« Phase 0 : l’étouffement des commerces » : une capsule sur les travaux Stalingrad à découvrir dimanche sur BX1

Durant ces six derniers mois, à l’initiative des Ateliers Urbains et en collaboration avec le Centre Vidéo de Bruxelles, des habitants du quartier de Stalingrad se sont réunis pour réaliser un reportage sur la thématique. Le groupe filme les transformations de cette artère, située entre la Gare du Midi et la Place Rouppe, devenue véritable chantier. Le tout, alterné de rencontres et de témoignages avec des habitants et commerçants du quartier.
« Ce travail sera peut-être une archive de comment était le quartier avant, si on n’arrive pas à ce que le quartier garde son essence et son identité. » C.L. 
 Le documentaire long métrage sur le sujet sortira en automne 2021. Mais en attendant, les réalisateurs-habitants diffuseront deux courts-métrages de 12 minutes, avec quelques éléments d’enquête. Le premier de ces deux courts-métrages, “Phase 0, l’étouffement des commerces”, est à voir sur Bx1 ce dimanche 11 juillet, en boucle et en soirée dès 18h15, puis à 19h45. Le deuxième, «Stalingrad – L’après – Un projet de ville avec ou sans nous ? » sera diffusé le  dimanche 18 juillet. Vous pourrez également retrouver un article, accompagné de chaque épisode, dans les dossiers de la rédaction, sur le site Web de BX1.

Depuis près d’un an, la première phase pour la construction de la ligne de métro 3 est enclenchée. Cette nouvelle ligne de métro a pour objectif de relier la station Bordet (Evere) à la station Albert (Forest) en 20 minutes, en passant par le centre-ville. Ce nouvel axe s’étendra sur 10,3 km et sera jalonné de 18 stations.

Au cours de la première phase du projet, les stations de l’actuel pré-métro entre Nord et Albert seront transformées en stations de métro. Une exception, néanmoins : la station Lemonnier. Datant des années 1950, elle n’est pas conçue pour accueillir le métro. Il a donc été décidé de construire une nouvelle station à proximité, qui s’appellera “Toots Thielemans”. Des travaux qui impactent la vie des commerçants du quartier de Stalingrad depuis bientôt un an. Et ce n’est pas près de se terminer…

Des travaux de longue haleine 

La station Toots Thielemans sera construite sous l’avenue de Stalingrad, entre le carrefour avec la petite ceinture et le Palais du Midi. La construction de cette station présente de nombreux défis. Il s’agit d’un des projets de construction les plus complexes à Bruxelles, à l’heure actuelle. En plus d’une nouvelle station, de nouvelles sections de tunnel de métro doivent être construites pour se connecter aux tunnels de pré-métro existants.

Afin de maintenir une voirie accessible en direction de la place Rouppe, la construction se déroule en deux phases. Dans la première phase, les fondations et les murs seront réalisés côté impair de l’avenue. Dans une deuxième phase, le chantier sera déplacé côté pair. Pour l’instant, une autre zone de chantier se trouve au milieu du carrefour de la petite ceinture. La circulation y est réorganisée grâce au grand giratoire, qui a été mis en place.

Au total, les travaux doivent durer environ trois ans et les premiers coups de pelle pour la construction de cette nouvelle station “Toots Thielemans” ont été donnés en octobre 2020. Il reste donc encore deux ans de travaux en surface. Après quoi, les travaux en sous-terrain pourront commencer, pour une durée de 4 ans.

Et les commerçants dans tout ça ? 

L’ampleur et l’impact des travaux sont considérables. À tel point que plusieurs commerçants ont été contraints de fermer boutique le temps des travaux. Véritable poumon économique pour la Ville de Bruxelles, ils comprennent mal qu’ils soient si peu associés aux réflexions sur le passage du métro. “Pour ce projet de métro, on n’a pas été consulté. On n’a pas été mis au courant. On nous a mis à chaque fois sur le côté. Personne ne prenait en compte notre avis, nos demandes. On nous mettait chaque fois devant le fait accompli, et point final” explique Brahim, patron d’un commerce dans le Palais du Midi et habitant du quartier depuis plus de 40 ans.

Pour essayer de remédier à ces problèmes, les partenaires du projet ont élaboré un ensemble de mesures d’accompagnement. Une convention a été signée par le gouvernement régional, la commune de Saint-Gilles, la Ville de Bruxelles, la Stib, Bruxelles Mobilité et hub.brussels.

Parmi ces mesures d’accompagnement, le recrutement d’un médiateur, d’un hyper-coordinateur et d’un facilitateur de chantier. Un panel a également été mis en place pour permettre à toutes les parties concernées de dialoguer en vue d’une bonne gestion du chantier. Ces réunions ont lieu environ une fois par mois.

Pour Brahim et beaucoup d’autres commerçants, ces tentatives de conciliation sont un coup dans l’eau : “Nous, on est totalement impuissants. Tout ce qu’on peut faire, c’est assister aux réunions et donner notre avis, qui n’est jamais pris en compte. A chaque réunion, on répète la même chose. Par exemple, tous les gens qui sont dans le périmètre de chantier sont censés avoir une indemnité. Mais pour recevoir ces indemnités, il y a plein de conditions à remplir. Mais certains commerçants, qui sont également fort impactés, n’y ont pas droit. Pour avoir ce que l’on veut, c’est-à-dire, nos droits, c’est un vrai parcours du combattant.” 

Une autre mesure qui a été prise concerne la construction d’un village éphémère en plein cœur de l’avenue Stalingrad : le “Stalingrad Village”. Il a été inauguré en septembre 2020, juste avant le commencement des gros travaux. Il s’agit d’un petit centre commercial de fortune. Il accueille sept commerçants qui ont dû quitter temporairement le Palais du Midi en raison des travaux. Mais là aussi, la situation est compliquée : “Personnellement, je fais partie des commerçants qui ont dû déménager dans les containers. Et c’était très frustrant parce que la communication était nulle. On n’était au courant de rien, jusqu’à ce qu’on nous mette devant le fait accompli” ajoute un commerçant.

Diviser pour mieux régner  ?

« Avant les travaux, il y avait une super bonne ambiance dans le quartier. Il y avait une cohésion entre les commerçants, les habitants. » explique Chérine Layachi, habitante du quartier Depuis le début des travaux, les habitants du quartier Stalingrad se sentent divisés. Ils ne comprennent pas pourquoi les concertations citoyennes organisées ne se font pas ensemble. Chérine précise : « On a remarqué qu’ils organisaient des concertations avec les commerçants, et des autres concertations avec les habitants. Mais on ne comprend pas pourquoi ils ne font pas une concertation avec tout le monde. »  

Les habitants déplorent le manque de transparence des autorités locales. L’organisation actuelle des concertations citoyennes divise les habitants, plutôt que de les rassembler. Selon Chérine, « il y a deux camps, les francophones et les néerlandophones. » De la même façon, une confrontation entre les pro-vélos, les pro-voitures est apparue. Confrontation qui n’existait pas avant et qui, toujours selon Chérine, apparaît à cause du manque de concertation citoyenne : « A cause du manque de transparence, à cause des différences que les autorités font entre commerçants et habitants, l’ambiance est tendue. » 

Pour de nombreux citoyens, la solution serait de discuter ensemble, autour d’un large débat public. Qu’il y ait une participation citoyenne qui ne soit pas divisée. « Il faudrait que l’échevinat de la partie citoyenne prenne le taureau par les cornes et prenne ses responsabilités. Faire un vrai débat public autour de ces problématiques. Organiser une vraie concertation citoyenne sur les aménagements. Et ne pas prendre les arguments des uns, des autres et n’en appuyer que certains » ajoute Chérine Layachi. 

 Pour elle, les politiques manquent de transparence, la gouvernance sur ce projet est trop opaque. « J’ai vraiment l’impression, en tant que jeune, que je me fais berner à tous les niveaux. S’il y a deux choses sur lesquelles il faudrait travailler, ce serait premièrement qu’il y ait des responsabilités qui soient prises, et assumées sur le fait qu’il y a un manque de transparence. Et deuxièmement, qu’il y ait plus de participation citoyenne sur l’aménagement de la rue. »  

« Notre objectif n’est nullement d’arrêter le chantier. On n’est pas imbéciles, on sait que ce n’est pas possible. On sait que des millions de budget ont été débloqués » ajoute Chérine. « Notre objectif, ce n’est pas de refaire le monde… par contre, on a envie de laisser une trace. Montrer qu’en 2021, il y a eu un souci de gouvernance et de transparence dans ce projet » 

L’avenir de l’avenue Stalingrad menacée ? 

Sans aides supplémentaires, les commerçants estiment à 80/100 le nombre de petits commerces qui succomberont d’ici la fin des travaux : “C’est certain, il y aura 70 à 80/100 des commerçants actuels qui ne vont pas tenir. 7 commerçants ont été déplacés dans les containers parce que l’accès chez eux était impossible durant les travaux. Mais bon, dans le quartier, il y a plus de 300 commerçants qui sont tous impactés d’une manière ou d’une autre par ces travaux. Mais ça, ils s’en fichent.” explique Brahim.

Par ailleurs, commerçants et habitants sont nombreux à se demander pourquoi les pouvoirs publics souhaitent installer une nouvelle station de métro à cet endroit précis. Pour eux, le quartier est suffisamment desservi avec la gare du Midi et la station Anneessens, qui se trouvent à quelques minutes à pied l’une de l’autre. Et même si l’idée de la construction d’une nouvelle ligne de métro ne déplaît pas aux habitants du quartier, ils ne pensent pas qu’une station à cet endroit soit indispensable. “On se dit qu’en fait, on n’a pas besoin de station Avenue Stalingrad. On est desservi comme il faut, on a tout ce qu’il faut. On a le métro à 500 mètres Gare du Midi, à 100 mètres c’était Lemonnier et Anneessens est à plus ou moins à 500 mètres. Donc on se demande vraiment pourquoi ils veulent nous mettre une nouvelle station de métro, en plein cœur de Stalingrad, alors qu’on n’en a pas besoin.” explique Brahim.

Des constats qui, couplés à la crise sanitaire, bouleversent totalement le mode de vie des habitants et commerçants du quartier. Pour Khadija Senhadji, socio-anthropologue, les travaux seraient une manière déguisée de modifier totalement l’aspect actuel de l’Avenue de Stalingrad : “Ce qu’on constate dans ce genre de cas de figure, c’est que finalement, il y a une vraie logique de dépossession de ce territoire, à l’égard des commerçants qui sont historiquement installés dans ces quartiers-là. C’est-à-dire que ce sont des projets qui font la part belle à des investisseurs privés et qui favorisent des infrastructures qui vont plutôt profiter à des touristes, à des consommateurs aisés. Alors que les commerçants locaux ont grandement contribué à faire du quartier Stalingrad ce qu’il est aujourd’hui.” 

 Un avis rejoint par Chérine Layachi, habitante du quartier et étudiante en sociologie : « Je ne pense pas qu’ils veulent nous chasser. Ce n’est pas ça l’objectif. Mais le fait que Stalingrad change, et que l’identité des habitants change, c’est un dommage collatéral qui pourrait servir les intérêts de certains. Il y a des liens d’intérêts intrinsèques à ce chantier. Il risque d’y avoir plus d’investissements privés. Je n’irais pas jusqu’à dire une rue neuve 2.0 mais ce dommage collatéral pourrait servir les intérêts du privé. »²      

Les travaux en surface doivent normalement se terminer d’ici 2023, sauf s’ils prennent du retard. Entre-temps les commerçants locaux craignent pour la survie de leur commerce. Ils espèrent pouvoir tenir jusque-là. Mais sans aide supplémentaire et avec la crise sanitaire, environ 80/100 des commerces du quartier de Stalingrad risquent de fermer définitivement. Et leur disparition, par la même occasion, risque d’entraîner avec elle une partie de la diversité culturelle, propre à ce quartier.

► « Phase 0 : l’étouffement des commerces », à voir ce dimanche 11 juillet sur BX1