Des chercheurs pointent une erreur dans le report de la LEZ : “Des véhicules qui circulent actuellement sont toujours interdits”
Une erreur lors de la confection du texte de loi rend le report de la zone de basse émission caduc, selon un groupe de juristes.
Le Parlement bruxellois avait, in extremis, validé en octobre dernier, à quelques jours des élections locales, une ordonnance reportant de deux ans la prochaine phase de restriction de la zone de basses émissions de la capitale. Les véhicules qui allaient être bannis de la ville dès 2025 – les voitures et camionnettes diesel Euro 5 et les essence Euro 2 – ne le seront plus qu’en 2027.
■ Reportage de Bryan Mommart, Manu Carpiaux et Laurence Paciarelli
À l’origine de la signature du texte : le MR, le PS, les Engagés, soit le trio prêt à former une nouvelle majorité côté francophone, et l’Open Vld côté néerlandophone. La manœuvre avait fait grincer des dents les potentiels partenaires néerlandophones, qui avaient accusé les Bruxellois francophones de faire cavalier seul.
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Il semble désormais que cette apparente précipitation ait entrainé quelques erreurs… et que l’interdiction soit légalement toujours d’application aujourd’hui. Les voitures des catégories concernées, qui circulent à Bruxelles, sont donc actuellement dans l’illégalité.
Une confirmation plutôt qu’un report
Le constat a été dressé par les juristes des associations qui considéraient l’option d’un recours contre le report de la LEZ, parmi lesquelles la Ligue des droits humains (LDH), l’ASBL “Les chercheurs d’air” et le BRAL, un mouvement urbain qui défend une Bruxelles “durable”.
“Alors que nous travaillions sur les questions juridiques soulevées par ce report, nous nous sommes aperçus, avec une certaine sidération, que les députés qui ont voté la proposition d’ordonnance visant à reporter le jalon 2025 ne l’ont en réalité pas reporté, mais confirmé“, nous explique Céline Romainville, professeure de droit constitutionnel à l’UCLouvain et membre de la Ligue des droits humains (LDH), qui a participé à l’analyse juridique.
En cause : l’un des amendements renvoie au mauvais article. “La proposition d’ordonnance initialement déposée traduisait bien l’objectif de reporter le jalon 2025, puis un amendement visant à élargir le champ d’application du report de la LEZ a été déposé en cours de discussions parlementaires“, détaille Céline Romainville. “Or, cet amendement se réfère à la troisième colonne d’un tableau intégré dans l’arrêté de 2018 relatif à la zone de basses émissions qui reprend les catégories de véhicules autorisés à partir de 2025 dans cette zone. Résultat : plutôt que de reporter un jalon, elle autorise uniquement l’accès à la zone de basses émissions des véhicules Diesel Euro 6 et Essence Euro 3 – et par conséquent exclut les véhicules Diesel Euro 5 et essence Euro 2 – à partir de 2025. Ce que prévoyait déjà le jalon 2025.”
Pour la juriste, ce cas démontre l’importance du Conseil d’Etat pour les actes législatifs. “Il n’y a pas de passage obligé devant le Conseil d’Etat pour les propositions d’ordonnance provenant du parlement bruxellois, excepté en cas de demande expresse d’une certaine partie des députés, ce qui n’a pas été le cas ici. Le Conseil d’Etat n’a donc pas eu l’occasion de soulever l’erreur juridique que nous avons repérée, avec pour résultat qu’une règle législative qui est contraire à l’intention des auteurs du texte est en vigueur aujourd’hui.”
Pas de risque d’amende
Le ministre bruxellois de l’Environnement, Alain Maron (Ecolo), opposé à ce report, a rapidement réagi par voie de communiqué. “Le texte [porté par le trio MR – PS – Engagés] semble soit erroné, soit inapplicable sur différents aspects (défaut d’habilitation correcte pour l’utilisation des données pour une des nouvelles dispositions, mauvaise définition des jalons pour une autre de ces nouvelles dispositions…). L’administration ne va cependant pas se mettre à distribuer des amendes, assure-t-il : “Nous protégerons de ce risque les citoyennes et citoyens de bonne foi“.
Sanctionner les automobilistes n’est pas non plus l’objectif des associations qui réfléchissent aux voies de recours contre le report de la LEZ. “Les associations se trouvent actuellement dans une situation un peu absurde puisqu’elles ne peuvent pas contester un report qui n’existe pas. Elles pourraient seulement exiger le respect de cette norme, qui existe toujours. Cela pose aussi des questions de sécurité juridique pour tous les citoyens bruxellois qui ne savent plus si leur véhicule est autorisé ou pas dans la zone de basse émission.“
Les regards se tournent à présent vers la Commission Mobilité, en charge de la publication de ce texte, afin qu’elle régularise la situation au plus vite. Une nouvelle ordonnance devrait être votée avec effet rétroactif. Et ce n’est qu’à ce moment que les associations pourront utiliser leurs voies de recours. “Une autre possibilité est encore que le MR, Les Engagés, le PS et l’Open VLD restent sur leurs positions et disent que nous interprétons mal leur ordonnance“, ajoute Tim Cassiers, du mouvement urbain BRAL, auprès de nos confrères de Bruzz. “Dans ce cas, nous pourrions être amenés à saisir la Cour constitutionnelle.“
"Cela ne change rien à l'esprit du texte", pour le cabinet de Leisterh
Le cabinet du formateur bruxellois, David Leisterh (MR) confirme l’erreur : “Une erreur technique s’est glissée dans un amendement”, mais affirme que cela ne change rien à “l’esprit du texte”.
“Nous restons fidèles à ce report et la discussion politique est close. Nous serons ouverts à toute solution permettant de régler ce problème technique mais nous voulons rassurer les usagers bruxellois : il n’y aura aucun impact pour eux. Il a fallu agir vite pour les rassurer et nous assumons d’avoir voulu prendre le problème à bras-le-corps. Cette erreur dans un amendement ne change rien à la stabilité que nous avons voulu donner aux bruxellois.”
V.d.T avec Belga