L’édito de Fabrice Grosfilley : pression sur les formations

C’est le risque que courent les formations de gouvernement lorsqu’elles commencent à traîner en longueur : se retrouver sous pression. Une pression qui vient de l’extérieur des négociations, dans le but de faire obstacle ou, au moins, de modifier certains pans des discussions en cours. Ce matin, ce sont donc les syndicats qui vont tenter de mettre sous pression les négociateurs de la potentielle coalition Arizona. Au moins 10 000 personnes sont attendues dans les rues de Bruxelles. C’est le deuxième rendez-vous mis en place par les syndicats chaque 13 du mois. Le premier, en décembre, portait sur la justice fiscale. Le prochain, le 13 février, concernera la thématique des services publics. Celui d’aujourd’hui est consacré à la défense des pensions.

Pour les syndicats, il n’est pas évident de mobiliser contre des mesures qui ne sont pas encore prises. On ne sait pas réellement ce que le gouvernement de Bart De Wever, s’il voit le jour, décidera. On connaît les grandes lignes : une économie d’environ 3 milliards d’euros. Du côté des intentions, on sait que les départs anticipés ou prépensions, qui pourraient être retardés, ainsi que les régimes spéciaux pour les cheminots, les policiers ou les militaires, sont notamment dans le collimateur. Mais ce ne sont, à ce stade, que des intentions. En mobilisant dans la rue, et sous réserve que cette mobilisation soit une réussite, les syndicats pourraient bien compliquer les négociations gouvernementales. Ils ont peu de chances de faire changer d’avis Bart De Wever ou Georges-Louis Bouchez, déterminés dans leurs choix politiques et qui l’ont encore répété ce week-end. Ils pourraient, en revanche, mettre mal à l’aise Vooruit, le parti socialiste flamand de Conner Rousseau et Frank Vandenbroucke, ainsi que le CD&V de Sammy Mahdi et Vincent Van Peteghem, deux partis réputés proches, l’un du syndicat socialiste, l’autre du syndicat chrétien. Au passage, on notera que l’action d’aujourd’hui est organisée en front commun, ce qui signifie que la CGSLB, le syndicat libéral, partage également ces inquiétudes.

Dans le registre de la pression, il est intéressant de noter que la négociation bruxelloise n’échappe pas, elle aussi, à cet exercice qui consiste à mobiliser celles et ceux qui pourraient influencer l’un ou l’autre négociateur, dans un contexte très différent. Puisqu’à Bruxelles les négociations sont aujourd’hui à l’arrêt, il ne s’agit pas d’essayer de s’opposer ou de modifier un projet. On n’en est pas là. Ces pressions visent plutôt à appeler les partis politiques à entamer des négociations. Depuis quelques jours, ce sont donc plutôt les milieux économiques qui se chargent de mettre la pression. On a ainsi pu entendre les organisations patronales appeler à engager des discussions. La FEB (Fédération des Entreprises de Belgique), l’Union des Classes Moyennes, BECI en région bruxelloise, et le Voka en région flamande se sont exprimés en ce sens. D’autres acteurs apportent désormais de l’eau au moulin. Samedi, dans le journal L’Écho, le tribunal de l’entreprise révélait par exemple que le nombre de faillites était en nette augmentation à Bruxelles. Faillites, procédures de réorganisation judiciaire, défauts de paiement : tous les indicateurs sont au rouge. Et ils le seraient nettement plus en région bruxelloise que dans les autres régions du pays. Sous-entendu : il va falloir que les pouvoirs publics interviennent, et pour cela, il faut un gouvernement.

L’arme est à double tranchant. On ne peut pas demander à la Région de soutenir l’économie tout en affirmant qu’elle dépense beaucoup plus qu’elle ne gagne, et qu’elle doit avant tout réaliser des économies. Mais on le voit bien : les milieux d’affaires commencent à s’inquiéter. Tout comme sont aussi inquiets les ASBL et les intervenants du secteur non marchand, dans les domaines de la santé, du social, ou de la culture, qui dépendent, eux aussi, des subsides que leur versera, ou non, la Région bruxelloise. On pourra bientôt ajouter à la liste de ceux qui font pression des organismes comme la STIB, qui devra décider quels travaux lancer ou non dans le futur, Vivaqua, qui a besoin d’argent frais pour rénover les égouts, Bruxelles Mobilité, qui doit rénover des tunnels. Et on ne parle même pas des projets de logements sur la friche Josaphat, par exemple. Tous ces dossiers sont en train de prendre du retard.

Certes, à la différence des syndicats, les chefs d’entreprise ainsi que les citoyens et contribuables bruxellois dans leur ensemble ne vont probablement pas descendre dans la rue. Ce sera peut-être différent avec les travailleurs du social, de la santé ou de la culture. Il n’empêche que, dans les deux cas, il s’agit d’un même signal : que ce soit au fédéral ou à la Région, les politiques ne travaillent pas pour eux-mêmes, mais pour la population.  Et s’ils ne sont pas capables d’aboutir à un accord, ou si les accords sont de mauvaise qualité, ils risquent tous de le payer cher aux prochaines élections. Cette sanction ultime est la pire des pressions.

Fabrice Grosfilley