Vaccination obligatoire des soignants : le Kern a tranché, quelles seront les sanctions ?
Le Conseil des ministres restreint (Kern) a décidé de suivre le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit) : le vaccination contre le Covid-19 va bien devenir obligatoire pour le personnel soignant à partir du 1er janvier.
Le projet était dans l’air, après différents avis rendus au ministre, mais devait encore être finalisé en Conseil des ministres restreints : le Kern s’est donc accordé sur les dispositions, et notamment les sanctions, entourant l’obligation vaccinale pour les soignants.
Au 1er janvier 2022, les soignants non-vaccinés auront donc trois mois pour se faire vacciner, sauf très rares exceptions pour contre-indication médicale. Durant ce laps de temps, si le soignant non-vacciné veut continuer à travailler, il devra présenter un certificat de rétablissement ou se faire tester toutes les 72 heures. S’il refuse de s’y plier, son contrat sera suspendu temporairement (et il bénéficiera du chômage temporaire corona).
Une fois la phase transitoire passée, au 1er avril 2022, le soignant qui ne sera toujours pas vacciné recevra un avertissement du directeur général Soins de santé du SPF Santé publique. Face auquel il devra se défendre, en présentant des explications face à son choix de ne pas être vacciné. Si ces justifications ne sont pas suffisantes, le soignant sera alors privé de son visa ou de son enregistrement, et ne pourra plus exercer. Ce qui débouchera sur un licenciement de plein droit, et le chômage classique, avec maintien de l’ancienneté et des droits.
Désormais, l’avant-projet de loi devra être validé en conseil des ministres, prévu ce vendredi, puis passera au Conseil d’Etat et au Parlement.
Quel impact dans les hôpitaux ?
Si elle est entérinée, l’obligation vaccinale touchera environ 500.000 soignants, dont le taux de vaccination est aujourd’hui estimé à 89%. 60.000 personnes risquent donc de perdre leur travail, si elles ne se font pas vacciner dans les prochains mois.
La disposition pourrait donc avoir un impact plus ou moins important dans les structures hospitalières : ainsi, par exemple, les Cliniques de l’Europe (qui comprennent le site Sainte-Elisabeth à Uccle et Saint-Michel à Etterbeek) recensent plus de 80% de personnel soignant vacciné, et même 97% de personnel médical vacciné. Des chiffres assez hauts, mais qui montrent tout de même que, si une proportion du personnel non-vacciné ne se fait pas vacciner d’ici à avril, le groupe médical privé perdra donc du personnel.
“On s’attendait forcément à ce que ce soit une conséquence de ce type-là : fin de contrat, retrait d’un visa d’infirmier ou de soignant… Tout va être évidemment dans les détails : quel personnel pourra ne pas être vacciné, pour quelles raisons (motifs médicaux ou autre) […] Je pense que sur le fond, tout le monde est d’accord que cette vaccination est importante. Maintenant sur la forme (qui, comment), on attend de voir les détails”, explique Arnaud Kamp, directeur des ressources humaines des Cliniques de l’Europe, “Mais évidemment [la mesure] peut avoir des conséquences. Maintenant, on prend ça quand même comme un point positif, puisque c’est une conséquence si on ne se vaccine pas : cette vaccination obligatoire, très clairement, c’est un incitant à la vaccination. L’objectif, c’est la vaccination du personnel, et non pas d’arriver à une conséquence négative pour ces personnes. Et on fera tout pour, avec de la sensibilisation et de l’argumentaire, pour éviter d’arriver à des situations dramatiques“.
Le tout alors que les hôpitaux du pays font face à une importante pénurie de personnel infirmier : “il faut séparer les conséquences du côté médical et du côté du personnel soignant, et en particulier infirmier, car le contexte du personnel infirmier, c’est une pénurie dans tous les hôpitaux en Belgique. Et les Cliniques de l’Europe ne font pas exception à la règle. Donc, toute diminution potentielle du personnel pourra avoir des conséquences sur l’organisation des soins dans les grands secteurs comme les unités de soin, les soins intensifs, les urgences et le quartier opératoire”, indique le Dr Bernard Vandeleene, directeur médical du même groupe hospitalier.
Interview du Dr Bernard Vandeleene, directeur médical des Cliniques de l’Europe, suivi d’Arnaud Kamp, directeur ressources humaines
Yves Hellendorff (CNE) : “éviter une stigmatisation“
Du côté des syndicats, on voit rouge face à l’accord intervenu en Kern ce lundi : contacté par notre rédaction, le secrétaire national CNE non-marchand Yves Hellendorff dénonce qu’il n’y ait pas eu, selon lui, de concertation avec les représentants des travailleurs, et que la décision ait été prise sans tenir compte des points d’exclamation syndicaux.
Le syndicaliste dénonce également une discrimination. “Le sentiment du terrain, c’est : ‘nous sommes stigmatisés, comme si c’est nous qui étions la cause de la quatrième vague’. Ce n’est pas le personnel soignant qui est la cause de la quatrième vague, c’est le fait que la société a retrouvé une façon de vivre, où on ne tient plus compte du tout des mesures de prévention“, nous explique-t-il, “Ce que nous disons de façon claire, c’est que nous sommes totalement pour la vaccination. Nous nous dédouanons totalement des antivax et des rumeurs qui peuvent circuler. Mais nous refusons que le personnel de soins soit stigmatisé et ciblé comme étant à l’origine de la recrudescence de la pandémie“ .
“On va avoir une fuite massive de personnel de santé. Dans ce genre de mesure, c’est totalement contre-productif“, alerte également le secrétaire national.
Yves Hellendorff souligne néanmoins que le fait qu’un chômage soit possible, et qu’une perte totale de revenus ne soit donc pas inéluctable, est un bon point. Mais il s’interrogé sur les dispositions pour les indépendants, et à long-terme. “On demande donc à voir“, conclut-il.
Interview de Yves Hellendorff, secrétaire national CNE non-marchand
Vers un élargissement aux non-soignants ?
Mais à côté des soignants, l’obligation vaccinale pourrait-elle aussi toucher les non-soignants travaillant, par exemple, dans des structures de soins ? Dans une interview réalisée par SudInfo, la ministre wallonne de la Santé, Christie Morreale (PS), annonçait que “les Régions doivent prendre en parallèle des décrets pour toutes les personnes qui sont en lien avec les personnes plus fragiles mais qui ne sont pas les soignants […] : personnel technique, aide-soignants, aides familiales dans les hôpitaux, les maisons de repos, les institutions d’accueil pour handicapés, etc”.
À Bruxelles, on nous confirme être en concertation actuellement avec les autres Régions à ce propos, “pour s’aligner à ce sujet, afin d’avoir une disposition commune pour les non-soignants. Mais à ce stade, nous n’en sommes qu’au stade de la vérification des bases légales“, indique un porte-parole du ministre bruxellois de la Santé, Alain Maron (Ecolo). Pas de position ferme, donc, des autorités bruxelloises en faveur ou en défaveur de l’élargissement de cette obligation vaccinale.
ArBr – Photo : Belga (illustration)