L’édito de Fabrice Grosfilley : de l’ombre à la lumière

Reprendre la rue. Reprendre le pouvoir. Garder l’espoir. Se battre contre la violence et dénoncer les despotes.  Ce matin, dans cet éditorial, je vous propose un grand écart. Une balade de l’international au local, où nous irons de Washington à Anderlecht. Du plus sombre au plus lumineux.

On commence par le plus sombre : les États-Unis d’Amérique. Ces déclarations sidérantes de Donald Trump que vous avez sûrement vues, lues ou entendues hier soir. L’ancien président américain prend désormais fait et cause pour la Russie et contre l’Ukraine, un alignement total sur les thèses de l’envahisseur. Pour Donald Trump, Volodymyr Zelensky est “un dictateur sans élection (…) Il devrait se dépêcher, ou il ne va plus lui rester de pays”, a écrit Trump sur son réseau social, “réfléchissez-y, un comédien au succès modeste, Volodymyr Zelensky, a persuadé les États-Unis d’Amérique de dépenser 350 milliards de dollars pour s’engager dans une guerre qui ne pouvait pas être gagnée.”

Le renversement est vertigineux. C’est comme si les Ukrainiens étaient devenus les agresseurs et la Russie la victime. Dans cette réécriture de l’Histoire, Donald Trump et son administration épousent complètement le narratif de Vladimir Poutine. Dans ce récit, il y a notamment l’idée que l’OTAN est une menace pour la Russie et qu’en voulant rejoindre l’Alliance atlantique, les Ukrainiens auraient commis un acte d’agression. L’OTAN, c’est quand même en grande partie les Américains, mais l’Amérique d’avant, pour Trump, ça ne compte pas.

Vous vous souvenez des propos de Vladimir Poutine quand il parlait des Ukrainiens ? Ces “fascistes” soi-disant coupables d’un génocide, contre lesquels il déclenchait une “opération spéciale”. Cette propagande russe, on la retrouve désormais dans les propos de Donald Trump.

On pourrait encore faire une chronique entière sur Donald Trump. Jour après jour, heure après heure, l’ancien président américain multiplie les agressions, les provocations, les coups de force. Il somme les Européens de se débrouiller seuls pour leur sécurité, annonce qu’il va réduire les budgets de la défense, augmente les droits de douane, fait pression sur la justice américaine, exclut l’Associated Press – l’une des premières agences de presse au monde – de sa salle de presse, licencie des fonctionnaires par dizaines de milliers, ferme des agences, purge les bases de données qui ne lui conviennent pas… et traite  donc Volodymyr Zelensky de dictateur, lui reprochant de ne pas organiser d’élections… alors que son pays est chaque nuit sous le feu des bombardements russes et qu’un quart de sa superficie est déjà occupé.

Donald Trump ose tout. Il n’a aucun scrupule. Ce n’est pas seulement America First, c’est aussi Après moi les mouches et Malheur au vaincu. Seul compte le rapport de force. La violence n’est pas un tabou. Le droit est un obstacle que l’on peut balayer d’un revers de main, et la loi du plus fort est celle qui doit s’imposer.

Mais ce matin, je n’avais pas envie de vous laisser face à ce constat d’un monde qui bascule vers la haine et l’égoïsme. Parce que ce qui est vrai aux États-Unis ou dans les relations internationales est aussi en train de s’implanter chez nous. Cette culture du coup de force, de la saturation de l’espace médiatique par des déclarations tapageuses, cette volonté de faire tomber les protections : on les observe ici aussi.  Et puis, il y a des moments d’espoir. J’en ai reçu un dans ma boîte mail. Et j’ai choisi de le mettre en exergue. C’est une initiative de l’ASBL Cosmos à Anderlecht. Les dirigeants de cette association appellent les habitants du quartier Clemenceau à se rassembler aujourd’hui à 14h. Une réponse citoyenne à la vague de fusillades qui a touché le quartier.

“Aujourd’hui, ce sont les habitants eux-mêmes qui souffrent le plus de la situation. Les familles, les jeunes et les seniors n’osent plus sortir. Lorsqu’un quartier devient une zone no-go pour ceux qui y vivent, alors nous avons vraiment échoué”, écrivent les responsables de l’association, qui lancent donc « Un Moment de Pause à Clemenceau », une action où chaque semaine, les habitants sont invités à se rassembler autour d’un bol de soupe ou d’un chocolat chaud.

Ça tombe bien, puisque Cosmos gère justement un lieu de rencontre à proximité, un endroit où l’on propose des formations en restauration et hôtellerie. “Nous aimons ce quartier, pour y vivre et y travailler. Les événements des dernières semaines ne changeront rien à cela – nous continuerons à nous engager positivement”, précise l’un des membres de l’association.

Reprendre la rue, partager un café et une conversation, c’est un rappel que “nous sommes plus forts ensemble, et que l’unité entre générations et cultures l’emporte toujours sur la peur et la division.”À 14h aujourd’hui, les habitants de Clemenceau donneront une autre image de leur quartier secoué par les fusillades.

Cet aller-retour entre Washington et la place Clemenceau n’est pas fortuit. D’un côté, il y a ceux qui se croient tout permis, qui font passer leur intérêt, leur profit, leur pouvoir avant tout le reste. Qui crient fort pour impressionner ceux qui seraient tentés de leur résister. Qui veulent conquérir des territoires, liquider leurs opposants.  Les pratiques des despotes et celles des trafiquants de drogue, quand on y pense, ne sont pas si éloignées l’une de l’autre.

Et puis, en face, il y a les autres. Ceux qui peuvent choisir de se taire, de se faire discrets. Ou qui peuvent aussi, comme cet après-midi sur la place Clemenceau, on l’espère, se faire entendre. Occuper le terrain et démontrer, par leur présence, que d’autres valeurs – celles de la tolérance, du respect, du dialogue et de la non-violence – n’ont pas totalement disparu. Et que non, nous ne nous résignons pas. Nous ne nous couchons pas. Nous n’acceptons pas que la loi du plus fort s’applique partout.

Partager l'article

20 février 2025 - 10h58
Modifié le 20 février 2025 - 10h58