La Flandre prend le contrôle de l’aéroport national : quelles conséquences ?
La Flandre est devenue l’actionnaire majoritaire, à 39%, de Brussels Airport Company, alias l’aéroport national. La région flamande va investir 2,77 milliards d’euros via sa société d’investissement. L’Etat Fédéral reste lui détenteur de 25% des parts via la SFPI (Société Fédérale de Participation et d’Investissement). Mais quelles sont les conséquences concrètes de ce rachat d’actions ? Les francophones doivent-ils craindre le pire ?
■ Reportage de Michel Geyer et Nicolas Scheenaerts
“C’était dans l’air depuis quelques mois“, confie l’un de nos interlocuteurs, et pourtant tout est passé comme une lettre à la poste. Depuis, les réactions s’enchainent, notamment dans les communes les plus concernées par le survol, même si tous s’accordent pour rappeler que les routes aériennes restent du ressort du fédéral.
Le Parti socialiste, par l’entremise de Ridouane Chahid a déjà dit tout le mal qu’il pensait de cette action. Et il n’est pas le seul. Via une réaction à l’agence Belga, Benoit Cerexhe, bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre, confirme sa stupéfaction : “C’est une onde de choc. L’un des poumons économiques du pays passe aux mains des Flamands. Et personne ne réagit, personne n’a rien fait”. Et ce alors même que son parti, Les Engagés, sont au pouvoir au niveau fédéral.
Le Fédéral qui, d’après nos confrères de l’Echo/De Tijd, avait d’ailleurs réfléchi à racheter conjointement un certain volume d’actions en collaboration avec la Flandre mais a finalement préféré rebrousser chemin vu le rejet d’un tel projet par les libéraux francophones notamment. Or, des craintes surgissent en lien avec le dossier du survol de la capitale. Certains redoutent que cette nouvelle donne expose encore davantage les habitants de Bruxelles aux nuisances sonores et privilégie les intérêts flamands.
“Il faut arrêter de se faire plumer. L’argent public belge ne peut-être spolié par la Flandre”.
Olivier Maingain, bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert, ne mâche pas ses mots : “Cet aéroport s’est développé grâce à l’argent de tous les contribuables du pays. Il serait inimaginable que ses infrastructures soient mises au service principal de la Flandre. Je redoute pour ma part le même processus que l’on observe pour le moment avec les éoliennes en mer du Nord. La Flandre réfléchit d’abord et avant tout à ses intérêts stratégiques. Les Francophones ne peuvent détourner les yeux et doivent réclamer des garanties financières et juridiques“.
Néanmoins, ce nouvel épisode devrait obliger la Flandre à assumer directement ses choix selon le maïeur. “Nous verrons si le gouvernement flamand fera les investissements nécessaires réclamés par l’Europe et de nombreux rapports d’expertises afin de réduire la pollution sonore. Désormais, ils ne pourront plus se cacher derrière les décisions d’un actionnariat privé“.
“Avec 1%, la Flandre était déjà parfois déraisonnable. Alors avec 39%…”
Un observateur avisé de ce dossier pose un constat assez acéré : “Il ne faut pas être titulaire d’un master en sciences politiques pour se rendre compte que cela va générer un problème. D’autant plus qu’il y a des tensions régulières entre l’Etat fédéral et les régions sur la gestion de l’aéroport national et des routes aériennes. C’est un sujet très sensible, suscitant méfiance et concurrence. Et cela prend parfois des tournures complètement irrationnelles sur des mesures purement techniques. Ce sujet a d’ailleurs souvent été abordé en Comité de Concertation sous la Vivaldi. La Flandre défend ses intérêts avec acharnement. Tous les sujets liés à l’aéroport prennent une ampleur de fin du monde“.
Selon nos informations, le précédent gouvernement était au courant des signes d’un désinvestissement de l’actionnaire canadien, sans pour autant en arriver à discuter en Conseil des Ministres d’un possible rachat d’actions via la SPFI. Ce dossier n’aurait atterri sur la table du Kern que sous l’Arizona. Ce qui fait dire à certains que les partis francophones au Fédéral “sont soit d’une naïveté extraordinaire ou jouent dès lors un double jeu cynique“.
“La N-VA est souvent lunaire sur ce sujet du secteur aérien et pratique les procès d’intentions. Pour eux, Zaventem ne représente qu’un enjeu économique. Ils s’opposent à toute régulation objective. Si les routes aériennes survolant Bruxelles sont encore plus utilisées, on peut craindre tant pour la santé que pour la sécurité publique“, confie un proche du dossier. Rappelons quand même que c’est le contrôleur aérien, Skeyes, qui décide de l’utilisation des pistes, avec l’assentiment du gouvernement fédéral.
Un potentiel futur conflit d’intérêts ?
Contactée, la médiatrice adjointe de l’aéroport, Martine Van Riel, insiste sur plusieurs éléments. En effet, l’aéroport est situé à Zaventem, en territoire flamand. C’est donc la Région flamande qui est compétente pour l’octroi des différents permis d’exploitation et d’environnement. “La Flandre va donc délivrer des permis sur un aéroport qu’elle détient. Vu qu’ils sont maintenant le plus gros actionnaire, on peut se demander si cela ne pose pas un conflit d’intérêts. Il faudra rester vigilant pour que cela n’arrive pas. Actuellement, il y a un plafond des vols de nuit. Cette nouvelle situation pourrait influencer le contenu du permis délivré“.
Décollez, il n’y à rien à voir
De son côté, le ministre fédéral de la mobilité, Jean-Luc Crucke (Les Engagés) assure ne pas comprendre les réticences ou inquiétudes par rapport à ce dossier. “Tout comme la Wallonie est présente dans l’actionnariat des aéroports situés sur le territoire wallon, il ne me semble pas illogique que la Flandre le soit dans un aéroport situé sur le territoire flamand. Un actionnariat belge, qu’il soit flamand ou wallon, mérite le respect et nous impose encore plus d’aborder les enjeux stratégiques des aéroports avec le sens des responsabilités et de l’intérêt général. Dans le cadre de mes compétences, je serai un partenaire loyal et attentif à l’amélioration des conditions d’exploitation économiques et des impératifs environnementaux“, se borne-t-il à commenter.
Nul doute que ce sujet risque fort de déchainer les passions à intervalles réguliers dans l’actualité…
Romuald La Morté