Il y a 18 ans, la fin de Volkswagen Forest : retour sur une crise sociale qui résonne encore aujourd’hui
Une centaine de membres des syndicats d’Audi Brussels se sont rassemblés ce jeudi matin pour commémorer l’annonce de la fermeture de l’usine Volkswagen, qui a eu lieu il y a exactement 18 ans sur le même site. Un signal adressé à la direction d’Audi “pour qu’elle referme sereinement cette grande page de l’histoire belge“. BX1 a plongé dans ses archives pour retracer cette importante crise sociale, qui résonne particulièrement aujourd’hui.
21 novembre 2006. Les représentants des travailleurs de Volkswagen Forest sont réunis pour un conseil d’entreprise extraordinaire. La direction a quelque chose à leur annoncer, mais l’objet de cette convocation ne fait plus beaucoup de doutes. La rumeur court depuis plusieurs semaines : la maison-mère de Volkswagen préparerait le plus grand plan social de son histoire avec un allongement du temps de travail, la suppression de milliers d’emplois, mais surtout le transfert du site de Forest vers l’Allemagne.
Devant les représentants, la direction met finalement fin au suspens : la production de la Golf est transférée sur les sites allemands de Wolfsburg et de Mosel, signifiant de facto la fin de l’activité sur le site bruxellois. 3.000 postes vont être supprimés. “L’usine bruxelloise sacrifiée sur l’autel de la préservation des emplois en Allemagne“, titrent les quotidiens à l’époque. Le monde politique belge dénonce quant à lui l’abandon par Volkswagen “dont la vocation sociale a disparu avec la perte de son avancée technologique“.
Pour les 5.400 ouvriers de l’usine, c’est le choc. D’autant que le site, au vu de ses bénéfices de l’année précédente, semble toujours compétitif. Mais le groupe VW, qui a repris la direction du site forestois au groupe d’Ieteren dans les années 70, explique que le marché automobile est en pleine stagnation et que son usine belge est sous-utilisée.
Une longue attente
Quelques jours plus tôt, sans nouvelles de la direction malgré les rumeurs persistantes, les travailleurs décident de débrayer. Ils se relaient pendant plusieurs jours pour faire le pied de grue devant l’usine. Ils s’expriment alors à notre micro pour partager leurs incertitudes et leurs craintes. “On ne nous dit rien du tout. Ce sont toutes des rumeurs. On parle de licenciements, de fermeture carrément. Cela fait dix ans que je travaille ici, dix ans qu’on me dit que l’usine va fermer“, s’inquiète un travailleur.
Le samedi 2 décembre 2006, une manifestation organisée par la Fédération européenne des métallurgistes rassemble de 15 à 25 000 syndicalistes, citoyens et responsables politiques pour défendre l’emploi sur le site.
Une passation difficile
Rapidement, la direction évoque la piste d’un nouveau modèle permettant de limiter la suppression totale des emplois : l’Audi A1, en exclusivité pour le groupe sur les chaînes bruxelloises à partir de 2009, avec le maintien à la clé de 2.200 emplois. Mais cette reprise par Audi est soumise à une condition : le site bruxellois devra accepter de réduire ses coûts de 20% via un allongement du temps de travail de 35 à 38 heures sans compensation salariale ainsi qu’une flexibilité accrue du travail. “Si j’avais su, je me serais barré comme les autres“, témoigne à l’époque un travailleur à notre micro.
En février 2007, un référendum est organisé. Une seule question : “Êtes-vous d’accord ou pas pour poursuivre (l’activité) avec Audi ?”. En d’autres termes : acceptez-vous les conditions du nouveau repreneur pour éviter une fermeture pure et simple du site forestois ? Les syndicats dénoncent à l’époque “un couteau sous la gorge”, d’autant que l’approbation du plan social dans son ensemble – qui comprend les primes de départ et prépensions – est conditionné à cet accord. Le “Oui” l’emporte finalement à 76% des 2.060 travailleurs qui ont participé au vote. La cellule de reconversion peut enfin être mise en place pour accompagner les travailleurs qui auront perdu leur emploi dans cette restructuration.
Le 14 mars 2007 à Ingolstadt, en Allemagne, une lettre d’intention est signée entre Ruper Stadler, CEO d’Audi, et les représentants du personnel de Forest. Pour occuper les ouvriers restés à son chevet le temps d’être mise aux normes, Audi Forest participe entre 2007 et 2009 à produire le surplus de commande en Audi A3, VW Golf et Polo. En 2009, elle devient le seul site du groupe à construire le nouveau modèle Audi A1.
“Un grand jour pour notre pays”
La reprise a lieu en grande pompe le 31 mai 2007 dans le centre de Bruxelles. Volkswagen Forest devient officiellement Audi Brussels. “Ce jour est un grand jour pour notre pays“, déclare alors le Premier ministre de l’époque Guy Verhofstadt. “Audi Brussels est la preuve que l’industrie automobile a un avenir en Belgique.”
Ce matin, sur le site d’Audi Brussels, les mines sont sombres. Jan Baetens, secrétaire syndical de l’ACV-CSC Metea, l’un des initiateurs de l’événement, estime qu’il existe de nombreux parallèles entre la fermeture imminente de l’usine, prévue pour le 28 février 2025 et la restructuration de 2006. “La grande différence, c’est qu’aujourd’hui, les travailleurs n’ont aucun espoir de recommencer le travail après la fermeture“.
La fin d’une époque.
Victor de Thier – Photos : Belga / Vidéos : BX1