Le Covid-19 a encore plus fragilisé les personnes victimes de la traite des êtres humains
Myria, le rapporteur belge sur la traite et le trafic d’êtres humains, dresse un constat qui fait froid dans le dos. Dans son rapport 2020, il met en avant des situations dramatiques qui se sont empirées avec le confinement lié à la crise sanitaire. Et à Bruxelles, les dossiers ne manquent pas.
Entre 2019 et début 2020, Myria a eu connaissance de 58 décisions prononcées par les autorités judiciaires. Treize décisions concernent des faits d’exploitation sexuelles, 19 des affaires économiques dans des secteurs diversifiés comme la construction, l’horeca, le commerce de détail, les car wash, le tri de vêtements de seconde main, le travail domestique ou le football. Une décision concerne l’exploitation de la mendicité en Région bruxelloise, une sur la criminalité forcée et 8 sur le trafic d’êtres humains. Pour cela, il s’agit souvent de passeurs organisés. Il s’agissait notamment de recruteurs dans le parc Maximilien.
Depuis 2016, le nombre d’infractions est en deçà de 400 et fluctue d’une année à l’autre. En 2019, il y a eu une légère diminution par rapport à 2018. On a compté l’an dernier un total de 331 infractions de traite des êtres humains enregistrées par la police, majoritairement pour exploitation sexuelle (52%) et économique (44%). On dénombre 9 infractions pour délit ou crime commis sous la contrainte et 5 pour exploitation de la mendicité. Il n’y a pas eu d’infraction pour trafic d’organe en 2019. Myria observe davantage d’infractions pour traite des êtres humains dans les grandes villes, principalement dans la capitale (72 infractions au total dans les 19 communes) et dans la commune d’Anvers (avec 52 infractions enregistrées). La province d’Anvers et la Région bruxelloise regroupent 60 % des infractions liées à l’exploitation sexuelle au niveau national.
Pour l’exploitation économique, les infractions ont été principalement enregistrées dans les provinces de Flandre occidentale (31), d’Anvers (24), de Liège (21) et dans l’ensemble de la Région bruxelloise (20). Évidemment, ces chiffres ne sont que la partie visible de l’iceberg, bon nombre d’affaires n’étant jamais déclarées.
Le profil des victimes
Parmi les victimes dans les affaires recensée, on retrouve beaucoup de ressortissants de nationalité polonaise, principalement dans la construction. Viennent ensuite les Marocains et les Égyptiens très présents dans l’Horeca, puis les Roumains. Dans le cadre de l’exploitation économique, il s’agit principalement d’hommes mais dans l’exploitation sexuelle, les femmes représentent l’écrasante majorité des victimes. À Bruxelles, le nombre de dossiers concernant l’exploitation sexuelle a d’ailleurs doublé entre 2018 et 2019.
De manière globale, le nombre de dossiers ne cesse d’augmenter. En 2019, 373 affaires sont rentrées dans les parquets pour traite des êtres humains, soit une hausse de 24 %. 57 % de ces dossiers concernaient l’exploitation sexuelle, 30 % l’économique, 12 % les délits ou crimes commis sous la contrainte et 1 % l’exploitation de la mendicité. Enfin, 37 % des affaires ont été classées sans suite.
Malheureusement, peu de victimes sont accompagnées par la suite. Une bonne nouvelle tout de même, en 2018, 126 condamnations ont été prononcées, un chiffre en hausse. Dans un tiers des cas, les condamnés écopent d’une amende, d’un emprisonnement (28 %) ou de la privation de droits (24 %). La durée de la moitié des peines de prison fluctuait entre 1 et 3 ans, dont 59 % avec sursis.
Si les dossiers pour traite d’êtres humains touchent beaucoup la capitale, ceux pour trafic concernant plus la Flandre. Effectivement, les points de passage vers la Grande-Bretagne sont situés à Anvers et dans la région de Gand. Quelque 531 affaires ont été rentrées en 2018 dont 338 ont été classées sans suite. 181 condamnations définitives ont été prononcées en 2018.
L’exploitation domestique
Il existe plusieurs situations dans lesquelles la traite des êtres humains peut être constatée dans la capitale et en Belgique. Un des secteurs les plus concernés est celui du personnel domestique qu’il soit auprès des personnes privées ou des ambassades. On se souviendra notamment du dossier des princesses du Conrad où des princesses saoudiennes exploitaient des femmes en les réduisant au statut d’esclave, privées de toutes possibilités de fuir. On estime que 8 000 personnes travaillent dans les ambassades ou sous statut diplomatique à Bruxelles. Pour les employés, le statut est différent et les étrangers disposent d’une carte d’identité spéciale.
Afin d’éviter cette situation, Myria recommande que le personnel domestique soit entendu par la direction du protocole du SPF Affaires étrangères lors de la délivrance des cartes d’identité afin de s’assurer des conditions de travail.
Une vingtaine de dossiers par an
Pour les particuliers, les contrôles sont aussi très complexes. Chaque année, l’auditorat du travail de Bruxelles traite entre 20 et 25 dossiers dont 10 % relève de l’exploitation domestique. Chez les particuliers, les victimes ne possèdent bien souvent pas de titre de séjour, ou alors il peut s’agir de personnel au pair. La personne se retrouve à exercer un emploi à temps plein alors que cela n’était pas prévu. Il est donc important d’informer les personnes migrantes de leurs droits avant qu’elles acceptent. “Il serait possible de diffuser l’information dans les emballages des produits d’entretien”, peut-on lire dans les recommandations de Myria. Les agents de quartier pourraient aussi jouer un rôle mais pour cela, il faut les former et les sensibiliser à la problématique. Enfin, les syndicats devraient également mieux défendre les travailleurs dans le secteur des titres-services afin de revaloriser leurs conditions salariales.
La pandémie, facteur d’aggravation des situations les plus précaires
Avec les mesures de confinement, les personnes qui se trouvaient dans des situations de traite d’êtres humains ont vu leurs conditions se dégrader. Durant le premier confinement, l’ONSS qui réalisait d’habitude des contrôles dans des secteurs comme la construction, l’horeca, les ongleries, n’a plus pu intervenir. Ces personnes ont aussi vu leur travail s’arrêter et souvent se retrouver totalement privées de revenus. De plus, elles vivent principalement dans des endroits exigus et à plusieurs ce qui favorise les contaminations au covid-19.
Pendant le second confinement, les équipes de l’ONSS ont pu faire quelques contrôles mais la tâche est tout de même plus complexe. Actuellement, entre 50 et 60 auditions de victimes présumées doivent encore être organisées. A priori, ce nombre devrait augmenter dans les mois qui viennent. “Après la crise du coronavirus, les entreprises seront confrontées à des difficultés économiques. La pandémie pourrait conduire à une récession économique. Pour certains employeurs, la tentation d’économiser sur les salaires et les cotisations sociales sera de plus en plus forte. La demande de main-d’œuvre bon marché et illégale, et avec elle le risque d’exploitation vont augmenter. Simultanément, le ralentissement économique imminent rendra les personnes en situation de précarité encore plus vulnérables. Elles accepteront encore plus facilement de travailler dans des conditions inhumaines“, explique Peter Van Hauwermeiren, de la direction générale des services de l’inspection de l’ONSS.
Le cas de la prostitution
La fermeture des salons et des carrées auraient pu faire craindre une augmentation des annonces sur le net ou de la prostitution clandestine, renforçant éventuellement la traite ou le trafic d’êtres humains. À la zone de police Bruno (Evere, Schaerbeek, Saint-Josse), on s’est penché de manière plus particulière sur certains sites bien connus des clients. Durant la période du confinement, le nombre d’annonces a diminué, passant de 1 200 à 700 par jour. A priori, pour les policiers, les filles qui se prostituent de manière légale en temps normal, ne se sont donc pas rabattues sur les sites. Ces derniers ont d’ailleurs inscrit certaines modifications dans leurs conditions d’utilisation ou ne proposaient que des services en ligne, via webcam, rappelant que les contacts physiques étaient interdits.
Cependant, les policiers ont constaté que les filles issues des pays d’Amérique latine étaient plus nombreuses que les autres à continuer à proposer des rendez-vous réels. C’est souvent derrière ces annonces que se cachent les situations de traite des êtres humains car elles sont obligées de poursuivre leurs activités pour se nourrir.
Des recommandations
Pour Myria, ce n’est pas tout de dénombrer les dossiers. Le centre fait aussi une série de recommandations qui se font plus pressantes en temps de covid. Il faudrait mettre en place un centre d’accueil pour les victimes afin de leur donner des conditions de vie décentes. Il faudrait aussi renforcer les contrôles des annonces pour prostitution sur le net. Les services de première ligne doivent être particulièrement attentifs aux signes de traites des êtres humaines et prévenir les services de police ou d’ONSS.
Vanessa Lhuillier – Photo: BX1