Le secteur du transport rémunéré de personnes n’est pas rentable à Bruxelles mais survit
Alors que le ministre-président bruxellois, Rudi Vervoort (PS), a communiqué sur un avant-projet de plan taxi jeudi dernier, les parlementaires participant à la commission Affaires intérieures ont pu bénéficier ce mardi d’une étude du bureau Deloitte sur le transport rémunéré de personnes. Si la présentation était plutôt un constat, des grandes questions politiques se posent pour le futur plan régional.
Deloitte avait été mandaté par Bruxelles Mobilité en 2019 afin d’exécuter une analyse précise du secteur de transport rémunéré de personnes, en d’autres termes celui des taxis mais également des LVC (location de voiture avec chauffeur). Cette étude, elle était réclamée par plusieurs députés afin de pouvoir analyser le futur plan taxi attendu depuis plus de 7 ans, sous une loupe objective.
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L’étude a donc été menée avant la crise sanitaire. Pour certains, cette donnée fait que les chiffres avancés ne seraient plus corrects mais cette étude a le mérite d’exister et de poser des bases.
Un nombre limité de véhicules
Il faut savoir qu’en Région bruxelloise, le nombre de taxis est limité par un système de numerus clausus via des licences. Il en existe 1 300. Celles-ci peuvent se céder et s’acheter parfois très cher. Les véhicules sont en moyenne conduits par deux chauffeurs, ce qui monte le nombre de travailleurs dans le secteur du taxi à 2 057. 84% des licences sont détenues par des sociétés ne disposant que d’une seule voiture et seules 2,3% concernent des entreprises de plus de 10 véhicules. 60% des chauffeurs sont salariés et effectuent des services de 11 heures. Depuis 2013, le nombre de chauffeurs de taxi a diminué de près de 10%.
Selon Deloitte, beaucoup remettent en question la rentabilité du métier mais aussi les conditions de travail. La profession peine à attirer des nouveaux candidats et la plupart des travailleurs estiment que cela ne représentent qu’un passage dans leur carrière. L’étude ne parle pas de la féminisation du métier qui est quasi inexistante.
Pas assez de véhicule pour les PMR
Aujourd’hui, on considère que 30% de la population bruxelloise est une personne à mobilité réduite. Par définition, cette catégorie pourrait être une grande consommatrice de taxi. Or, seuls 97 taxis peuvent accueillir un passager en fauteuil roulant et ces derniers sont répartis dans 7 centrales téléphoniques. Difficile donc de proposer un service répondant réellement aux besoins de la clientèle. Pour Deloitte, cette catégorie de véhicules devrait être développée.
L’épineuse question des LVC
À côté des taxis traditionnels, on retrouve évidemment les LVC. Il ne s’agit pas uniquement des plateformes Uber ou Heetch mais aussi du transport de grand luxe ou de cérémonie. Si le nombre de licences pour ces deux dernières catégories n’a pas augmenté, celui pour le transport de luxe ou de mini-bus dans lesquels s’inscrivent les plateformes, a explosé. Entre 2013 et 2019, le nombre de voitures a augmenté de 400%. Les licences sont passées de 68 à 775. Pour les candidats au transport de personnes, il est plus facile d’accéder à ces licences non plafonnées et surtout sans accès à la profession. Être chauffeur Uber devient pour 32% des travailleurs un revenu complémentaire.
Le prix de la course
Pour les taxis classiques, le montant moyen d’une course est de 11 euros. Cela comprend le prix fixe de prise en charge, l’attente éventuelle, la tarification selon la zone et le nombre de kilomètres parcourus.
En moyenne, un chauffeur qui travaille 11 heures roulent 120 kilomètres dont seulement la moitié est occupée par un passager. De plus, entre 2013 et 2019, le temps de parcours de 5 km s’est allongé. On est passé de 12 à 18 minutes en moyenne. Deloitte a effectué une projection des revenus d’un chauffeur. Ses recettes quotidiennes se monteraient à 150 euros mais uniquement 36% lui reviendrait, le reste allant à la centrale téléphonique ou à l’employeur et couvre les frais. Cela signifie qu’il gagne 1 086,50 euros par mois. En réalité, c’est 1 600 euros qui lui reviennent car c’est le salaire minimum qui a été négocié avec le secteur.
Deloitte a aussi analysé les frais des centrales téléphoniques qui ne font que dispatcher la demande, ainsi que les frais des compagnies de taxis. Si les centrales s’en sortent financièrement, les compagnies, elles, ne sont pas rentables. Le coût pour un véhicule est de 84 845 euros par an. Si on prend ce qu’un chauffeur rapporte, cela veut dire que la perte est de 12 410 euros par véhicule par an. Un chauffeur devrait rapporter 250 euros pour que le service soit rentable.
Pour plusieurs députés présents lors de l’exposé, se pose la question de la survie du secteur. Comment une activité peut-elle perdurer si elle est structurellement déficitaire ?
Un travail au noir sous-évalué
Il y a donc une astuce qui se nomme travail au noir. Deloitte estime qu’il est de 5% dans son étude. Cependant, même avec ces 5%, le secteur reste déficitaire. “Ce n’est pas possible qu’on soit à ce niveau”, rétorque le député libéral David Weytsman. “En plus, la rentabilité diminue avec le temps entre l’augmentation de la congestion du trafic et l’arrivée des plateformes. Quelque chose ne va pas dans le système.”
Une concurrence déloyale de la part des LVC ?
Deloitte pose clairement la question de la rentabilité de systèmes comme Uber. La société internationale reconnaît qu’elle n’est toujours pas rentable. Les spécialistes de Deloitte n’ont cependant pas eu accès aux algorithmes qui permettent de calculer le prix d’une course en fonction de la demande et de l’heure. Secret commercial. Ainsi, cela peut fortement varier. Certains chauffeurs n’hésiteraient d’ailleurs pas à se déconnecter si la demande est trop forte pour faire un peu augmenter le prix. Mais attention à l’élasticité offre/demande.
Un chauffeur Uber peut gagner 700 euros par mois s’il conduit en journée, durant la semaine, mais 2 000 euros s’il parcourt la ville le soir et le week-end. La flexibilité des horaires ainsi que les prix fluctuants sont vus comme des avantages pour certains mais comme une concurrence déloyale pour d’autres. Cependant, malgré la flexibilité, ni Uber ni Heetch ne dégagent de bénéfice.
Quel avenir pour le secteur ?
Une fois le décore planté, les chercheurs de Deloitte ont voulu expliqué comment le secteur du transport rémunéré de personnes peut être développé. La Région bruxelloise, a priori, souhaite maintenir le numerus clausus. Pendant un temps, on parlait de 5 000 licences, maintenant plutôt de 2 000. En réalité, tout dépend des scénarios.
À long terme, il n’est pas certain que ce secteur soit attractif. En effet, si la Région bruxelloise poursuit sa politique d’investissement dans les transports en commun, le taxi devient moins attractif. Idem pour l’utilisation de voiture partagée. Des applications Maas (mobility as a service) comme en développe la Stib et qui donne à l’usager la possibilité de réserver une trottinette, d’acheter un billet de train ou de prendre une voiture partagée en deux clics, n’incite pas forcément à prendre un taxi individuel.
Et dans l’avenir, à l’horizon 2035, Deloitte parie aussi sur le développement de véhicule autonome. Si la voiture peut nous transporter partout mais sans chauffeur, quelles seront les conséquences pour l’emploi ?
Actuellement, Bruxelles compte 1,35 taxi pour 100 000 habitants. À Paris, c’est 5,56 et à Berlin, 2,36. Notre capitale ne peut pas être comparée à ces villes mais plutôt à Hambourg, c’est en tout cas le choix de Deloitte. Pour l’étude, il serait donc juste de supprimer le numerus clausus avec une période de transition mais elle ne dit pas comment augmenter la demande de transport.
“On a bien compris que les réponses sont politiques”, ajoute le député Jamal Ikazban (PS). “Cependant, l’étude n’aborde pas suffisamment les points concernant le statut social des chauffeurs et l’impact des plateformes. On ne sait pas non plus quel est l’impact des licences en Flandre et en Wallonie. Nous sommes dans la description et très peu de pistes sont proposées.”
En fin de séance, le président, Guy Vanhengel (Open VLD) a dû faire preuve d’un peu d’autorité car les questions des députés étaient nombreuses. Seulement, le débat politique n’aura lieu que lorsque le ministre-président, Rudi Vervoort, viendra présenter son plan taxi dans les semaines qui viennent.
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga/Dirk Waem