Procès des attentats : un juré récusé après avoir parlé d’une “cellule opérationnelle”
Le procès des attentats de Bruxelles a repris, ce lundi matin.
La cour d’assises chargée de juger les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles accueillera à la barre, lundi, des responsables de la Sûreté de l’État (VSSE), de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam), du service général du renseignement et de sécurité (SGRS-ADIV) et de la Commission BIM, qui supervise les méthodes spéciales de renseignement.
8h30 – Place aux témoignages des services de renseignement
Les témoignages de ces organes devaient initialement avoir lieu fin février, dans la foulée de la présentation de l’enquête sur les attentats. Mais cet exposé ayant duré plus longtemps que prévu, leur intervention a été ajournée.
Lundi matin, il devrait donc notamment être question de conversations interceptées en prison tenues, pour certaines, entre l’accusé Mohamed Abrini et Mehdi Nemmouche, l’auteur de l’attentat du 24 mai 2014 au Musée juif ; et, pour d’autres, entre Mohamed Abrini et l’accusé Bilal El Makhoukhi. Ce dernier y confirme à “l’homme au chapeau” avoir caché les armes, destinées à servir à un nouvel attentat. Ce n’est qu’en juin dernier que l’intéressé avouera avoir effectivement déplacé ces armes, se refusant toutefois à indiquer le lieu où elles se trouvent.
Dans l’après-midi, la cour entendra des témoignages liés à la location de l’appartement de l’avenue des Casernes à Etterbek, que l’accusé Smail Farisi a sous-loué au kamikaze de Zaventem Ibrahim El Bakraoui. Le terroriste de Maelbeek Khalid El Bakraoui et l’accusé Osama Krayem avaient quitté cet appartement le 22 mars 2016 au petit matin, avec deux sacs d’explosifs, pour se rendre à la station de métro Pétillon. Si Osama Krayem renoncera au dernier moment à se faire exploser, son complice tuera quant à lui 16 personnes et fera plus d’une centaine de blessés.
12h44 – Maître Paci demande la récusation d’un juré
Me Delphine Paci, qui défend l’accusé Salah Abdeslam au procès des attentats du 22 mars 2016, a demandé lundi à la présidente de la cour d’assises de Bruxelles la récusation du 17e juré.
La pénaliste conteste le terme de “cellule opérationnelle” utilisé par le juré, dans une question adressée aux témoins spécialistes des renseignements, pour désigner la planque de la rue du Dries à Forest. Ce terme dénote un parti pris dans le chef du juré, selon l’avocate. Le juré a demandé “quel était l’état d’esprit au sein de la Sûreté de l’État lorsque (ce service) a découvert qu’il y avait une cellule opérationnelle armée au sein de la rue du Dries“.
La demande de récusation formulée par Me Paci a été soutenue par Me Laura Séverin, conseil de l’accusé Sofien Ayari. Les deux pénalistes affirment depuis le début du procès que leurs clients respectifs ne sont pas impliqués dans les attentats qui ont déchiré la capitale belge, Me Paci arguant que Salah Abdeslam voulait se rendre en Syrie après les attentats de Paris, le 13 novembre 2015.
La présidente de la cour, Laurence Massart, a suspendu la séance dans la foulée.
12h57 – C’est toujours au parquet de décider de transmettre (ou non) une note déclassifiée, précise la Commission BIM
La Commission BIM, qui supervise les méthodes “spécifiques” ou “exceptionnelles” (donc plus intrusives) de renseignement, a souligné lundi, devant la cour d’assises de Bruxelles qui juge les attentats du 22 mars 2016, que ce n’est pas elle ou la Sûreté de l’État (VSSE) mais bien le ministère public qui décide de transmettre ou non aux juges d’instruction des informations déclassifiées par la VSSE. Cette dernière avait intercepté des conversations en prison entre les accusés Mohamed Abrini et Bilal El Makhoukhi, d’une part, puis le premier et le terroriste Mehdi Nemmouche, d’autre part. Mais ces extraits, déclassifiés en 2016, n’avaient été versés au dossier qu’en 2019, au grand dam des juges qui ont instruit l’enquête sur les attentats de Zaventem et Maelbeek.
Début février, au procès, plusieurs avocats de la défense s’étaient étonnés que ces notes aient été transmises au parquet fédéral plutôt qu’aux juges d’instruction, “qui représentent l’indépendance de la justice” avait rappelé Me Vincent Lurquin. “Il est curieux que la Sûreté de l’État (…) décide seule de ce qui va être déclassifié“, avait notamment pointé le conseil de l’accusé Hervé Bayingana Muhirwa.
Lundi, l’administrateur général adjoint de la Sûreté de l’État, Pascal Petry, a confirmé devant la cour que c’est bien la VSSE qui décide de classifier des informations qu’elle juge sensibles, pour protéger ses sources ou des enquêtes en cours notamment. “Nous avons un devoir de discrétion“, a pointé M. Petry, rappelant que certains noms qui apparaissent dans ces notes renvoient à des personnes qui, après analyse, sont écartées de l’enquête. “La classification n’est pas obligatoire mais peut donc être nécessaire“, a-t-il résumé. Quant à la déclassification, elle est décidée par l’auteur de la note ou son supérieur, a-t-il ajouté.
Après déclassification, la Commission BIM prend ensuite le relais, cette instance qui analyse la conformité au regard du droit des méthodes déployées par les services de renseignement. Elle transfère alors la note au ministère public, en soulignant si nécessaire la sensibilité d’une information par rapport à une enquête en cours de la VSSE.
Ensuite, “c’est toujours le ministère public qui décide quand des données sont communiquées au juge d’instruction” ou ne le sont pas, a conclu le président de la Commission BIM, Jean-Claude Claeys.
Des conversations interceptées en prison, il ressort notamment qu’un certain “Abou Imrane” s’était employé à cacher les armes – toujours disparues à ce jour – de la cellule terroriste. Les juges d’instruction s’étaient émus, dans un courrier adressé au parquet, de n’avoir été informés que trois ans plus tard de cet élément, quand leur enquête était quasiment bouclée et alors que leur enquête avait pourtant fait le lien entre ce pseudonyme et l’accusé Bilal El Makhoukhi.
14h36 – La cour d’assises décide de récuser le 17e juré suppléant
Après près d’une heure de suspension, l’audience a repris en début d’après-midi avec la lecture de l’arrêt de la cour d’assises concernant le 17e juré suppléant.
La cour a finalement décider de le récuser, jugeant que l’usage du terme “cellule opérationnelle”, employé par le juré dans une question adressée aux témoins spécialistes des renseignements pour désigner la planque de la rue du Dries à Forest, peut être “l’expression d’une opinion”, “laissant planer un doute sur l’impartialité” du juré, a motivé la présidente Laurence Massart.
Ce juré suppléant avait demandé “quel était l’état d’esprit au sein de la Sûreté de l’État lorsque (ce service) a découvert qu’il y avait une cellule opérationnelle armée au sein de la rue du Dries”. Ce terme dénote un parti pris dans le chef du juré, a dénoncé Me Paci, soutenue dans sa demande de destitution par Me Laura Séverin, conseil de l’accusé Sofien Ayari.
Les deux pénalistes affirment depuis le début du procès que leurs clients respectifs ne sont pas impliqués dans les attentats qui ont déchiré la capitale belge, Me Paci arguant que Salah Abdeslam voulait se rendre en Syrie après les attentats de Paris, le 13 novembre 2015, et attendait à Bruxelles qu’une voie s’ouvre vers le pays en guerre.
Sollicités par la présidente, les accusés n’ont pas désiré s’exprimer sur cette question.
14h47 – “Pourquoi le métro n’a-t-il pas été arrêté plus tôt, après l’attaque de Zaventem ?”
“Pourquoi n’a-t-on pas envisagé de ‘bloquer’ plus rapidement le pays, de fermer les lieux publics quand les premières alertes sont survenues”, a interrogé la présidente de la cour d’assises, relayant une interrogation des victimes, devant le trio de spécialistes des services de renseignement. Dans un témoignage empli de colère livré fin mars devant la cour, la veuve d’Yves Ciyombo, décédé dans l’attentat de Maelbeek, avait notamment souligné “en vouloir à l’État belge” de ne pas avoir coupé les lignes de métro après le double attentat-suicide perpétré à Zaventem, une heure avant qu’un troisième kamikaze ne se fasse exploser dans le métro.
“La commission d’enquête parlementaire s’est penchée sur cette question et a accouché d’un rapport de 1 000 pages. Toutes les réponses à ces questions s’y trouvent donc”, a indiqué Paul Van Tigchelt, qui fut directeur de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam) entre janvier 2016 et 2020. “Mais il faut savoir qu’à ce moment-là, notre priorité c’était d’abord de confirmer ce qui se passait sur le terrain – nous étions assaillis d’informations – et ensuite, d’identifier (d’autres) cibles” potentielles, a-t-il poursuivi, rappelant que les services de renseignement étaient sur les dents depuis les attaques de Paris.
“Quand j’ai pris mes fonctions, nous étions en pleine crise terroriste. Le niveau de la menace était fixé à 3. On savait que l’affaire du Bataclan avait un lien avec notre pays. Beaucoup de suspects venaient de Bruxelles, Molenbeek. Et ils étaient encore en fuite. Tous les regards étaient donc dirigés vers nous”, a-t-il pointé. “Ma responsabilité, c’est d’être le plus précis possible (dans la motivation de l’analyse de la menace, NDLR), car les ressources des services de sécurité ne sont pas illimités. On n’a pas le droit de se tromper dans cette matière.”
15h39 – Quatre accusés figuraient sur les listes de l’OCAM
Quatre des 10 accusés du procès des attentats du 22 mars 2016 figuraient sur la liste des foreign terrorist fighters (FTF, combattants terroristes étrangers) de l’Ocam, a déclaré lundi l’ancien président de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace, Paul Van Tigchelt. Les quatre inculpés listés en 2015-2016 étaient Mohamed Abrini, Bilal El Makhoukhi et Oussama Atar, mais aussi Salah Abdeslam bien qu’il ne soit jamais allé en Syrie, a souligné M. Van Tigchelt lors du procès.
La présidente de la cour d’assises, Laurence Massart a souhaité savoir si l’accusé Abdeslam était déjà sur la liste pour les attentats de Paris du 13 novembre 2015. M. Van Tigchelt a répondu que l’Ocam ne travaillait pas au hasard et a précisé que la liste de l’Ocam des FTF comprenait cinq catégories. Il y a les suspects qui sont encore en Syrie, ceux qui sont en route vers les zones de conflits, ceux qui sont rentrés et ceux qui ont tenté de s’y rendre. Enfin la cinquième catégorie regroupe les personnes qui n’ont jamais tenté de se rendre en Syrie, mais qui se sont radicalisées en Belgique.
Salah Abdeslam faisait partie de ce dernier groupe. Plus tard, une nouvelle catégorie de combattants terroristes, les homegrown terrorist fighters (HTF) a été ajoutée, pour les loups solitaires s’étant radicalisés par eux-mêmes. Les trois kamikazes, Khalid El Bakraoui, Ibrahim El Bakraoui et Najim Laachraoui, étaient aussi sur les listes de l’Ocam, a précisé l’ancien président de l’organe.
18h12 – La défense conteste la fiabilité des écoutes à la prison de Bruges
La défense des accusés Mohamed Abrini et Salah Abdeslam ont remis en cause, lundi devant la cour d’assises de Bruxelles, la fiabilité des écoutes téléphoniques effectuées au sein de la prison de Bruges en 2016. Elles ont notamment dénoncé des “morceaux choisis” et des traductions incorrectes d’extraits qui n’ont été transmis que trois ans plus tard aux juges d’instruction chargés de l’enquête sur les attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles.
“Les services de renseignement nous disent que les passages ‘pertinents’ ont été repris et ajoutés au dossier. Mais c’est problématique pour nous (la défense, NDLR), dans la mesure où l’on nous donne accès à des petits morceaux par-ci par là, à des synthèses… Tout cela est très subjectif. Et on doit s’en contenter“, a lancé l’avocate de Mohamed Abrini, Me Laura Pinilla. “Quand on procède à des écoutes, on ne peut pas choisir ce qu’on garde et ce que l’on ne garde pas“, a ajouté la pénaliste, pour qui cette méthode enfreint les droits de la défense. “On devrait avoir accès aux écoutes et à leurs retranscriptions pour éventuellement les contredire. Or, cette possibilité ne nous a pas été offerte ici.”
Des échanges entre son client et Mohamed Bakkali ont été enregistrés à la prison de Bruges. “Ils étaient éloignés de sept cellules et, cerise sur le gâteau, ils s’appellent tous les deux Mohamed. Le risque d’erreur est très important“, a souligné Me Laura Pinilla. “Donc prenez ces écoutes pour ce qu’elles sont, sachant que toutes les garanties prévues par le législateur n’ont pas été respectées“, a-t-elle conclu à l’adresse du jury.
Avec Belga – Dessin de couverture : Jonathan De Cesare