Francisco Ferrer : des témoignages de professeurs interpellants
Ils sont 62 professeurs ou retraités à avoir travaillé pour la Haute école Francisco Ferrer. Ils entament aujourd’hui une nouvelle procédure auprès du Tribunal de première instance de Bruxelles en tierce opposition pour demander le retour de l’interdiction du port de signes convictionnels au sein de l’établissement.
L’affaire remonte à 2017 où deux étudiantes de la Haute école gérée par la Ville de Bruxelles portent plainte pour discrimination. Elles estiment que le règlement d’ordre intérieur interdisant le port du voile est contraire à leur liberté. Le Tribunal de première instance saisit la Cour constitutionnelle qui estime qu’une école peut interdire le port de signes convictionnels sans que cela entrave la liberté.
Seulement, le 24 novembre 2021, un autre jugement du Tribunal de première instance “rappelle que cette interdiction devrait être prévue par un décret, en raison de son importance, et non par le simple règlement d’ordre intérieur de l’école. Cette interdiction constitue une discrimination indirecte et en ordonne la cessation à la Ville de Bruxelles“.
La Ville de Bruxelles ne fait pas appel de la décision et les étudiantes peuvent porter le voile.
Pour une partie des professeurs, l’affaire ne peut en rester là. Ils constituent un collectif et prennent comme avocat Dominique Grisay. Ils sont soutenus dans leur démarche par d’autres acteurs comme le CAL (centre d’action laïque). Dans l’autre camp, se retrouvent les deux étudiantes à l’origine de la procédure de départ et la Ville de Bruxelles.
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Dans le dossier de Maître Grisay, quelques professeurs témoignent de leurs vécus au sein de l’établissement, mais aussi dans d’autres écoles autorisant le port de signes religieux. Pour eux, il s’agit d’une forme de prosélytisme qu’il faut bannir dans un enseignement laïque, qui de plus, nuit à la qualité des cours.
Une professeure de pédagogie écrit : “Nous le constatons en Haute Ecole pédagogique : la lame de fond de l’islamisme franchit les portes de l’école et nuit à l’enseignement. Depuis les maternelles, les enfants sont imprégnés de religiosité et de superstitions. Les futurs enseignants que nous formons ont un devoir de neutralité mais nos étudiants éprouvent comme un conflit de loyauté à rejeter des propos ou des attitudes d’enfants de leur communauté ou à faire respecter des enfants ne partageant pas leurs croyances.” Elle explique avoir déjà vu des enfants de maternelle refuser de colorier des petits cochons, cracher dans la boite à tartines d’un autre élève qui mange du jambon ou encore dire que Noël est la fête des ennemis.
Dans ses cours, cette professeure dit ne pas pouvoir aborder certaines théories scientifiques ou être contredite par certains étudiants qui se basent sur la science islamique. “Il y a trois ans, j’ai organisé, avec des profs bénévoles, un ciné-club de réflexion, le mardi midi, poursuit-elle. Passer des films documentaires ou grand public pendant l’heure de table nous paraissait une manière agréable de réfléchir tous ensemble à des sujets de société. Le succès a été nul. Pourquoi ? Nous avons constaté que les étudiants, souvent d’origine maghrébine, saisissaient (et c’est bien compréhensible) ces deux heures de table libres pour traîner à l’école et se côtoyer entre filles et garçons, sans le regard du quartier ou des grands frères. Ces jeunes n’ont pas l’occasion de flirter. Certaines filles voient dans l’heure de table l’occasion de profiter de deux heures de promenades adolescentes en ville, sans contrôle parental.”
Elle conclut par ces mots : “Autoriser les signes convictionnels à la HEFF va ouvrir davantage encore la porte aux affirmations de soi, aux revendications communautaires, aux tabous religieux, obstacles au savoir et au rejet de l’universalisme de valeurs comme celles que l’enseignement s’engage à promouvoir, celles de la Déclaration des droits de l’Homme.”
Crainte d’un renforcement de la place du religieux
Le témoignage de Samia Cherifi va également dans ce sens. Avant de rejoindre l’enseignement officiel, elle a travaillé dans une école catholique dans le bas de Saint-Gilles. Elle y enseignait l’éducation physique, l’expression corporelle et les sciences de l’éducation à la santé. Dans cette école secondaire, tous les signes religieux étaient acceptés. Des élèves catholiques et musulmans mettaient régulièrement leur veto sur certains sujets.
“Il n’était pas rare de voir des élèves se signer ou arborer leur croix en évidence alors que d’autres abaissaient leur voile sous les yeux ou se bouchaient les oreilles, estimant que c’était pêché et que JE n’avais pas à parler de ces choses-là, écrit-elle. Au cours de puériculture et d’hygiène, il devenait impossible de parler de sexualité, d’avortement, de contraception, pire, d’homosexualité ou de prononcer les mots vagin, pénis, etc., sous prétexte que leur religion l’interdit. Des jugements de valeur très graves étaient souvent portés à l’encontre de celles qui avaient des relations sexuelles ou une vie sentimentale en dehors du mariage, voire qui étaient homosexuelles.”
Plusieurs fois, Samia Cherifi raconte avoir été victime de propos racistes de la part de parents d’élèves ou a retrouvé sa voiture avec une croix griffée dessus. Elle raconte également que le port du voile durant la pratique sportive était problématique. Les jeunes filles ne souhaitaient pas le retirer et, un jour, l’une d’entre elles est restée coincée sous l’eau quelques secondes lors d’une excursion avec une activité de kayak. “Souvent, le port du voile est une raison de refus de voyage scolaire, car les parents ne peuvent pas vérifier si elles le portent bien sur place.”
Finalement, cette école a décidé d’interdire le port de signes convictionnels. A partir de ce moment, les tensions se sont apaisées et les jeunes filles ont à nouveau participé aux sorties scolaires selon la professeure.
Un abandon de la Ville de Bruxelles
D’autres professeurs expliquent qu’il est impossible de donner cours d’éducation à la vie affective et sexuelle. Les notes du cours d’EVRAS circulent avec l’intitulé “haram”. La direction de Francisco Ferrer n’aurait pas réagi.
Et c’est cette absence de réaction qui incite également les professeurs à entamer cette procédure. Ils se sentent abandonnés par leur pouvoir organisateur, à savoir la Ville de Bruxelles. Ils ont l’impression que leur contrat de travail n’est plus respecté puisque leurs conditions d’enseignement ont été modifiées.
Entre temps, la Fédération Wallonie Bruxelles et la Cocof ont autorisé le port du voile dans l’enseignement supérieur.
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La prochaine audience aura lieu le 14 octobre et le jugement devrait être rendu pour le 14 novembre.
Vanessa Lhuillier – Photo: BX1