“Aujourd’hui, nous enterrons Dame Justice”, fustige une victime des Tueurs du Brabant

Après plus de 40 ans, le parquet fédéral a finalement décidé de mettre fin à l’enquête des tueurs du brabant. Les victimes sont dans mélangées entre colère et frustration.

Irena Palsterman, l’une des victimes des Tueries du Brabant, a qualifié la décision du parquet fédéral de mettre fin à l’enquête sur ce dossier vieux de 40 ans de “honte”. “Aujourd’hui, nous enterrons Dame Justice”, a lancé celle qui a vécu l’attaque du Delhaize d’Alost où huit personnes, dont son père, sont mortes.

Le 9 novembre 1985, Jan Palsterman, 40 ans, avait été abattu sur le parking du supermarché. Juste avant, il avait fait rentrer ses enfants, Irena et Diederik, dans le commerce parce qu’il devait encore faire le plein de carburant. Sa fille Irena se souvient de son père comme de “l’homme le plus correct qui soit” et affirme qu’elle continuera à se battre pour sa réhabilitation. Chaque jour, elle est confrontée aux cicatrices mentales du braquage sanglant. “Certains jours sont meilleurs, d’autres moins, comme lors de l’anniversaire de mon père ou de la fête des pères”, répond-elle.

“Ma mère est décédée récemment. Elle avait un dossier sur les Tueurs du Brabant qui remplissait dix boîtes de rangement de 64 litres…. C’était la vie de ma mère de 1985 à 2018, lorsqu’elle est tombée malade. Elle n’aurait pas dû être une enquêtrice, elle aurait dû obtenir des réponses et un soutien psychologique pour faire face à cette situation, mais elle ne les a obtenus de personne”, a dénoncé Mme Palsterman. Comme d’autres victimes de la bande dite “de Nivelles”, elle se sent déçue de la décision du parquet fédéral et estime que toutes les enquêtes n’ont pas été menées à bien.

Pour elle, il est ici notamment question de “secrets d’État”. Pour Ingrid Mulder, qui a perdu sa soeur dans cette même attaque du Delhaize d’Alost, tout n’a pas été mis en œuvre pour retrouver les Tueurs du Brabant. Des choses qui ne devaient pas être connues ont été étouffées, affirme cette survivante. Maintenant que l’enquête est officiellement close, Ingrid Mulder ressent surtout de la colère. “Qu’ils osent dire ‘Nous n’avons rien trouvé, nous classons l’affaire’… On peut donc tuer 28 personnes, mutiler des gens et tuer des enfants ? On peut faire ça en Belgique et on ne peut rien y faire!”, a-t-elle fustigé, qualifiant cette journée de difficile et de très émouvante. “Je ne connais rien à la conduite d’enquêtes mais, lorsque vous travaillez sur une affaire avec un groupe de personnes aussi important et autant de spécialistes, vous pouvez vous demander s’ils font bien leur travail. Supposons que ce soit le cas et que ce qu’ils ont trouvé ne puisse pas être révélé, c’est évidemment frustrant pour eux aussi. (…) Je crois vraiment que les choses ont été étouffées. Vous ne pouvez pas me dire que vous n’avez rien trouvé après toutes ces années”, a affirmé Ingrid.

Elle se sent donc délaissée “par le pays et par le ministère de la Justice”. “Ils pensent qu’ils sont en sécurité grâce à la petite aide aux victimes qu’ils ont apportée, mais il y a beaucoup plus que cela”, a-t-elle conclu.

“Une enquête mal partie va mal aboutir”, assène Patricia Finné, victimes des Tueurs

Patricia Finné, la fille de Léon Finné, abattu au Delhaize d’Overijse en septembre 1985, ne cachait pas sa colère vendredi après la décision du parquet fédéral de mettre fin à l’enquête autour des Tueurs du Brabant. “Dès le départ de l’enquête, il y a eu plein d’erreurs qui ont été faites. Et à partir du moment où une enquête, dès son début, est mal partie, elle va mal aboutir”, a-t-elle asséné.

Environ 80 proches des victimes de cette vague d’attaques dans des supermarchés et d’autres commerces en 1983 et 1985 – qui a fait 28 morts – avaient fait le déplacement jusqu’au Justitia vendredi matin pour une réunion à laquelle les avait conviés le parquet fédéral. Il leur a été annoncé la fin de l’enquête, ouverte depuis plus de 40 ans. Lorsque la décision leur a été officiellement partagée, “il y avait le silence le plus absolu dans la salle”, a décrit Patricia Finné. “Tout le monde s’y attendait un peu quelque part.”

Selon elle, le parquet fédéral avait l’air “désolé”. “C’est un bel échec pour eux aussi, pas que pour les familles.”

Patricia Finné a pris cette décision “avec d’abord beaucoup de tristesse mais aussi et surtout beaucoup de colère”. “S’ils n’ont pas trouvé après 40 ans, c’est qu’ils n’ont pas cherché dans la bonne direction”, estime-t-elle. “La vérité existe quelque part, il suffit de la trouver! Je sais que ce n’est pas simple… mais il faut la trouver. Ce n’est pas en arrêtant qu’ils y arriveront. Pour moi, ce n’est pas fini.”

La fille de Léon Finné ne va pas, comme certains, jusqu’à affirmer que la justice ou la gendarmerie étaient corrompues. “Je n’ai aucun argument pour le dire ou le prouver.” Elle s’interroge cependant sur les erreurs commises au début de l’enquête. Comme de nombreuses victimes, Patricia Finné va à présent consulter son avocat pour examiner les possibilités qui s’offrent à elle et attend la décision de la chambre du conseil. Cette dernière doit en effet encore déclarer la fermeture du dossier. Les victimes auront toujours la possibilité de consulter le dossier et éventuellement de demander des actes d’enquête supplémentaires, mais sans garantie que la chambre du conseil les ordonne.

Les proches des victimes très déçues de l’arrêt de l’enquête sur les Tueurs du Brabant

Les proches des victimes des Tueurs du Brabant n’avaient pas de mots assez durs pour qualifier leur déception et leur incompréhension face à l’annonce qui leur a été faite vendredi de la fin de l’enquête sur ce dossier vieux de presque 40 ans.

Malgré des années d’investigations, la lumière n’a en effet jamais pu être faite sur ces vagues de braquages meurtriers dans les supermarchés en 1983 et 1985. Vingt-huit personnes au total y ont perdu la vie. L’avocat Kristiaan Vandenbussche représente plusieurs parties civiles victimes de l’attaque du Delhaize d’Alost le 9 novembre 1985, qui avait fait 9 morts. “Nous, les familles, devons accepter cette annonce, mais ce n’est pas acceptable comme décision. La Justice n’a pas réussi à trouver les coupables. Je n’ai pas de mots pour ça”, a-t-il réagi.

Il s’est dit très ému par l’annonce de la clôture de l’enquête et a dénoncé l’attitude de la gendarmerie au début de l’enquête. “Ce sont les gens qui doivent protéger les victimes. C’est la gendarmerie qui a fait le sabotage de l’instruction et c’est ça le problème.” Autre victime, Christine Nijs, qui a perdu son frère et sa nièce lors de ce même braquage à Alost, alors qu’elle avait 24 ans. “On a un peu de foi en l’enquête si quelqu’un travaille encore dessus. Mais là, il n’y a désormais plus personne”, regrette-t-elle. “Cela veut dire que l’on n’aura jamais de réponses, jamais de justice non plus. Il n’y a pas beaucoup de faits en Belgique où l’on peut dire cela… Et c’est un grand problème pour beaucoup de familles”, a-t-elle confié.

“C’est un choc pour tout le monde, tant pour les victimes que pour leurs proches. La plupart vivent mal cette annonce. L’injustice est grande!“, a lancé Christine Nijs. A ses yeux, l’enquête n’a pas été bien menée, et ce dès le début. Il y a eu “trop d’enquêtes différentes” au fil des ans et trop d’équipes différentes ont travaillé sur l’affaire, ce qui signifie que le flux d’informations n’a pas toujours été fluide.

“Au début également, beaucoup d’informations ont été perdues et trop peu d’actes d’enquête ont été réalisés. J’ai vu les actes d’enquête effectués sur ma famille, qui étaient très brefs.” “Comme de nombreuses victimes, j’ai toujours le sentiment que le dossier a été influencé et que certaines choses n’ont pas pu être révélées”, a-t-elle encore déclaré. Le fait que l’affaire soit désormais imprescriptible lui donne un peu d’espoir. “Je pense que quelque chose finira par arriver, mais les coupables ne seront plus punis”, a regretté Christine Nijs. Elle s’interroge sur les suites à donner à cette décision, à laquelle elle s’attendait. “On n’est pas d’accord avec ça, on ne doit pas l’être. On ne peut pas dire ‘merci pour tout ce que vous avez fait’. On va voir ce que l’on va faire et demander.”

La fermeture du dossier doit en effet encore être déclarée par la chambre du conseil, devant laquelle il sera fixé prochainement. Les victimes auront toujours la possibilité de consulter le dossier et éventuellement de demander des actes d’enquête supplémentaires, mais sans garantie que la chambre du conseil les ordonne. L’affaire sera probablement classée, mais Christine Nijs ne peut pas laisser tout cela derrière elle. “Ma vie entière a été bouleversée. Les victimes et les proches que je connais savent que leur vie a été lourdement affectée par ce qui s’est passé. C’est une fin amère”, a-t-elle conclu.

Une des victimes des Tueurs du Brabant dénonce une “justice corrompue”

David Van de Steen, l’une des victimes des Tueurs du Brabant, a réagi de manière très critique à la clôture de l’enquête sur cette affaire vieille de presque 40 ans annoncée vendredi. Il ne s’est pas déplacé jusqu’au Justitia pour la réunion (des proches) des victimes à laquelle l’avait convié le parquet fédéral. Sur Facebook, il a dénoncé un “système judiciaire incompétent et corrompu”.

Le parquet fédéral a invité vendredi les proches et la presse afin d’annoncer la clôture officielle de l’enquête sur les Tueurs du Brabant, dont les attaques, principalement dans des supermachés, ont fait 28 morts en 1983 et 1985. Même si la décision était quelque peu attendue, elle reste une pilule amère à avaler pour de nombreux proches. David Van de Steen, qui avait été grièvement blessé et perdu sa sœur aînée et ses parents lors de l’attaque du Delhaize d’Alost alors qu’il n’avait que 9 ans, n’a délibérément pas assisté à la réunion de vendredi.

“Je refuse obstinément d’avoir à écouter comme un petit enfant ce que je peux ou ne peux pas croire au sujet de leur enquête”, a-t-il écrit sur Facebook. “À 48 ans, personne n’a besoin de me dire à quel point les choses sont corrompues depuis 40 ans”, a-t-il dénoncé. “Les familles politiques et de la noblesse sont protégées jusqu’à ce jour. Quiconque dit le contraire peut rejoindre le ‘parquet fédéral’. Je ne peux pas et je ne veux plus me laisser faire par un système judiciaire incompétent et corrompu.”

■ Reportage de Lisa Saint-Ghislain et Daniel Magnette