L’impact financier de la crise sanitaire sur les hôpitaux ? « On est dans le brouillard ! »
Malgré les deux milliards d’euros débloqués par le fédéral pour aider les hôpitaux confrontés à des problèmes de trésorerie suite à la crise sanitaire, le secteur est inquiet. Les montants seront-ils suffisants pour les remettre à flot ? D’autant qu’il s’agit d’une avance. Qu’il faudra rembourser … Selon quelles modalités ? C’est toujours l’incertitude.
Entre mars et mai 2020, le Chirec a vu son résultat d’exploitation baisser de 16 millions d’euros par rapport à la même période l’année précédente. Résultat de l’arrêt des activités hospitalières non urgentes, soit une diminution de 80% des activités, entraînant une perte de chiffre d’affaire d’environ 40 millions d’euros. « La diminution des actes médicaux a d’un autre côté permis des économies sur les salaires des médecins. L’un dans l’autre, on arrive au chiffre de 16 millions d’euros de perte. », explique Benoît Debande, directeur général administratif et financier. « Nous avons récupéré une partie de la perte pendant l’été et à partir du mois de septembre. Mais aujourd’hui, c’est reparti. Et on n’a aucune idée de ce qui nous attend. Il y a trop d’incertitude pour pouvoir prévoir. D’autant moins que depuis vendredi, les interventions non urgentes sont à nouveau à l’arrêt. », poursuit-il. Difficile de faire des prévisions : combien de temps va durer cette seconde vague ? Comment va-t-elle évoluer ? Quel impact aura-t-elle sur des finances déjà lourdement affectées ? « Si la crise s’éternise, on ne sait pas où on va. », avertit Benoît Debande, ajoutant : « Etablir les budgets 2020-2021 tient de la gageure. »
Marges bénéficiaires étroites
Lors de la première vague, les pertes financières des hôpitaux belges avaient été estimées entre deux et trois milliards d’euros. Entre 400 et 500 millions pour les hôpitaux bruxellois, un chiffre qui peut sembler disproportionné, mais qui résulte de la concentration de l’offre hospitalière à Bruxelles, indique Dieter Goemaere, directeur hôpitaux généraux chez Gibbis, fédération hospitalière bruxelloise.
C’est la suspension brutale des activités hospitalières non urgentes, qui a lourdement pesé sur les recettes. Le coup a été rude pour un secteur dont les marges bénéficiaires sont déjà étroites en temps normal. Un tiers des hôpitaux fonctionnent à perte, rappelle encore Dieter Goemaere, citant des chiffres de l’étude Belfius sur la santé financière des hôpitaux. Alors en cas de crise grave, comme celle que nous connaissons depuis le mois de mars, la situation peut se tendre à l’extrême.
Il faut ajouter à cela l’augmentation des coûts de personnel puisqu’il a fallu renforcer les équipes, et les surcoûts en termes d’adaptation des infrastructures, de matériel, d’autant que le prix de certains équipements a parfois été multiplié par 10 au début de la crise.
Deux milliards
Des mesures ont été prises par les autorités pour maintenir les trésoreries à flot. En tout, deux tranches de financement ont été débloquées par le fédéral : un milliard d’euros en avril, et deux fois 500 millions d’euros en juillet et octobre. «Des avances destinées à compenser les pertes financières liées à l’interruption de l’activité et à couvrir les frais supplémentaires liés à la prise en charge des patients covid. », nous indique le cabinet Vandenbroucke. Mais cela suffira-t-il? Au Chirec, Benoît Debande estime les montants alloués suffisants « mais la grande question c’est ce que nous allons devoir rembourser. Nous ne le savons toujours pas !»
Ces deux milliards constituent en effet une avance sur recette. Les hôpitaux seront-ils tenus de rembourser ? Et selon quel mode de calcul ? C’est toute la question aujourd’hui. « Cela dépendra des modalités de régularisation choisies », analyse Dieter Goemaere. Plusieurs avis ont en effet été rédigés, notamment par le Conseil fédéral des établissements hospitaliers (CFEH) et adressés au cabinet du ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (SPA), successeur de Maggie De Block (Open VLD), qui en son temps n’avait pas débloqué le dossier. Les hôpitaux attendent désormais la publication des arrêts ministériels, pour savoir à quelle sauce ils seront mangés, autrement dit quelle part des avances octroyées ils pourront effectivement garder. « Nous sommes dans le brouillard », déplore Yves Smeets, directeur général de Santhea, fédération patronale d’institutions de soins de santé wallonnes et bruxelloises publiques et privées. D’autant que, selon lui, dans certains établissements, ces avances sont déjà épuisées. Le cabinet Vandenbroucke promet une réponse pour bientôt : « L’arrêté royal doit être publié prochainement. »
Incertitudes sur l’avenir
D’autres questions sont toujours en suspens, pourtant essentielles pour le secteur, en lien avec l’arrêt des activités, souligne Yves Smeets : celle-ci entraîne en effet une perte salariale pour les prestataires de soin, sera-t-elle prise en charge par l’Etat ? Il en va de même pour le manque à gagner sur le ticket modérateur (la part à charge du patient), qui représente là aussi une perte sèche pour les hôpitaux. Question sans réponse à ce stade. « La situation est inédite. C’est la première fois que l’on en arrive à suspendre des activités hospitalières. Cette situation nécessite la mise en place de mesures de soutien inédites elles aussi, et d’autres types de financement ! » Et de plaider pour « des systèmes plus stables, moins liés à l’activité.»
Car les pertes actuelles ne seront pas sans conséquences sur l’avenir. Et cela génère bien des inquiétudes, insiste encore Yves Smeets : si les hôpitaux clôturent l’année 2020 dans le rouge, sans autre compensation, le danger du financement se pose à plus long terme. « Nous sommes financés en partie grâce à des prêts bancaires, sur base d’un ratio. Des comptes en négatif risquent de pénaliser à plus long terme des hôpitaux, qui pourraient perdre leur accès aux crédits. » Avec un risque sur leur capacité à assurer la continuité des soins? « Bien sûr », répond-il.
S.R. (Photo : Arch. Bx1)