Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (26 mars) : “Enfin une vraie collaboration”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Le confinement est une expérience familiale. Chaque collègue présent sur nos sites d’hébergement, en plus du stress du travail, doit gérer son histoire, son environnement privé, fait sans doute de rhumes inquiétants, de nez qui coule stressant, d’enfant qui cauchemarde, d’un conjoint qui angoisse, d’une mère ou d’un père seul. Derrière chaque contrat de travail se cache une histoire. C’est sans doute la plus belle manière de faire des ressources humaines.
Au niveau opérationnel, aujourd’hui a été une journée emplie de progrès. Un transport ambulancier 24 heures/24 a été mis en place pour le transport des sans-abris suspectés d’être positifs. Nous avons des perspectives de pouvoir délester certains centres en accueillant les personnes dans des hôtels réquisitionnés. Les centres tournent tant bien que mal, les masques chirurgicaux sont de stocks pour quelques jours,… mais à côté de cela, dans la rue, la tension augmente. Les gens semblent avoir faim et froid. Et surtout, la règle de confinement qui empêche de s’asseoir à deux sur un banc, à se reposer à plusieurs dans un parc, force les personnes sans domicile à marcher toute la journée. Comme la plupart des abris de jour ont fermé, ils n’ont plus beaucoup d’endroits où aller se reposer.
Comme me le faisait remarquer un travailleur en début de semaine, ceux qui travaillent, qui sont présents sur le terrain, ils sont bien souvent en contrat à durée déterminée, qui termine début mai, période qui signifie traditionnellement pour nous la fin de la période hivernale. Il n’a pas complètement tort, au-delà de l’énergie humanitaire qui transpire chez de nombreux collègues, c’est aussi l’espoir de voir un CDD devenir CDI, de voir le plan hiver se prolonger et devenir une opportunité, qui motive aussi certains travailleurs.
Il semble que l’ensemble des acteurs du « sans-abrisme » se sont enfin mis d’accord pour collaborer. Il aura fallu 15 jours pour parvenir à avoir un vrai plan de collaboration qui vise avant tout l’intérêt commun entre MDM, MSF, la Croix-Rouge, la Plateforme Citoyenne, et le cabinet d’Alain Maron. Une stratégie de réquisition d’hôtels et de délestage pour diminuer la densité de la population dans nos structures semble se dessiner. MSF ouvrira son centre de prise en charge des patients suspects de COVID-19 prochainement. Le système de référence ambulancier pour le transfert de ces patients est en place. Il ne reste qu’à anticiper le confinement 24h/24 et la mise en quarantaine totale en logeant les sans-abris dans les hôtels aménagés et bénéficiant d’espace extérieur.
L’un des grands enjeux risque bien d’être la gestion des assuétudes. Des addictions. Des dépendances. Pas facile de confiner quelqu’un qui est en manque. Quel que soit le manque, un homme, une femme, un produit, un succédané, un geste, une odeur, un bruit, une onde, une voix, un corps, deux corps, un billet, une pièce, un film, un jeu, un sport, de l’endorphine, … on a tous nos démons, nos besoins.
Le confinement produit ces premières tensions. Mais ce n’est sans doute pas encore le moment de les partager, ni l’endroit. Comme le disait Renault dans une de ses publicités, « Et si le vrai luxe, c’était l’espace ».
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Photo : Roger Job/Samusocial