales ont fait perdre de vue la crise sanitaire?
Je crois que les négociations gouvernementales n’ont pas trop pesé. On négociait d’un côté et on gérait la crise de l’autre. Cela a plutôt accéléré la formation du gouvernement.
Au fil du deuxième confinement, les tensions augmentent.
Il y a eu des tensions avec la police qui devait faire respecter des mesures auxquelles certains de ses membres n’adhéraient pas. Demander aux gens d’arrêter d’avoir une vie ordinaire, c’est une tâche ingrate. Je n’étais pas de ceux qui exigeaient des policiers de faire de l’excès de zèle mais des citoyens ont quand même été embarqués.
Trouvez-vous la coordination entre les bourgmestres a été efficace?
Les réunions du Conseil régional de sécurité étaient très ouvertes, ce qui a été apprécié par les bourgmestres. Évidemment, nous avons à la Conférence des bourgmestres des responsables qui sont très attachés à l’autonomie communale. Certains ont voulu s’affirmer comme des bourgmestres protecteurs. C’est vrai que la loi communale nous donne de vrais pouvoirs. Quand on a arrêté une approche globale, c’était très intéressant. Pour le reste de la coordination, il y a eu des couacs au niveau des masques, de la lenteur au début de la campagne de vaccination, mais on n’est pas préparé à gérer une telle épreuve. La situation institutionnelle du pays a-t-elle engendré des dysfonctionnements ? Je demande à voir. La France n’a peut-être pas fait mieux. On a parfois une tendance à s’auto-flageller dont je ne vois pas toujours l’utilité.
Pensez-vous que cela change le regard du citoyen envers son bourgmestre?
Je crois que nous faisons face à un mouvement de défiance envers le monde politique. On nous associe à des couacs. D’un autre côté, il y a eu beaucoup de réactions positives envers les élus locaux. Cela aura un impact sur la manière de faire de la politique. On doit renforcer le contact direct avec les gens.
Quelle a été le plus dur pour vous?
La fermeture des crèches et des écoles a été la décision la plus difficile à prendre. Nous sommes déjà dans un quartier avec des inégalités. Nous savons qu’on aggrave le retard scolaire. Nous avons mis des moyens supplémentaires en créant des classes de mise à niveau pendant les vacances ou des salles pour les étudiants avec du wifi. On prend des mesures sanitaires mais on les accompagne socialement.
Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?
Je reste prudent. C’est un virus en mutation permanente. J’espère que le vaccin couvre un large spectre mais rien ne le garantit. Prudence.
Qu’est-ce qui vous a surpris?
La résilience des Belges m’a surpris. Ils ont fait preuve de beaucoup de sang-froid.
Qu’est-ce qui vous a choqué?
Le populisme ambiant où certains font des querelles politiciennes sur tout et n’importe quoi. La misère utilisée à des fins de populisme, je trouve cela scandaleux. La théorie du complot est également un vrai challenge. Nous devons nous interroger sur notre enseignement pour savoir comment faire naître des esprits critiques capables de démonter les fake news.
Qu’est-ce qui vous a manqué le plus?
L’expérience. On doit gérer du mieux qu’on peut l’extraordinaire. Les questions sont foisonnantes et on doit garder son sang-froid pour les collaborateurs et la population tout en prenant des décisions dures en 30 minutes.
Qu’est-ce que cela a changé chez vous?
J’ai assisté à beaucoup de funérailles dont celles d’un ami footballeur. C’est un rappel à l’humilité. Nous avons des vies infernales mais il ne faut pas prendre de vue ce bien précieux qu’est la santé.
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Vanessa Lhuillier