L’édito de Fabrice Grosfilley : des invitations parfaitement imparfaites
Pascal Smet devait se préparer à une journée compliquée ce vendredi. Le secrétaire d’Etat à l’urbanisme, également en charge du commerce extérieur de la Région Bruxelloise, savait qu’il serait sur le grill des questions d’actualité au parlement bruxellois, et aurait à s’expliquer sur la présence d’invités très encombrants lors du Brussel Urban Summit qui avait lieu cette semaine à Bruxelles. Une grande réunion internationale où l’on pouvait croiser des représentants de grandes villes du monde entier. Plus d’un millier de participants et parmi ceux-ci le maire de Téhéran ainsi que des élus russes, des représentants de la ville de Kazan notamment.
On peut déjà deviner une partie de la défense de Pascal Smet, qui consistera à dire que ce n’est pas lui qui invitait mais les trois associations de grandes villes et d’élus locaux. Que l’organisation de cet événement participe au rayonnement international de Bruxelles, qu’il faut aussi voir cet évènement avec le regard d’autres parties du monde et pas uniquement avec notre prisme belgo-belge, et que du point de vue brésilien, indien, sud-africain, il n’y a pas forcement de raison de ne pas inviter un maire russe ou iranien.
Le problème pour Pascal Smet c’est que pour participer à cette grande réunion internationale, les invités non-européens devaient disposer d’un visa. Et que même s’il n’est pas organisateur en tant que tel de ce sommet c’est bien lui qui a demandé aux affaires étrangères de délivrer ces visas. Des demandes pressantes et répétées. Hadja Lahbib ne s’est pas privée de le souligner à la Chambre ce jeudi. C’est un euphémisme de souligner que le maire de Téhéran n’est pas un élu comme les autres. Il s’agit d’un maire ultra-conservateur, pilier du régime, dans un pays ou les droits humains ne sont pas respectés. C’est à Téhéran, dans la prison d’Evin, que l’Iran a détenu Olivier Vandecasteele (et on rappellera que ce pays détient encore Ahmedreza Djalal professeur de la VUB condamné à mort et détenu par les iraniens depuis près de 7 ans).
Quand à la Russie, c’est un pays vis-à-vis duquel nous sommes censés appliquer des mesures de rétorsion strictes depuis l’invasion de l’Ukraine. Voir des élus russes venir discuter d’urbanisme et d’aménagement à Bruxelles a quelque chose de choquant, même s’ils sont peut-être entrés sur territoire en passant par un autre Etat membre de l’Union Européenne et qu’ils sont ainsi passé sous les radars.
Pascal Smet a donc bien commis une erreur d’appréciation. Il a fait passer les intérêts des organisateurs de ce colloque avant les intérêt de la Belgique et de la Région Bruxelloise. Il a négligé tant les droits de l’homme que la politique extérieure de la Belgique et de l’Union Européenne dans son ensemble. C’est une erreur à la fois politique et morale. Il appartient aux parlementaires d’établir si on reste au niveau de l’erreur ou s’il faut parler d’une faute dans son chef, comme on peut parler de faute dans le chef des Affaires étrangères lorsqu’il s’agissait de délivrer ces visas (c’est une compétence fédérale). Et Hadja Lahbib est un peu pathétique quand elle s’enferme dans le jeu du “c’est pas moi c’est l’autre”. À l’évidence les deux ministres ou au minimum leurs administrations ont sous estimé la portée de ces invitations. On nuancera en se rappelant qu’il y a encore deux mois on négociait au plus haut niveau avec le régime iranien. Et qu’il aurait sans doute été malvenu dans ce contexte de provoquer un incident diplomatique avec ceux qui détenaient le pouvoir de libérer ou pas un otage belge.
Dernière réflexion. Ce jeudi, à l’occasion de ce “Brussel Urban Summit”, la région Bruxelloise a lancé un nouveau slogan de marketing territorial. “Bruxelles, parfaitement imparfaite”. Il faut se méfier des slogans qui reviennent comme un boomerang. Dans l’organisation de ce colloque, dans la gestion des invitations et les demandes de visa, nos autorités se révèlent effectivement parfaitement imparfaites. Et on n’est pas sûr qu’en terme d’image, ce soit réellement flatteur.