“La population ne souffre pas de ne pas avoir accès de manière digitale à l’ensemble des services publics”
Une commission bruxelloise mixte des assemblées régionale et communautaires (CoCom et Cocof) a entamé mercredi l’examen d’un projet d’ordonnance destinée à encadrer la digitalisation progressive des administrations. Cette première initiative du genre en Belgique, voire en Europe, fait l’objet d’une attention redoublée des services sociaux et associatifs face au risque de fracture accrue au sein de la population entre ceux qui maitrisent l’outil et ceux qui ne le peuvent.
Plusieurs dizaines de représentants de ceux-ci se sont présentés à proximité du parlement pour exprimer cette inquiétude relayée par ailleurs durant les premiers échanges de mercredi par des députés tant de l’opposition que de la majorité. Le ministre bruxellois en charge de la Transition numérique, Bernard Clerfayt (DéFI), s’appuie quant à lui sur la progression de l’accès à internet en 2023 – selon Statbel, 95% des Belges de 16 à 74 ans utilisent cet outil contre 89% en 2018 -. et sur les avantages (gain de temps, rapidité de traitement, sécurité, réduction des déplacements, administration accessible 24h sur 24) pour justifier la nécessité d’encadrer le processus de numérisation en cours dans l’administration. Pour le moment, il n’y a pour ainsi dire pas de règle en la matière.
Pour répondre aux demandes du secteur, il propose l’ordonnance Bruxelles Numérique, avec des balises pour les Bruxellois qui ne maîtrisent pas le numérique : maintien des guichets physiques, des centrales d’appels et de la voie postale pour tous ceux qui ne font pas le choix du numérique. Selon lui, le texte prévoit de rendre toutes les démarches disponibles en ligne. Pour ceux qui ont besoin d’une aide, les administrations seront tenues de proposer un accompagnement pour les aider à effectuer leur démarche en ligne. Par exemple, un accompagnateur numérique qui aide les citoyens. Pour les personnes porteuses d’un handicap, des démarches accessibles et adaptées à leur handicap. Enfin, à tout moment, le citoyen qui a effectué des démarches en ligne, peut changer d’avis et revenir à des canaux traditionnels.
“Urgence sociale”
Le début de la longue séance de mercredi a d’abord a été longuement interrompu par un huis clos sur l’opportunité ou non d’organiser des auditions, comme le souhaitaient notamment le MR et le PTB. La pression de l’associatif mais aussi du monde académique dont 80 représentants ont signé mardi une carte blanche dans “Le Soir” est forte. “On n’a pas de problème avec la numérisation en soi, mais on voit que la problématique majeure vécue par la population aujourd’hui, c’est un problème d’accès physique aux services publics”, a réagi Céline Nieuwenhuys, Directrice des la Fédération des services sociaux à notre micro. “Il y a une urgence sociétale pour avoir des textes ambitieux pour un accès physique voire téléphonique à l’ensemble des services publics. Aujourd’hui, la population ne souffre pas de ne pas avoir accès de manière digitale à l’ensemble des services publics”.
Au final, il a été décidé d’entendre mercredi prochain Stéphane Vanden Eede, expert à l’ASBL Lire & Ecrire, ce dont le MR s’est dit satisfait même s’il en aurait voulu davantage. Par les voix d’Aurélie Czekalski et de Clémentine Barzin, la formation libérale de l’opposition a également proposé, notamment, de créer des points d’accès numériques dans les quartiers les plus défavorisés, de former les publics les plus vulnérables aux compétences numériques de base et de leur simplifier les démarches administratives en ligne. “Nous notons les éléments apportés dans le texte, le soutien à l’échange en ligne, au maintien d’un accueil physique ou téléphonique, mais des questions demeurent sur la forme que cela revêtira. Il faut être plus clair”, a insisté Clémentine Barzin, plaidant aussi pour le maintien de contacts hors ligne pour les entreprises et les indépendants.
Maintien des alternatives
Pour Françoise Desmedt (PTB), il ne peut y avoir d’opposition à la mise en ligne des services publics, mais “le mot d’ordre doit être clair: l’humain d’abord. Or, il y a une disproportion entre les nouveaux droits de ceux qui ont accès au digital et ceux des autres qui sont attaqués, comme l’a démontré la période de Covid”, a-t-elle dit. Comme ses collègues de l’opposition, Christophe De Beukelaer (Les Engagés) s’est également inquiété de l’impact de la fracture numérique et du trop grand nombre de portes encore ouvertes à des dérives. Il a déploré l’absence de plan de prise en compte de l’impact environnemental du numérique.
Dans la majorité, tant le PS qu’Ecolo ont souligné les avancées enregistrées au fil des mois dans les évolutions du texte “qui est loin d’être parfait mais a le mérite d’exister”, a souligné Marc-Jean Ghyssels (PS). Même son de cloche chez Ecolo. Selon Farida Tahar, il a été tenu compte d’une série d’amendements déposés par les Verts notamment pour rendre non plus facultatives, mais obligatoires, des dispositions concernant le maintien des alternatives à la voie numérique. L’élue Ecolo a toutefois invité l’ensemble des formations politiques à mener le débat sur ces questions aux autres niveaux de pouvoir tant l’enjeu dépasse de loin les frontières régionales.
BX1 – photo : Belga