Le groupe Cachou-Cachou fait fi du handicap mental et enregistre son 1er album
Sur les 7 membres du groupe Cachou-Cachou, qui vient d’enregistrer son premier album, tous sont employés au centre d’aide par le travail de Sélestat (Bas-Rhin) et un seul n’est pas en situation de handicap, mais qui saurait dire lequel? “Dans ma vie, j’ai toujours rêvé d’être artiste, batteur professionnel”, confie, radieux, Goeffrey Masson, le batteur du groupe. Casquette à l’envers, anneau à l’oreille, ce fan de “Viking métal” qui dit souffrir souvent du regard porté sur lui en raison de son handicap mental, peut dire aujourd’hui qu’il a réalisé son rêve. Aux côtés de ses camarades de l’Établissement de services et d’aide par le travail (Esat) Évasion de Sélestat, affectés comme lui de handicaps mentaux ou psychiques, et de l’éducateur Frédéric Rieger, membre du groupe, il vient de passer une semaine à enregistrer cinq titres écrits avec une chanteuse-compositrice, entre novembre et juin.
Dans un studio caché dans une ancienne poudrière des fortifications construites par les Allemands à Strasbourg, le groupe a travaillé dur pour produire un son de qualité professionnelle. L’Évasion figure parmi la quinzaine d’Esat français qui emploie des personnes handicapées dans le champ artistique, la musique mais aussi le théâtre et les arts plastiques. “Souvent les Esat sont sur des activités plus normées, paysagiste, la restauration, des activités à la chaîne, l’emballage”, explique sa directrice, Elen Gouzien.
Pour intégrer l’établissement, qui accueille 19 personnes, l’appétence artistique ne suffit pas, il faut avoir du talent, et évidemment être reconnu comme travailleur handicapé. “On n’est pas là pour former des artistes, on accueille des artistes qui sont en situation de handicap, on est sur de la professionnalisation”, insiste Mme Gouzien. “C’est un bonheur de pouvoir exercer la musique tous les jours”, sourit Frédéric Hérisson, bassiste de 42 ans, qui a entre autres oeuvré comme agent de fabrication tout en jouant dans des groupes amateurs.
Artistes ou pas, comme dans tous les Esat, les personnes employées à Sélestat touchent une rémunération garantie, pas des cachets. “Cela reste une rémunération assez précaire mais qui leur assure un revenu régulier, qu’ils n’auraient pas s’ils étaient lâchés dans la nature”, reconnaît Elen Gouzien. Logés dans des foyers ou en appartement, ils travaillent de 9H à 17H, plus les concerts et les tournées.
Dans le studio, Laetitia Cunill entonne avec fougue “Gwendoline”, une valse qui raconte l’histoire d’une ballerine en quête de célébrité. Sur des canapés en cuir, près de la table de mixage, les autres membres du groupe échangent des regards approbateurs. “J’ai pris confiance en moi”, confie la chanteuse de 26 ans, seule femme du groupe, qui a su surmonter sa timidité pour monter sur scène. Avec cet album, le groupe, jusque là cantonné à des reprises – des Bee Gees à Bernard Lavilliers – affirme son identité.
“Jugez ma passion pour Johnny/ Jugez-moi/ Mes cicatrices et ma folie/ Jugez-moi donc/ Si ça vous rend bon”, chantent-ils, entre défi et auto-dérision, dans le titre phare de l’album. Si Cachou-Cachou espère figurer sur les plateformes de streaming et vendre des disques après ses concerts, l’album permettra aussi de “faire un travail d’ouverture sur d’autres types de scènes. On veut éviter l’entre-soi, de rester coincés dans l’univers médico-social”, souligne l’éducateur spécialisé et guitariste Frédéric Rieger.
Cachou-Cachou doit jouer pour la première fois ses cinq titres en septembre au festival L’Imprévu de Montemboeuf (Charente), qui programme des artistes handicapés ou non, professionnels ou non. Au mois de juin, ses membres ont déjà joué au festival Handi Blues d’Oléron. Aujourd’hui, “la société n’est pas prête, il manque un échelon pour une réelle société inclusive qui permettrait de vraiment intégrer ces personnes en tant qu’artistes”, déplore Elen Gouzien, qui souhaite faire d’Evasion une passerelle entre le champ du handicap et le milieu ordinaire.