Inondations : un responsable bruxellois de la Croix-Rouge raconte son expérience auprès des sinistrés
Olivier Coppens est le président de la section de la Croix-Rouge à Etterbeek, et a été mobilisé en Wallonie pour venir en aide aux sinistrés.
Lors des inondations qui ont dévasté plusieurs régions du pays, les sections bruxellois de la Croix-Rouge ont notamment été mobilisées dans les zones sinistrées. Ce fût, par exemple, le cas de la section d’Etterbeek, donc le président nous livre un émouvant témoignage en Région liégeoise, “un récit de 96 heures hors normes, quand la réalité dépasse (largement) la fiction“.
Tout commence jeudi, en fin d’après-midi. “Le téléphone sonne : mon responsable du service secours, Lionel, me dit : ‘Nous sommes en pré-alerte pour Liège‘. Rapidement, tout s’organise. Les volontaires sont rapidement contactés par un membre du comité, Raphaël. Nous connaissons alors les disponibilités de chacun pour les trois prochains jours”, relate Olivier Coppens.
Dans un premier temps, les volontaires bruxellois restent dans la capitale. “Nous n’intervenons par directement. Viens d’abord le temps des évacuations grâce aux pompiers, à la protection civile et à tous les volontaires. Durant le jeudi soir, La Croix-Rouge en Wallonie se déploie déjà. Bruxelles envoie du matériel en renfort. Nos volontaires veulent intervenir, mais nous ne pouvons ajouter du chaos au chaos. L’urgence se traite. Les secours s’organisent. Nous restons prêts à aller si on a besoin de nous“.
Vendredi
La journée de vendredi, quelques heures avant les terribles inondations qui dévasteront notamment Verviers et Pepinster, la journée du président etterbeekois débute par un coup de fil du bourgmestre, Vincent De Wolf (MR) : “Le message est clair, court et complet, comme on en a l’habitude à la Croix-Rouge, la règle des trois C : ‘Olivier, Etterbeek veut aider, mais nous voulons faire les choses correctement. Peux-tu me revenir avec les besoins concrets de la Wallonie ?‘ Réponse : ‘Oui, dans l’heure‘.
Débute alors une intense coordination avec la direction de l’organisation, et de ses pôles dans le sud du pays. “Tout le monde est en réunion mais le message qui en ressort est déjà clair : ce qui se fera doit être organisé et un coordinateur au niveau de l’aide sociale est recherché. J’endosserai ce rôle“.
En fin de journée, l’ensemble des présidents des sections bruxelloises se réunit, et chacun explique les actions menées dans les différentes communes. “Je transmets les consignes de La Croix-Rouge : pas de récoltes de dons à organiser par nous, les communes s’en sont chargées et la Wallonie en a déjà suffisamment“.
À 23h50, un dernier appel de son responsable secours : “‘Olivier, le 1722 recherche un volontaire pour assurer la permanence ce samedi à la centrale 112 de Bruxelles“. C’est parti pour matinée de 8h à 13h. Lionel me remplacera de 13h à 19h pour que je puisse être disponible à la coordination“.
Samedi
Ce samedi-là, les appels de la province de Liège sont tous déviés à la centrale 112 de Bruxelles, située à la caserne de l’Héliport. “La détresse avait un visage, désormais elle a aussi une voix (…) Angleur, Trooz, Chenée, Liège, Vaux. Je découvre par téléphone des communes dont j’ignorais l’existence mais j’essaie surtout de faire abstraction des émotions. Cinq heures d’appels. Court Clair Complet. Deux à trois minutes en moyenne par appel alors que le téléphone ne cesse de sonner. D’autres appels attendent. Je fais de mon mieux pour prendre les informations des sinistrés : adresse, coordonnées, quantité d’eau à pomper, danger éventuel. Nous réorientons des appels vers le 112 : une maison sur le point de s’effondrer, une bonbonne de gaz retrouvée dans un jardin, une cabine à haute tension sous eau. Je visualise, j’imagine“.
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À 10h, la décision est prise de partir sur le terrain, avec un départ prévu à 13h. “Nous partons avec la section de Schaerbeek, en civils. Nous ne sommes pas appelés officiellement, mais nous voulons aider. Nous commençons donc par le Brabant wallon, par des proches de nos volontaires qui ont besoin d’aide pour déblayer. Première mission pour nous finie, nous trouvons sur les réseaux sociaux un numéro qui coordonne les aides dans la province de Liège. On nous envoie vers une école à Vaux-sous-Chèvremont. Nous recevons sur le trajet l’autorisation d’intervenir de façon officielle. Nos polos sont dans notre sac. Nous enfilons notre tenue, et nous dirigeons vers Vaux“, relate Olivier Coppens, le président de la section etterbeekoise de la Croix-Rouge.
“La détresse avait un visage, puis une voix. Désormais elle est un silence“, commente-t-il, “Bonne ambiance dans la voiture. 2h20 plus tard, nous arrivons. Silence complet dans la voiture. Le KO. Les maisons sont vides. Tous les biens sont sur le trottoir. Leur vie est empilée sur quelques mètres cubes. Nous nous frayons un passage, slalomons entre des morceaux de route ou de murs détachés, des meubles, des taques d’égouts ouvertes. Les gens sont fatigués. Les mines sont tirées. Les habitants sont couverts de boue. Toujours aucun bruit dans le véhicule“.
À l’heure arrivée dans l’école communale, les secouristes découvrent la directrice, Isabelle, qui nettoie les lieux depuis le matin. “Exténuée, elle semble pourtant avoir peu avancé. Cette école est immense. Même avec ses quelques volontaires de la journée, c’est impossible. Il lui faudrait des semaines. Nous faisons un état des lieux avec elle. Un réfectoire, une classe, deux salles, trois, quatre, huit, dix, cuisine, cave de la taille de l’école sous eaux. ‘Madame…’ ‘Appelez-moi Isabelle’ ‘Isabelle, rentrez vous reposer, nous allons continuer’. Cette école est symbolique. Les instituteurs ont été touchés par les inondations, ils s’occupent de leur maison, nous nous devons d’aider ce lieu d’apprentissage. Nous commençons par vider le réfectoire“.
Il leur faudra deux heures pour le vider et le nettoyer. Des équipes de Schaerbeek et de Woluwe-Saint-Lambert rejoignent les volontaires sur place, ainsi que l’unité d’appui bruxelloise et une seconde équipe de Woluwe. “Nous sommes une vingtaine, mais ce qui me frappe, ce n’est pas cette école, ce sont les habitants. Ce sont eux les héros. Ce sont eux les courageux. Ce sont eux les victimes. En 48h, ils ont créé spontanément un centre dans une église. Elle est remplie de dons de vêtements, de nourriture. Un fritkot est devant pour nourrir les habitants. Les uns déblaient chez les autres et les autres chez les uns. Quelle entraide. Tout s’est fait spontanément“.
Les volontaires repartent vers minuit, bien que certains restent sur place. Ils seront de retour à deux heures du matin à Bruxelles, tant les trajets sont compliqués par l’état des routes.
Dimanche
Dimanche matin, c’est l’heure du tri des dons. “Au vu de la quantité et de la générosité des biens, nous devons interrompre avant la fin. BX1 et LN24 nous contactent également pour réaliser un reportage sur notre départ à midi. Midi, c’est aussi l’heure d’une nouvelle réunion de coordination, par Zoom“.
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Plusieurs véhicules repartent, en direction de Vaux, où Olivier les rejoindra plus tard, avec la Directrice et la Présidente de la Croix-Rouge de la capitale. “J’attends leur SitRep (Situation Reportage pour amener du matériel supplémentaire si cela s’avère nécessaire. Sur place, les scènes sont les mêmes : la boue a laissé place à la poussière, l’électricité n’est toujours pas revenue, les habitants sont fatigués, usés par les 48h de nettoyage. Nous décidons d’aller voir la situation à Trooz et Chênée. D’autres équipes s’y sont rendues mais je n’avais pas encore eu l’occasion de faire le crochet. La situation est la même, voire pire bien que comparaison ne serait pas raison. Je pense enfin, avant de repartir à Vaux, à immortaliser les rues, comme un souvenir qu’on espère rapidement oublier“, relate Olivier Coppens.
Au retour, c’est le contrecoup qui frappe le président etterbeekois, malgré “un sentiment de gêne à l’idée de se reposer dans de bonnes conditions, de prendre congé pour récupérer le lundi matin alors que d’autres sont en galère. Ce sentiment est difficile à faire passer pour beaucoup de volontaires. C’est dans notre nature d’aider“.
Lundi et mardi
Le lundi matin fût une journée de repos pour notre secouriste. “Le réveil est tardif, je prends des nouvelles de mon responsable de secours. Tout aussi exténué. A midi, une énième réunion de coordination a lieu avec tous les présidents. Je leur fait le feedback du weekend et de la suite. Le message est clair : stop aux dons de vêtements et de denrées alimentaires. Les centres locaux croulent sous les dons et ne savent pas tout trier. C’est aux autorités communales bruxelloises à trier leurs dons, nous devons garder notre énergie pour le terrain“.
Lundi soir, c’est l’heure du nettoyage des véhicules, tandis que le mardi est consacré à la remise en ordre du matériel… Car les équipes doivent être prêtes pour mercredi, jour de fête nationale….
“Durant ces 96 heures, j’ai été ébailli de voir la solidarité qui a été mise en place. Mais ne nous trompons pas de héros. Les vrais héros sont celles et ceux qui ont vécu ce drame et se relèveront grâce à la générosité des Belges“, conclut Olivier Coppens.
De retour à Bruxelles, Olivier s’occupe aujourd’hui de la coordination de la récolte et des dons de Bruxelles vers la Wallonie.
ArBr – Photos : Olivier Coppens & Croix-Rouge