Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (23 avril) : “L’adrénaline de l’urgence est redescendue, mais….”

Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son  quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.

Qui eut cru que la compagnie créole connaîtrait une seconde vie 35 ans après ? A part les mélomanes les plus critiques ? Boosté par les reprises satiriques, le zouk du « bal masqué » fait oublier les hésitations sur l’obligation du port du masque. Dans les bureaux et les centres du Samusocial, cela fait un mois qu’il est obligatoire. Cela doit être notre côté avant-gardiste. Alors certes, cela surprend nos partenaires dans nos téléconférences Zoom, certes cela nous rend quelque peu ridicule, mais on est presque tous convaincus que c’est aujourd’hui notre meilleure protection.

On traverse une zone de creux, mélange de retour à la stabilité et de fatigue généralisée. L’adrénaline de l’urgence et de l’angoisse est redescendue. L’énergie baisse, un peu comme au 28ème km d’un marathon. Il faut penser à se réalimenter, reposer le moral pour éviter le mur, cette défaillance bien connue des marathoniens qui survient après le trentième kilomètre. Les déménagements grande échelle sont presque terminés, nos centres d’isolement pour les patients COVID+ tournent, nos maraudes sont en place 7 jours sur 7, notre centre FEDASIL a installé sa zone d’isolement, le stock de matériel de protection est alimenté régulièrement, les tests sont sur le point de commencer, les discussions de sensibilisation au COVID ont lieu dans tous les centres, les hébergés ont reçu des masques…. La dynamique de crise perd un peu de son intensité. Les rues se remplissent, les passants profitent du soleil. Un certain relâchement se fait sentir à tous les niveaux.

Au sein des équipes, l’ambiance est elle aussi en train de changer. Des malentendus naissent, des tensions apparaissent, des voix montent, parfois tremblent… Parfois, l’émotion prend le dessus alimenté par l’énervement. Les signes de la fatigue lié à un mois consacré à l’urgence sans véritable option de décompression sont partout. On essaye de ne pas trop penser à tous les projets qu’on avait entamés avant la crise et dont on ne sait ce qu’ils vont devenir. Ces plans d’action ambitieux, qui accumulent les retards. Ces chantiers entamés qu’il va falloir reprendre, à un moment, mais on ne sait pas quand. On essaye de ne pas trop y penser, mais, on y pense quand-même. En allant dormir ou au réveil.  En mangeant ou à la pause. Et on se dit qu’on préférerait penser où on va partir en vacances. Mais bon, finalement, on le sait où on va partir, puisque cette année, ce sera Go-pass SNCB pour toute la famille.

Enfin, ne nous plaignons pas, pour certains, la situation est beaucoup plus critique. L’hôtel Métropole pourrait ainsi bientôt fermer ses portes et mettre au chômage 129 personnes. Le rêve d’un jour dormir dans la suite François Weyergans semble définitivement hors de portée. Cela s’appelle manquer de suite dans les idées. L’hôtel avait créé une suite à son nom quelques temps après qu’il ait écrit « Trois jours chez ma mère ». « Cacher aux autres qu’on va mal est un art », disait-il. Il ne parlait ni de l’hôtel Métropole, ni de personnes sans-abri.

Une dizaine d’hôtels sont aujourd’hui réquisitionnés dans différentes communes. Qui sait finalement s’ils n’ont pas été sauvés par le financement des mesures pour loger des sans-abris ? Ils se remplissent d’une clientèle qui n’a pas l’habitude des voyages d’affaire. « Paraît qu’on a d’la chance d’s’endormir avec des draps. C’est comme dire à un mec sans mains qu’il a d’la chance d’avoir des bras. » chante Hugo TSR, dans une de ces punchlines.

L’ensemble des hôtels rendus disponibles, additionnés aux logements collectifs du Samusocial, de la Plateforme citoyenne, de Pierre d’Angle, d’Ariane ou des maisons d’accueil pose la question centrale des critères d’accessibilité. Comment mettre en place des critères d’accès objectifs qui permettront de s’assurer d’une répartition équitable des places ? Quand le nombre de places est inférieur au nombre de personnes en quête de logement d’une nuit, quels sont les critères à appliquer ? Les papiers, le sexe, l’âge, la situation médicale, le temps passé en rue ?

La solution à ces questions passe par un dispatching efficace qui coordonnera l’ensemble des mécanismes d’accueil bruxellois. Or, ce dispatching n’existe pas encore. A terme, ce sera sans doute l’un des rôles essentiels que devra reprendre Bruss’Help, l’organisme régional en charge de l’aide aux sans-abris. Mais la crise a précipité les choses. Les critères d’accès sont régis différemment selon qu’on est une maison d’accueil, un centre d’hébergement d’urgence, selon que la demande est formulée par une personne avec des problèmes psychiatriques, ou un migrant en transit. Le numéro 0800 du Samusocial est probablement notre talon d’Achille, le temps d’attente ayant souvent tendance à décourager les appels des personnes sans-abri ou des citoyens. C’est l’un des prochains défis pour l’organisation de l’aide aux sans-abri : mettre en place des règles d’accès transparentes et équitables pour les personnes en quête de logement.

► Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.

Photo : Pierre Lamour/Samusocial