Enseignement : le numérique va-t-il s’imposer dans l’enseignement ?
Le retour au présentiel complet à l’école est prévu pour le 19 avril, juste après les vacances de pâques. Alors que le secondaire des deuxième et troisième degré se prépare à revenir à plein temps dans les salles de classe, d’aucuns s’interrogent sur l’avenir du digital dans l’enseignement : les outils numériques, développés à la vitesse de l’éclair pour répondre aux besoins du confinement, sont-ils appelés à s’implanter durablement sur les bancs de l’école ?
Le système d’enseignement hybride – mi-présentiel, mi-distanciel – instauré dans les classes du secondaire a mis en lumière l’ampleur des inégalités d’accès au matériel informatique. Pour tenter de juguler la fracture numérique, des établissements et des pouvoirs organisateurs (PO) ont organisé la distribution de matériel à celles et ceux qui en avaient besoin. Dernier exemple en date : la Ville de Bruxelles a proposé un PC portable à tous les élèves de 4e secondaire de son réseau. L’opération court sur trois ans et concerne 1200 élèves, pour un budget de 600.000 euros. Ainsi à l’Athénée des Pagodes, par exemple, une centaine d’ordinateurs ont été mis à disposition. Les élèves peuvent les garder pour deux ans, moyennant une caution de 50 euros. Une fois la période de prêt écoulée, ils ont la possibilité s’ils le souhaitent d’acheter la machine.
Tous les élèves sont-ils désormais équipés ? Il n’existe pas à ce jour de chiffres précis et objectivables. Mais selon Véronique de Thier, de la FAPEO (Associations de parents de l’enseignement officiel), il semble que les jeunes soient de mieux en mieux équipés. Ce qui fut problématique au début de l’hybridation, l’est de moins en moins, estime Véronique de Thier. Plusieurs PO, notamment la Ville de Bruxelles et la commune d’Ixelles, nous indique-t-elle, ont beaucoup investi à cet égard.
Difficile en effet d’avoir une vision globale de la situation. Wallonie-Bruxelles Enseignement (WBE) ne dispose pas non plus encore de chiffres précis. « Nos écoles ont fait des achats et équipés les élèves mais nous n’avons encore qu’une vue partielle. Il faudra attendre le mois de juin pour y voir plus clair.», assure Sandrine Geuquet, du service Conseil au soutien et à l’accompagnement numérique de WBE. Celle-ci précise : il ne faut pas sous-estimer les besoins en formation pour les équipes pédagogiques et les élèves qu’implique l’utilisation en classe du matériel informatique.
Une trace durable?
Car l’outil informatique est aujourd’hui devenu indispensable dans l’enseignement. Si les cours sont appelés à reprendre de manière classique, en classe, les adaptations nécessaires, développées sous la contrainte du confinement, laisseront probablement des traces. « Le fait de pouvoir donner cours en ligne permettra aux profs à l’avenir de rester en contact avec les élèves absents – que ce soit pour maladie, ou parce qu’ils décrochent -, de les suivre, de les aider, de les accompagner beaucoup plus facilement qu’avant. », observe Fabrice Van Stichel, directeur de l’Athénée des Pagodes (Ville de Bruxelles). En un an, l’utilisation des outils numériques dans l’enseignement a fait des progrès sans précédents, analyse-t-il. Sur le plan pédagogique, s’il n’est pas encore question aujourd’hui de révolution numérique, les possibilités se sont développées et donnent de nouvelles perspectives, pas directement dans les méthodes pédagogiques, mais dans le soutien et l’accompagnement des élèves. « Dans les visions de l’enseignant et dans le champ des possibles, on a cassé beaucoup de murs. », résume Fabrice Van Stichel. « Le covid aura des conséquences sur l’enseignement car les effets vont perdurer dans le temps. Les enseignants ont été obligés de rentrer en contact avec des outils qu’ils auraient mis beaucoup plus de temps, sans cela, à apprivoiser. Par exemple la création par les profs de capsules vidéos qui viennent en soutien aux apprentissages, va probablement perdurer. »
Les effets du confinement vont-ils se traduire durablement ? Difficile de répondre d’un point de vue prospectif à ce stade, souligne le professeur de pédagogie à l’UCLouvain Marc Romainville. Certes sur le plan technique, les enseignants ont découvert des potentialités qu’ils ne connaissaient pas, et qui pourront par exemple permettre de développer des pédagogies différenciées et favoriser l’autonomie des élèves, explique-t-il. Mais il ne faut pas exclure non plus que la « surconsommation » informatique et numérique forcée par le confinement et l’hybridation entraîne des phénomènes de rejet, ne fut-ce que temporairement.
« Des évaluations seront nécessaires », estime Sandrine Geuquet : « Il y a une éducation au et par le numérique. Il y a certes des plus-values pour les classes mais un cours en visioconférence ne modifie par la pédagogie. Néanmoins il est évident que des verrous ont sauté et cela nous impose d’y réfléchir pour l’avenir.»
Patrick Danau, inspecteur chargé du numérique à la Ville de Bruxelles, entrevoit dans les outils collaboratifs utilisés désormais, comme la plateforme Teams, d’intéressantes perspectives : « Ces outils pourront continuer à servir pour les moments de questions/réponses entre profs et élèves ou pour la structuration des cours. Ils ne disparaîtront pas avec le retour au présentiel. Au contraire, un outil comme Team peut devenir la colonne vertébrale d’un cours. » Et il va plus loin : les connaissances informatiques des élèves pourraient être mieux exploitées, pense Patrick Danau, en leur demandant d’utiliser leur maîtrise du numérique, des logiciels informatiques, pour présenter leurs travaux : « Quand le numérique devient un outil d’apprentissage, il devient davantage qu’un support, mais aide à acquérir des connaissances. »
Vers de nouvelles plateformes ?
Sur le plan informatique, des outils étaient déjà utilisés dans les écoles avant la crise mais sous forme rudimentaire, comme la plateforme Smartschool. Celle-ci s’est fortement développée à la faveur de l’hybridation. Et aujourd’hui, face aux besoins très concrets des équipes pédagogiques, des directions et des élèves, des recherches se poursuivent pour adapter les systèmes aux réalités concrètes vécues dans les salles de classe et les salles des profs. Ainsi de « Molearning », toute nouvelle plateforme d’e-learning développée par Molengeek, en collaboration avec l’Athénée royal du Sippelberg, situé à Molenbeek, au départ des besoins très précis rencontrés par les profs et les élèves de l’établissement, condamnés au distanciel pour une grande partie des cours. « La plateforme révise les codes de l’éducation pour permettre aux élèves d’évoluer avec leurs professeurs de manière ludique et efficace. », explique Molengeek. Elle propose des outils pour faciliter le travail de tout le monde. Pour les profs, Molearning propose une série d’outils pédagogiques, administratifs. « Des outils de gestion pris en charge par la plateforme permettent aux écoles de gagner du temps et de la clarté, d’être plus efficaces. » Elle propose aussi une « Safe place » où les uns et les autres peuvent faire part de leurs difficultés, et permettre aux profs de rester en contact avec les élèves et d’être averti en cas de risque de décrochage, explique Sara Lou, directrice marketing de Molengeek. Pensé en plein distanciel, Molearning s’inscrit résolument dans un avenir envisagé en présentiel, insiste Sara Lou. Manière d’exploiter positivement pour l’avenir, des dispositifs amorcés en pleine crise.
Sabine Ringelheim – Photo : Bx1