Accompagner la marche du monde, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le décès de la Reine Elizabeth II et revient sur son histoire.

Une Reine disparaît et la planète entière se tourne vers l’Angleterre. Depuis hier soir, nous vivons à l’heure du Royaume-Uni. Quitte à paraître à contre-courant, il n’est pas interdit de nous interroger sur les raisons de cette immense émotion qui semble très partagée en Belgique aussi.

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Depuis hier soir, les médias enchaînent les éditions spéciales. À la télévision, à la radio, dans les journaux, il faudrait vraiment vivre très en retrait du monde pour ignorer qu’Elizabeth II nous a quittés aux alentours de 19 h 30. Condoléances et hommages se succèdent. Cette émotion universelle, qui traverse les continents, tient bien sûr à la longévité du règne d’Elizabeth II. La souveraine aura ainsi vécu la décolonisation, la révolution cubaine, l’envoi du premier homme sur la Lune, la chute du mur de Berlin, les guerres du Vietnam, d’Irak et d’Afghanistan, et celles des Malouines, le Brexit, la télévision couleur, les réseaux sociaux, le bitcoin, mais aussi les Beatles, le Sex Pistols, Oasis et Drake, les Monty Pythons, Mister Bean et l’intégralité des films de James Bond.

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Cette grande émotion, et cette très grande mobilisation médiatique, politique, diplomatique nous donnerait presque l’impression que nous ne faisons qu’un avec le peuple britannique. Ce serait quand même oublier que le Brexit est passé par là. Et que si on veut bien prendre un peu de distance critique, la monarchie britannique nage tout de même à contre-courant de certains principes qui sont bien ancrés en Belgique ou plus largement dans l’Union européenne. Elizabeth, c’est un marqueur transgénérationnel. Vous la connaissez, vos parents la connaissent, vos grands-parents la connaissaient probablement aussi. Avec sa disparition, c’est un peu comme si on disait au revoir au 20ᵉ siècle. Une émotion d’autant plus légitime que nous vivons dans un monde particulièrement imprévisible. La stabilité de la monarchie britannique, son incarnation par un personnage impérissable reconnaissable avec ses chapeaux et ses robes de couleur, avait quelque chose de particulièrement rassurant dans ce monde qui n’arrêtait pas de bouger tout autour d’elle.

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Elizabeth II cumulait ainsi les titres de cheffe d’État, de cheffe du Commonwealth et de cheffe de l’Église anglicane. Outre son rôle de monarque, elle incarnait donc la continuité d’un empire colonial et d’une religion d’État. Deux principes qui ne sont plus tout à fait la norme en 2022. On ajoutera la subvention que les contribuables britanniques versent chaque année à la famille royale. En 2020, c’était 1 livre 15 par contribuable, à peu près 1,50 euro. Au total, 89 millions de livres sterling, en gros 100 millions d’euros. C’est comme si la reine d’Angleterre gagnait à l’EuroMillions tous les ans.

Bref, depuis hier, on loue beaucoup les qualités d’Elizabeth II et de la monarchie britannique. On oublie évidemment de parler de ce qui aurait quand même beaucoup de mal à passer chez nous. Et ce n’est pas faire injure à Elizabeth II que de dire que le nouveau roi Charles III aura probablement à cœur de moderniser la monarchie britannique.

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On terminera tout de même sur un étonnement. Il y a 10 jours, le monde enterrait Mikhaïl Gorbatchev. L’homme qui fut à la base de la disparition de l’Union soviétique. Nos journaux en ont un peu parlé, mais pas du tout dans les mêmes proportions. C’est comme si, pour entrer dans nos livres d’histoire, il valait mieux accompagner la marche du monde, plutôt qu’y participer vraiment.

Un édito de Fabrice Grosfilley