Procès des attentats de Bruxelles : les victimes témoignent, Ibrahim Farisi aurait blessé une victime en quittant la salle
Les témoignages des victimes des attentats du 22 mars 2016 se sont poursuivies ce mardi.
Après le témoignage poignant de l’athlète paralympique Béatrice De Lavalette ce lundi, qui a ouvert la cinquantaine de témoignages de victimes attendus dans les prochains jours, une douzaine de victimes sont appelées à témoigner devant la cour d’assise ce mardi. Huit d’entre elles, a priori, ont néanmoins déjà annoncé qu’elles renonçaient, comme ce fut déjà le cas lundi pour deux proches de victimes décédées.
“Certaines personnes n’ont pas la force d’affronter la cour d’assises, le regard des accusés, la souffrance. Cela ne veut pas dire qu’elles ont un désintérêt pour la cour d’assises, loin de là. Elles n’ont tout simplement pas le courage“, a indiqué Aline Fery, avocate de l’association de victimes Life4Brussels, enjoignant dès lors la cour à faire preuve de compréhension à leur égard.
La présidente de la cour, Laurence Massart, a indiqué qu’elle lirait sans doute alors des déclarations ou auditions de ces victimes, comme elle l’a fait lundi pour deux témoins absents.
Pour rappel, 10 hommes sont jugés pour ces attaques terroristes.
L’hôtesse de l’air dont la photo avait horrifié le monde souligne la douleur de sa famille
Hôtesse de l’air au moment du double attentat-suicide à Zaventem, le 22 mars 2016, Nidhi Chaphekar est venue d’Inde pour témoigner mardi matin devant la cour d’assises de Bruxelles. Elle a déroulé son récit des premières heures de l’attentat à l’épilogue d’un chapitre qu’elle désire à présent fermer par sa présence, sept ans plus tard, devant la cour. “Je veux raconter ce qu’il m’est arrivé, mais aussi ce que mes proches, mes enfants, mon mari ont traversé.”
Sa photo a fait le tour du monde. Couverte de poussière, le regard hagard, Nidhi Chaphekar (aujourd’hui âgée de 47 ans) est assise sur un banc de l’aéroport. Sa veste d’uniforme jaune déchirée, les pieds déchaussés. Le matin du 22 mars, la cheffe d’équipage marchait dans l’aéroport avec son équipe quand s’est produite la double explosion.
“Voler était ma passion. J’adorais venir à Bruxelles“, débute tristement celle qui, depuis, n’a plus pu être engagée dans l’aviation. Après l’attentat-suicide, son idée fixe est de prévenir sa famille qu’elle est vivante. Jusqu’à demander à l’ambulancier qui l’emmène vers un hôpital à Anvers de ne pas la laisser s’endormir.
Très vite, sa photo se retrouve partout. Son mari remue ciel et terre pour obtenir de ses nouvelles. Il demande ensuite en urgence un visa pour la rejoindre, ce que lui accordera l’ambassade française. Le reste de la famille prend soin de sa fille, âgée alors de 10 ans, et de son fils de 13 ans et demi. À l’annonce de la nouvelle, la première s’est évanouie, le second s’enfoncera dans un mutisme et la dépression.
Aujourd’hui, “mon mari sait ce que je traverse mais je n’en parle pas aux autres membres de ma famille, car je ne veux pas être constamment dans la plainte“.
“Les victimes n’étaient pas au mauvais endroit au mauvais moment, les terroristes oui”
“Nic et toutes les autres victimes ne se trouvaient pas au mauvais endroit au mauvais moment. Ce sont les terroristes qui n’avaient pas le droit d’être là, certainement pas avec les intentions qu’ils avaient“, a asséné mardi matin, devant la cour d’assises, la veuve d’une victime de l’attentat-suicide à l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016.
Karina Ponnet, 64 ans, a perdu son mari Nic Coopman (57 ans) ce jour-là, fauché par la seconde explosion à Brussels Airport alors qu’il devait prendre l’avion pour des raisons professionnelles. Dans un témoignage empli d’émotion mais surtout de tendresse envers son époux, celle qui ne veut pas qu’on la qualifie de “veuve” est revenue sur les jours et semaines ayant suivi le 22 mars, et sur “la grande tristesse” qui l’habite depuis lors.
Dès le 22 mars au soir, dans l’attente de nouvelles de son mari, Karina commence à écrire un livre destiné à son conjoint, pour lui raconter comment elle a traversé ces événements. Un ouvrage qu’elle arrêtera finalement après 209 pages. La sexagénaire apprend la mort de son mari à Brussels Airport le 25 mars. “J’aurais tant voulu le voir ce 22 mars, peu importe son état, afin de pouvoir le revoir au moins une fois avant qu’il ne décède“, confie-t-elle dans son témoignage. “J’aurais voulu vieillir avec lui et être là pour le soigner s’il était malade. J’aurais tellement voulu m’occuper de lui s’il avait perdu ses deux jambes ou ses bras. Mais c’est peut-être égoïste de ma part, car je ne sais pas comment Nic l’aurait pris“, ajoute-t-elle.
Karina Ponnet n’a pas procédé à l’identification formelle de son mari. “J’ai voulu retenir le sourire de Nic tel qu’il était, un bel homme plein d’humour, de positivité, de bonnes intentions dans la vie.” Le soir du 25 mars, elle écrit alors la nécrologie de son ex-partenaire de vie. “Tu étais au mauvais endroit au mauvais moment. Repose-toi maintenant. Tu as été plus que courageux. (…) Merci pour ton sourire, ta gentillesse inépuisable. (…) Je suis reconnaissante de t’avoir connu. Je suis reconnaissante d’avoir pu vivre avec toi.“
Devant la cour, elle est cependant revenue sur ces pensées.”Nic et toutes les autres victimes ne se trouvaient pas au mauvais endroit au mauvais moment. Ce sont les terroristes qui n’avaient pas le droit d’être là, certainement pas avec les intentions qu’ils avaient“, a souligné celle qui n’attend désormais qu’une seule chose : que les journées passent au plus vite et qu’elle se retrouve devant la télévision le soir chez elle, entourée de ses chats.
Une victime dénonce son combat contre les assurances, qui dure depuis sept ans
Loubna Selassi, l’épouse d’un bagagiste grièvement blessé le 22 mars 2016 à l’aéroport de Zaventem, a dénoncé mardi après-midi, l’expertise judiciaire concernant son mari qui dure depuis sept ans. Lors de son témoignage devant la cour d’assises, elle est aussi revenue, avec des mots durs, sur le combat au quotidien que son mari et elle doivent mener, notamment vis-à-vis des assurances, depuis ce jour qui a changé le cours de leur vie à tout jamais.
Après avoir mis quelques instants à débuter son récit, prise par l’émotion, cette assistante administrative de 40 ans a commencé à dérouler sa terrible journée du 22 mars 2016. Ce jour-là, une première explosion survient à 07h58 à l’aéroport. Vers 08h45, Loubna Selassi reçoit un appel de son mari, Abdallah. “Je décroche et j’entends des cris d’une atrocité telle que d’y penser me donne des sueurs froides. J’entends ‘Ma jambe! Ma jambe!’. Puis la communication s’arrête subitement.“
Quelques heures plus tard, après avoir cherché par monts et par vaux une trace de son mari dans un hôpital, elle apprendra par téléphone qu’il se trouve dans un hôpital à Anvers. “Je reçois un diagnostic, en néerlandais. On me dit que mon mari est bien vivant mais qu’il a dû être amputé d’une jambe. On me dit ça au téléphone, comme un fait divers“, se remémore-t-elle avec douleur.
Quelques jours plus tard, celle qui se présente comme une “victime indirecte” apprend par le personnel médical que, lorsque son mari est arrivé dans cet hôpital anversois, “le chirurgien avait hésité à le soigner, pensant que c’était l’un des terroristes“. “C’est une chose que j’aurais voulu ne jamais savoir. C’était très dur à entendre. Dans ce contexte-là, on se demande si sa jambe aurait pu être mieux soignée“, a-t-elle ajouté devant la cour d’assises.
Depuis lors, son mari et elle sont en effet confrontés à une multitude d’expertises, de démarches et de formulaires à remplir. “Ce n’était que le début de notre combat, que l’on mène encore aujourd’hui.” “Nous nous sommes sentis seuls face à nous-mêmes. Nous n’avions personne pour nous conseiller“, a situé la témoin. “Madame, vous n’êtes pas Kim Kardashian, vous ne pourrez pas me payer“, s’entendra-t-elle répondre par un avocat. “Quand il s’agit d’argent, il n’y a pas d’humanité“, résume Loubna Selassi. Avant de dénoncer “ces experts capables d’anéantir en une remarque toute votre énergie“. “Vous avez de la chance, on paie votre salaire“, lui dira l’un d’eux.
La compagne d’Abdallah regrette que l’État ait laissé les victimes entre les mains des assurances. Les services impliqués sont censés les aider dans leurs démarches et devraient comprendre qu’elles ont besoin d’aide, de bienveillance et non de jugement, a-t-elle estimé. “Nous sommes auscultés, examinés et soupçonnés du pire. Les cauchemars de ce jour noir n’ont jamais de fin pour Abdallah.“
Ibrahim Farisi blesse une victime en quittant la salle, selon une avocate de Life4Brussels
Avant de clôturer l’audience de mardi, dédiée aux témoignages des victimes de l’aéroport de Zaventem, Me Olivia Venet, qui représente l’association Life4Brussels au procès des attentats du 22 mars 2016, a pris la parole pour dénoncer le comportement de l’accusé Ibrahim Farisi. “Madame la présidente, la cour aura peut-être remarqué qu’Ibrahim Farisi est sorti un peu précipitamment.” En se levant à l’audience de l’après-midi, l’homme a en effet délibérément renversé sa chaise, grommelant quelques mots entre ses dents.
“Une des victimes de Maelbeek se trouvait derrière moi, les jambes levées (en raison de ses blessures persistantes depuis l’attentat dans le métro bruxellois, NDLR) et a été bousculée par M. Farisi”, a relaté Me Venet. Sara Margoum, qui doit elle-même témoigner en tant que victime le 27 mars, est encore aujourd’hui munie d’une pompe à morphine, a poursuivi Me Venet. “Sa pompe à morphine a été désactivée” lorsqu’Ibrahim Farisi l’a poussée “et elle a dû être emportée en ambulance”. “C’est intolérable”, a conclu la pénaliste.
La présidente s’est tournée vers la défense de cet accusé, qui a confirmé le départ de son client mais n’a pas assisté à l’incident. Laurence Massart lui a alors demandé de tirer l’affaire au clair avec son client, qualifiant l’incident d’“inacceptable”.
À la sortie du Justitia, Me Venet a expliqué que l’incident était sans doute arrivé par mégarde et que l’accusé n’avait pas eu l’intention de blesser Mme Margoum.
Depuis le début du procès, Ibrahim Farisi, qui doit répondre de participation aux activités d’un groupe terroriste, est connu pour ses mouvements d’humeur, ses interruptions régulières et ses allées et venues presque quotidiennes entre l’extérieur et l’intérieur de la salle d’audience.
La Rédaction (avec Belga) – Photos : Belga – Dessins : Belga/Jonathan De Cesare