L'orthorexie: manger "sain" à s'en rendre malade

La suspicion envers le monde agroalimentaire a popularisé les régimes “sans” (végétariens, vegan, crudivores…) comme les garants d’un équilibre alimentaire sain. Mais ces pratiques peuvent virer à l’orthorexie, une obsession. “Manger un fruit uniquement s’il a été cueilli il y a moins d’une minute, faire des mini repas assortis de compléments alimentaires… L’orthorexique est emprisonné dans un ensemble de règles qu’il s’impose”, explique le professeur de psychologie interculturelle Patrick Denoux.

Il estime à 2 à 3% la proportion en France d’orthorexiques (appétit correct, en grec ancien) – un terme conceptualisé dans les années 1990 aux Etats-Unis.

“Nous vivons une mutation culturelle de l’alimentation qui nous amène à douter fondamentalement de ce que nous mangeons à cause de l’éloignement du producteur et du consommateur, de la délégation du contrôle par le consommateur à des institutions lointaines, des crises alimentaires…”, liste Patrick Denoux.

En un an et demi, Sabrina Debusquat, une Française de 29 ans, est devenue végétarienne, puis vegan (refus de manger toute protéine animale), puis crudivore et frugivore (alimentation à base de fruits). “Je voulais atteindre une sorte d’état de pureté”, justifie-t-elle. Elle perd ses cheveux, sans s’en inquiéter. Seul l’énervement inhabituel de son compagnon lui permet de se rendre compte de son état obsessionnel.

Médecin nutritionniste depuis 25 ans, Sophie Ortega remarque la perte actuelle de repères chez ses patients. “Cela devient un casse-tête de remplir son chariot de supermarché et d’équilibrer ses menus. Il y a maintenant des aliments présentés comme des médicaments, on se dit que ça ne peut qu’être meilleur”. Mais cette dernière insiste: “la bonne alimentation inclut le végétal et l’animal”, autorise “la spontanéité” et… “le plaisir”.