L’édito de Fabrice Grosfilley : dérapages

Il va déposer plainte. Dans une vidéo publiée hier sur les réseaux sociaux, Bernard Clerfayt, le bourgmestre empêché de la commune de Schaerbeek, ne cachait pas sa colère. Un tract inacceptable, des accusations fantaisistes qui sont la négation de ce que je suis, cette campagne a touché le fond, disait-il. En cause, un tract qui, effectivement, ne fait pas dans la dentelle. On y voit Bernard Clerfayt, affublé d’ailes d’ange et coiffé d’une auréole, avec en grand la mention « islamophobe ». Ce serait parce qu’il aurait dit “non au halal” et “non au voile” que les auteurs du tract estiment pouvoir accuser le candidat bourgmestre d’islamophobie. Les arguments ne sont pas développés, juste quelques mots et quelques visuels dans un photomontage avec la maison communale en arrière-plan. Un tract en couleur, mais qui n’a pas été signé, ce qui est contraire à la législation.

Il faut que les mots aient un sens et qu’on ne les emploie pas à tort et à travers. L’islamophobie, c’est l’hostilité envers l’islam et les musulmans. Définition du dictionnaire Larousse et du Robert. Être islamophobe, c’est donc tenir des propos ou poser des actes qui relèvent de cette hostilité. La définition est importante, car l’islamophobie est une forme de racisme, et donc en théorie punissable par la loi. Si on fait référence au port du voile ou à la viande halal, comme le font les auteurs de ce tract, on peut supposer que ce sont les positions défendues par Bernard Clerfayt dans ces deux dossiers qui sont visées. Deux dossiers où l’actuel ministre de l’Emploi a défendu le programme de son parti, qui est favorable à l’interdiction de l’abattage sans étourdissement (ce qui concerne la viande halal) et à l’interdiction du port du foulard et des autres signes religieux dans la fonction publique, en ce qui concerne le voile. On notera aussi qu’en tant que ministre, Bernard Clerfayt a dû accepter des compromis : le port du foulard reste possible à la STIB, par exemple, mais pas dans les fonctions d’autorité ou en contact avec le public. Sur le fond, on peut débattre de ces idées. On peut estimer que, par exemple, faire de l’interdiction de l’abattage sans étourdissement, qui concerne les religions juives et musulmanes, une priorité est stigmatisant. Que le bien-être animal, ce serait d’interdire toute forme d’abattage si l’on veut que les animaux ne souffrent pas. On peut aussi considérer que le port du foulard ou d’un autre signe distinctif n’empêche pas de faire son travail avec compétence et dans le respect des règles du service public, c’est-à-dire avec neutralité. C’est le débat entre la neutralité des actes et la neutralité d’apparence. On a donc parfaitement le droit d’être d’accord ou non avec les idées de Bernard Clerfayt sur ces sujets. Mais être en désaccord n’autorise pas pour autant à le traiter d’islamophobe. L’accusation est d’autant plus outrancière quand on sait que les premières années de Bernard Clerfayt en politique ont été marquées par son combat contre le nolsisme et son héritage, et que Roger Nols, lui, était ouvertement islamophobe.

Dans cette campagne électorale, il y a donc parfois des outrances, des attaques qui visent délibérément les candidats et les candidates en dessous de la ceinture. Des moments où la passion l’emporte sur la raison. Ces dérapages prennent parfois un tour nauséabond. Lorsqu’on affuble une affiche d’une moustache hitlérienne, ou qu’on traite quelqu’un de nazi, ou qu’on dessine une croix gammée. Cela peut paraître potache et sans conséquence. Ce ne l’est pas quand le candidat en question est de confession juive. Outrance encore quand on compare, dans un photomontage, Christos Doulkeridis, bourgmestre d’Ixelles, à Benjamin Netanyahu. À Christos Doulkeridis, certains reprochent de ne pas avoir rompu un accord de jumelage avec une commune israélienne, mais seulement de l’avoir suspendu. Benjamin Netanyahu, lui, est responsable de bombardements ayant fait des milliers de victimes civiles. On est pas du tout dans le même registre. Dans d’autres communes, on lance ou relaye des rumeurs sur l’âge d’un candidat ou ses prétendus ennuis de santé. On pourrait encore multiplier les exemples.

Bien sûr, une campagne, c’est aussi fait de bons mots, de petites phrases, de slogans. Moi-même, dans cet édito, j’use de bons mots, de formules qui font mouche. Mais il faut faire la différence entre une expression destinée à faire passer une idée et une attaque personnelle destinée à disqualifier la personne. Quand l’intention est malveillante, qu’on fait référence à la Seconde Guerre mondiale, au génocide, qu’on est dans l’idée de stigmatiser l’autre, il faut se poser la question du dérapage. Une campagne électorale, c’est un débat d’idées. Ce n’est pas la guerre. Cela ne doit jamais l’être. Tous ceux qui franchissent la limite, qui encouragent ou tolèrent que leurs militants et supporters la franchissent, portent une lourde responsabilité dans l’affaiblissement du débat démocratique. Et ils doivent prendre garde : quand on utilise la violence, même verbale, les attaques personnelles ou les affirmations mensongères… Cela finit toujours par se retourner contre vous un jour ou l’autre.

Fabrice Grosfilley