L’éditorial de Fabrice Grosfilley : pour une politique de projets
Pourquoi gouvernent-ils encore ensemble ? C’est la question que l’électeur est régulièrement en droit de se poser lorsqu’il observe les chamailleries et les dissensions que les acteurs du monde politique exposent à longueur d’années. Le mini-débat organisé hier soir par la RTBF entre Paul Magnette et Georges-Louis Bouchez dans le cadre de “Jeudi en prime” ne fait pas exception. Des divergences de vue entre partenaires de coalition, cela a toujours existé, et cela existe à tous les niveaux de pouvoir. En Région Bruxelloise par exemple, sur le respect d’un strict équilibre budgétaire ou pas, sur la taxation automobile, sur la friche Josaphat, sur l’abattage rituel, sans oublier le budget du musée Kanal ou l’avenir du projet d’extension du métro 3 (et on ne va pas faire la liste complète), les partenaires de la majorité bruxelloise ont des positions divergentes. A la Fédération Wallonie-Bruxelles l’équilibre entre les différents réseaux d’enseignement et la manière d’organiser les études supérieures, avec plus ou moins de décentralisation dans l’organisation des études universitaires par exemple, sont aussi des discussions où la majorité ne parle pas d’une seule voix. Le plus important c’est que ces différences ne concernent pas l’essentiel, que les coalitions gouvernementales puissent continuer à nouer des compromis, avancer, développer des projets, montrer leur unité et faire bouger les choses sur les gros dossiers.
Le problème au niveau fédéral est que les tensions y sont devenues si fortes et constantes qu’on a l’impression que cela obère la capacité d’action du gouvernement d’Alexander De Croo. Que cette équipe gouvernementale parait plus occupée à parer les coups qu’à développer de réels projets, qu’elle patine à chaque fois qu’il s’agit de lancer une réforme importante (pas de réforme fiscale, pas de réforme du marché du travail, pas de grand bouleversement en matière de pension, une réforme de la justice désormais compromise). Même la gestion de ce qui existe déjà semble compliqué : créer des places pour les demandeurs d’asile, financer correctement la police et la justice sont des dossiers qui reviennent périodiquement, comme si les engagements devaient chaque fois être répétés et remis sur le métier pour être réellement respectés. C’est vrai que le fédéral a été balloté d’une crise à l’autre pendant cette législature, avec la Covid 19, la guerre en Ukraine et maintenant la guerre au Proche-Orient. Mais cela ne peut pas être une excuse, et les bonnes décisions prise dans le cadre de ces crises successives ne doivent pas servir de paravent pour masquer l’inaction pour cause de dissension dans les matières régaliennes ou sur le chapitre socio-économique.
Alors bien sûr, l’État Belge est une machine complexe et délicat : le niveau fédéral, les régions, les communautés, le tout sans hiérarchie des normes. L’émiettement du paysage politique, avec toujours plus d’acteurs, qui ont donc fatalement de moins en moins de pouvoirs et doivent nouer toujours plus de compromis. On pourrait avantageusement envisager de tout remettre à plat, simplifier les structures, s’interroger sur le mode de scrutin proportionnel qui rend de plus en compliqué la constitution des majorité : si on écarte les plus radicaux à gauche et les plus radicaux à droite, ce sont tous les partis qui se trouvent entre ces deux extrémités qui sont contraints de participer au pouvoir. On ne voit plus les possibilité d’alternatives. Et l’électeur mécontent va donc renforcer les formations les plus radicales, à moins qu’il ne se détourne de la politique et ne renonce à participer au débat citoyen.
En attendant une hypothétique réforme des institutions ou du mode de scrutin, nos partis politiques vont devoir sérieusement se poser la question de savoir ce qu’ils souhaitent faire une fois qu’ils sont au pouvoir. La politique ne consiste pas à vouloir être au pouvoir pour le pouvoir. Ou alors on se transforme en gestionnaire à la petite semaine, avec un esprit boutiquier sans âme ni projet, contraint à des compromis peu glorieux et à une forme d’immobilise permanent, un espace où plus on se dispute, moins on change les choses, c’est tout le contraire de ce qui peut mobiliser l’électeur. A 9 mois d’élections majeures il est temps que les partis politiques nous proposent des projets. Des idées. Des programmes. Que leur communication porte là-dessus. Et que la simpliste idée de bloquer l’accès au pouvoir à l’une ou l’autre formation, fut-ce celle de Bart De Wever, cesse d’être notre seul horizon politique.