Procès des attentats de Bruxelles : les enquêteurs exposent le profil de Smail Farisi et Ibrahim El Bakraoui
Le procès des attentats de Bruxelles a repris ce lundi.
Après le portrait, en fin de semaine dernière d’Ali El Haddad Asufi, les enquêteurs exposent ce lundi le profil d’un autre accusé : Smail Farisi. Ils devraient aussi s’intéresser à Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes de l’aéroport.
11h51 – Les plaidoiries en appel au sujet des fouilles à nu des accusés détenus fixées le 3 mars
Les avocats de six accusés détenus au procès des attentats à Bruxelles et l’avocat de l’État belge se retrouveront à nouveau le 3 mars au Justitia à Haren pour débattre des conditions de transfert de ces accusés depuis la prison jusqu’au Justitia. C’est dans ce nouveau bâtiment de justice, sur l’ancien site de l’Otan, que se déroule le procès des attentats du 22 mars 2016 à l’aéroport de Zaventem et dans la station de métro Maelbeek. Le tribunal de première instance de Bruxelles, siégeant en référé, avait rendu, fin décembre, une ordonnance enjoignant l’État belge (via son ministère de la Justice) de faire cesser les fouilles à nu systématiques des accusés détenus. L’État a ensuite fait appel de cette décision.
Depuis le début du procès des attentats du 22 mars 2016, les accusés détenus dénoncent leurs conditions de transfert de la prison de Haren au Justitia, non loin de là. Ils se sont insurgés contre le déshabillage complet suivi de génuflexions imposé chaque matin par les policiers afin de vérifier que les détenus ne cachent rien dans leur anus. Pour le premier juge, de telles fouilles, si elles sont pratiquées systématiquement et qu’elles ne sont pas justifiées par des indices d’un risque d’évasion ou d’attaque, peuvent être considérés comme des traitements dégradants.
Depuis cette décision, la police continue de pratiquer chaque matin ces fouilles à nu, mais remet à chaque accusé un justificatif. Or, selon les avocats de la défense, ces documents contiennent soit des erreurs soit des explications stéréotypées qui ne correspondent pas à ce que le tribunal entend par “indices sérieux” de dangerosité.
12h24 – Smail Farisi a été recontacté par Ali El Haddad Asufi vers octobre 2015
L’accusé Smail Farisi, locataire officiel de l’appartement de l’avenue des Casernes à Etterbeek – d’où est parti le kamikaze du métro de Maelbeek, Khalid El Bakraoui, le matin du 22 mars 2016 -, a été en contact avec la cellule terroriste responsable des attentats de Bruxelles via l’accusé Ali El Haddad Asufi, ont exposé lundi les enquêteurs devant la cour d’assises de Bruxelles. Le rôle joué par Smail Farisi dans les attentats qui ont frappé la capitale belge était décortiqué lundi matin devant la cour. Pour ce faire, les enquêteurs et juges d’instruction ont brièvement dressé le portrait de ce Belgo-Marocain, né le 12 novembre 1984 à Anderlecht. Au moment des attentats, il est inconnu des services de police et du contre-terrorisme.
Il rencontre Ibrahim El Bakraoui, qui le premier a déclenché sa bombe à l’aéroport de Zaventem, à l’institut René Catigny d’Ixelles, tout comme l’accusé Ali El Haddad Asufi. C’est via ce dernier qu’il entrera en contact avec plusieurs membres de la cellule terroriste, selon l’enquête. En effet, fin septembre-début octobre 2015, les deux hommes se rencontrent de manière fortuite dans le centre de Bruxelles, après s’être perdus de vue depuis qu’ils ont quitté les bancs de l’école. Ils échangent leurs numéros de téléphone mais ne se recontacteront pas immédiatement. Jusqu’à un appel d’Ali El Haddad Asufi, qui se rendra ensuite au domicile parental de Smail Farisi. Le premier explique au deuxième les problèmes que rencontre Ibrahim El Bakraoui pour trouver un logement. Smail Farisi acceptera d’héberger son ancien ami, d’abord gratuitement.
Les déclarations de ce dernier ont toutefois varié entre son audition du 21 avril 2016 et celle du 19 septembre 2017. Dans la première, Smail Farisi explique que son ami est venu chez ses parents seul. Dans la deuxième, il était accompagné d’Ibrahim El Bakraoui.
Autre variation : si Smail Farisi affirme dans un premier temps que c’est bien Ali El Haddad Asufi qui lui confie les problèmes de logement d’Ibrahim El Bakraoui, il dira plus tard ne plus se souvenir qui de ces deux derniers a mis le sujet sur le tapis. “Il est possible que Smail Farisi ait pris soin de modifier ses déclarations pour mieux coller aux déclarations d’Ali El Haddad Asufi“, a commenté le juge d’instruction Olivier Leroux. L’accusé a eu accès au dossier après son inculpation et sa mise sous mandat d’arrêt, afin de pouvoir suivre l’évolution de l’enquête dans le respect des droits de la défense. Mais “ce n’est qu’une hypothèse“, a reconnu M. Leroux.
Smail Farisi souffre par ailleurs de problèmes d’alcoolisme qui ont “compliqué” les auditions, les ponctuant d’imprécisions, d’oublis et d’hésitations, a relevé le coordinateur de l’enquête, Grégory Moitroux.
16h16 – Smail Farisi visite fréquemment l’avenue des Casernes après l’arrivée d’Ibrahim El Brakraoui
L’accusé Smail Farisi s’est rendu à de nombreuses reprises dans l’appartement de l’avenue des Casernes à Etterbeek après l’emménagement d’Ibrahim El Bakraoui, a expliqué lundi, devant la cour d’assises de Bruxelles, le coordinateur de l’enquête, Grégory Moitroux. Entre l’installation de son ami en octobre 2015 et le mois de mars 2016, qui sera endeuillé par les attentats dans la capitale belge, Smail Farisi s’est rendu dans le logement à 143 reprises.
Après avoir accepté de loger Ibrahim El Bakraoui, Smail Farisi vide l’appartement qu’il louait via le CPAS d’Etterbeek afin que le futur kamikaze puisse s’y installer, ce que celui-ci fera le 4 octobre 2015. À partir de cette date, Smail Farisi effectue de nombreux allers-retours pour ce qui paraît être, selon les enquêteurs, “bien plus que de simples visites de courtoisie“. Les policiers ont relevé plusieurs moments interpellant capturés par la vidéosurveillance. “Le 18 novembre, soit le jour où la police française intervient à Saint-Denis“, dans un immeuble où s’étaient retranchés des membres du commando des terrasses à Paris, “on voit les frères El Bakraoui et Mohamed Bakkali entrer dans l’appartement pour ce qu’on imagine être une réunion de crise“, a raconté, images à l’appui Grégory Moitroux. “On voit ensuite Smail Farisi arriver et on a l’impression qu’il les interrompt, car Khalid El Bakraoui et Mohamed Bakkali quittent les lieux cinq minutes plus tard.”
Peu après, Ibrahim El Bakraoui indique à son logeur que son frère Khalid va également emménager au numéro 39 de l’avenue des Casernes. Smail Farisi, qui avait accepté d’héberger gratuitement son ami, lui réclame alors un loyer. Khalid El Bakraoui s’installe le 26 novembre. En décembre, Smail Farisi passe la journée du 20 avec ce dernier bien qu’il ait prétendu ne pas le fréquenter. Les deux hommes font plusieurs allées et venues. Le mois d’après, le 13 janvier, les images de caméra montrent Smail Farisi en compagnie d’Ibrahim El Bakraoui déguisé. Ce dernier aurait justifié son accoutrement auprès de son ami en lui expliquant qu’il devait suivre discrètement une personne qui lui devait de l’argent.
À partir de février et jusqu’à la mi-mars, les visites de Smail Farisi se font beaucoup plus rares mais, dès le 16 mars, jour de la diffusion de la photo des frères El Bakraoui dans la presse, l’accusé revient presque quotidiennement à l’appartement, où vivent désormais Khalid El Bakraoui et l’accusé Osama Krayem. Le premier tente de rassurer Smail Farisi en lui disant qu’avec leur passé dans le grand banditisme, la police essaye de leur mettre des accusations de terrorisme sur le dos. L’intéressé a expliqué aux enquêteurs qu’à partir de cette date, il décide de se rendre à l’appartement tous les jours afin de “mettre la pression pour qu’ils partent“.
Le jour des attentats, Smail Farisi a, selon des déclarations, un “déclic” et fait le lien avec ses locataires. Il retourne donc à l’avenue des Casernes pour vérifier que les lieux sont vides et récupérer le jeu de clés qu’il leur avait confié. Ne le trouvant pas, il décide de tenter de changer la serrure de peur “que des gens ne reviennent“. Il contacte également la propriétaire pour mettre fin au bail, car il est, selon ses dires, pris de panique. C’est cette même panique qui le poussera à vider l’appartement avec l’aide de son frère Ibrahim Farisi, dès le 23 mars.
Son frère était-il au courant, lors du déménagement, que des terroristes avaient occupé le studio ? Smail Farisi affirme que non. “Vous auriez pu expliquer les raisons de votre nervosité à votre frère“, insiste le juge d’instruction pendant la reconstitution. “Pour quelqu’un de normal, oui. Mais à ce moment-là, j’étais préoccupé par ce que ces connards avaient fait. Je n’étais pas dans mon état normal. Sinon, j’aurais été voir la police.”
18h03 – La famille d’Ibrahim El Bakraoui avait noté des signes de sa radicalisation
Une enquêtrice de la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale (DR3) est revenue lundi après-midi, devant la cour d’assises de Bruxelles, sur le rôle joué par Ibrahim El Bakraoui dans la préparation et la mise en œuvre des attentats du 22 mars 2016 à la station de métro Maelbeek et à l’aéroport de Zaventem, où il s’est fait exploser aux côtés de Najim Laachraoui. La policière a notamment évoqué les déclarations des parents du kamikaze concernant son changement de comportement après sa sortie de prison en 2014.
Avant 2010, Ibrahim El Bakraoui (né à Bruxelles le 9 octobre 1986) est décrit par son père comme un homme qui aimait sortir, aller dans les cafés avec ses amis et qui ne priait pas. Mais, lorsqu’il est libéré sous condition en 2014 après un séjour en prison pour des braquages, le fils ainé de la famille a changé de visage. Son père est face à un homme qui a désormais banni les sorties, prie avec assiduité, se rend à la mosquée et porte des tenues traditionnelles. Un comportement que le patriarche associera aux visites reçues par son fils lorsqu’il était incarcéré, notamment celles de son cousin Oussama Atar, considéré comme étant à l’origine de sa radicalisation, et d’un imam. La sœur d’Ibrahim El Bakraoui explique qu’une fois sorti de prison, son grand frère se met à lui faire des remarques à propos de ses tenues, sur le port du voile ou encore le maquillage. Quant à la mère du kamikaze, elle regrette la perte du lien fort qu’elle entretenait avec son fils. Ce dernier s’éloigne considérablement d’elle à partir de 2014, déplore-t-elle.
L’enquêtrice a ensuite rappelé plusieurs éléments déjà évoqués devant la cour dans les présentations précédentes, notamment le rôle présumé d’Ibrahim El Bakraoui en qualité de leader et de logisticien de la cellule terroriste de Bruxelles. Elle a également narré une nouvelle fois la double tentative avortée du futur kamikaze de partir en Syrie, avec l’aide de son ami l’accusé Ali El Haddad Asufi. La présentation s’est ensuite arrêtée sur le passage d’Ibrahim El Bakraoui dans l’appartement de l’avenue des Casernes à Etterbeek. Les allées et venues du chef de la cellule ont été une nouvelle fois passées au crible, la juge d’instruction Berta Bernardo Mendez attirant l’attention du jury sur le fait que le terroriste change régulièrement de vêtements et accessoires (chapeaux, sacs, etc.), jusqu’à plusieurs fois par jour, durant cette période (entre octobre 2015 et février 2016).
La policière s’est ensuite intéressée à la location de l’appartement de la rue Max Roos, à Schaerbeek, par Ibrahim El Bakraoui sous le nom de Miguel Dos Santos. Elle a abordé son emménagement dans ce logement à partir du 29 février et, dès le lendemain, le début de ses achats pour la confection des bombes. La juge d’instruction Bernardo Mendez en a profité pour expliquer que le futur kamikaze disposait vraisemblablement de “liquidités très importantes, de liasses de billets” lui permettant de faire tous les paiements en cash.
Les divers fichiers hébergés sur le PC découvert dans une poubelle de la rue Max Roos et sur la clé USB retrouvée chez Ali El Haddad Asufi ont aussi été mentionnés, notamment les audios “pour ma mère” et “Abou Souleyman pour les frères“, enregistrés par Ibrahim El Bakraoui, ou encore les photos des kamikazes et de l’accusé Mohamed Abrini posant, armes à la main, devant un drapeau artisanal de l’État islamique. Les éléments concernant le terroriste qui furent récupérés lors de la perquisition dans l’appartement schaerbeekois, comme sa fausse carte d’identité, une perruque et des munitions, ont ensuite été rappelés.
Pour finir, l’enquêtrice est revenue sur la journée du 22 mars. Elle a expliqué que le chauffeur de taxi ayant emmené Ibrahim El Bakraoui, Najim Laachraoui et Mohamed Abrini à Zaventem avait précisé que “le gros avait payé“. Le gros désignant Ibrahim El Bakraoui. “Encore une fois, c’est lui qui paye, c’est lui qui a l’argent, c’est le leader“, a commenté l’enquêtrice, avant de remontrer les images de l’aéroport et de remémorer au jury les premières constatations des enquêteurs.
ArBr et Belga – Photo : Belga (illustration)
■ Reportage de Camille Tang Quynh et Charles Carpreau avec Yannick Vangansbeek et Apolline Feron