Coronalert, l’application beaucoup téléchargée mais peu utilisée

Le traçage a toujours fait partie de la stratégie de déconfinement prônée par la Belgique. Il doit permettre la limitation de la transmission en cassant les chaînes. En plus du suivi manuel, l’application Coronalert devait compléter le système. Seulement,  6 mois après, force est de constater que l’application ne fonctionne pas à hauteur des espérances.

Tester, tracer, isoler. Le mantra des épidémiologistes et des politiques depuis un an. Niveau test, aujourd’hui, la Belgique est en surcapacité pour les tests PCR, les salivaires commencent à être utilisés à plus grande échelle et dès le 6 avril, les autotests seront vendus dans les pharmacies. Par contre pour le tracing, on est loin d’une efficacité optimale.

Un suivi manuel qui s’améliore progressivement

Depuis que le call center de la Cocom a été mis en place pour le suivi des contacts, le processus s’est professionnalisé. Les gens répondent plus facilement au téléphone mais ils sont toujours réticents à donner le nom des personnes qu’ils ont vues. En moyenne, les opérateurs obtiennent 2 contacts, parfois trois. “Nos 325 agents donnent en moyenne 3000 appels par jourindique la responsable hygiène de la Cocom, Inge Neven. Evidemment, ces derniers temps, le nombre a tendance à augmenter. Le but est de trouver le cas 0 pour arrêter la transmission surtout avec les variants. Nous sommes très attentifs au variant brésilien à présent. Nous avons certainement ralenti sa progression lorsque nous avons détecté le premier cas.”

Les agents posent aussi plus de questions afin de déterminer les endroits où les nouveaux contaminés se sont rendus afin de voir où se trouvent les clusters. Ainsi, nous savons maintenant que la plupart des transmissions se font dans le cercle familial puis au travail, puis dans le secondaire “ et étonnement en maternelle, ajoute Inge Neven. Nous avons aussi quelques clusters dans les crèches.”

Il reste aussi entre 500 et 1.000 formulaires PLF pour les voyages essentiels qui sont remplis par semaine. Un appel est effectué pour le premier test à l’arrivée et aussi au 5e jour pour rappeler qu’il faut en faire un autre au 7e jours. Et enfin, 2.700 tests antigéniques rapides ont déjà été utilisés dans les centres d’Albert et de Pachéco. “Comme ils sont faits sur des personnes qui ont des symptômes, leur taux de positivité est de 14%, explique Inge Neven. Des agents sont sur place et peuvent commencer directement le tracing en demandant à la personne qui elle a vu les derniers jours. Avec le call center, il faut attendre un jour. C’est toujours ça de gagné et puis c’est plus facile d’avoir un contact humain en face à face pour répondre honnêtement aux questions.”

Coronalert, l’application qui ne tient pas toutes ses promesses

A côté de ce traçage manuel, il y a Coronalert. L’application a été développée le plus rapidement possible en utilisant la technologie bluetooth. Pour rappel, elle enregistre pendant 14 jours, les signaux des téléphones que vous avez croisés à moins de 1,5m pendant 15 minutes. Si vous êtes positif et que le résultat de votre test est encodé dans l’application, les personnes que vous avez croisées dans un tram ou une file par exemple, seront prévenues mais sans savoir que c’est vous le malade. Voilà pour la théorie. Dans la pratique, c’est beaucoup moins facile.

L’application a été rapidement téléchargée par 2,6 millions de Belges. Un pic a été enregistré lors de son lancement le 30 septembre dernier et depuis, quelques milliers de personnes la téléchargent encore toutes les semaines. Par contre, selon les estimations d’Axel Legay, concepteur de l’application et professeur à l’UCLouvain, seul 1,6 million de personnes l’utilisent réellement. “Nous ne pouvons pas savoir combien de personnes l’ouvre réellement au quotidien pour respecter la vie privée comme cela nous a été demandé. Nous devons donc nous baser sur des statistiques en fonction des commentaires des utilisateurs, des mises à jour effectuées. Notre marge d’erreur est de 20%.”

Or, pour être efficace, on disait au départ qu’il fallait que 60% de la population l’utilise“Les auteurs de cet article d’Oxford sont revenus sur cette donnée, précise Axel Legay. Les 60% étaient s’il n’y avait pas d’autre forme de traçage. Si l’app est en plus du traçage manuel, 15% suffisent et avec notre 1,6 million d’utilisateurs, nous sommes dans le bon.”

Au départ, il fallait que votre GPS et votre bluetooth soient activés pour que l’application fonctionne. Sur la dernière version, seul le bluetooth est nécessaire. Par contre, il faut aussi la dernière version de votre système d’exploitation (androïd ou IOS) et tout le monde n’a pas la dernière version ni un téléphone qui la supporte. Et puis, sur les réseaux sociaux, beaucoup de gens se plaignent de la complexité pour encoder les résultats d’un test PCR.

Simplifier la procédure

Actuellement, avant de se faire tester, il faut générer un code via l’application et que votre médecin ou le centre de test reçoit votre résultat, il doit indiquer votre code à 17 chiffres. “Nous avons beaucoup de médecins qui ne veulent pas le faire ou oublient. Les centres disent que cela ne fonctionne pas alors plus personne ne le fait, reconnaît Axel Legay. C’est une mauvaise publicité car nous avons amélioré le système. Et c’est vrai que les gens pensent que c’est automatique mais ce n’est pas le cas. C’est pour ça qu’ils reçoivent le résultat de leur test avant par sms et ensuite sur l’application.”

A la date du 21 mars, 577.000 tests ont été encodés dans Coronalert. Sur la même période, à savoir de début octobre au 21 mars, 7,2 millions de tests ont été effectués en Belgique. Cela veut dire que 8% des tests ont été enregistrés dans Coronalert. Sur les tests encodés, 54.000 étaient positifs, soit 9% de taux de positivité. Lorsque le test est positif, l’utilisateur doit encore valider l’envoi de la notification à ses contacts. Là non plus ce n’est pas automatique. Seuls 37% acceptent, soit 20.000 personnes. “Les utilisateurs nous disent qu’ils ne savaient pas qu’il fallait donner son accord avant une telle action. Une fois qu’ils ont le résultat de leur test, ils sont sous le choc et doivent s’organiser. Ils ne pensent pas à retourner sur l’appli pour confirmer l’envoi de l’alerte aux contacts. Et ils ne reçoivent pas de notification pour le leur rappeler. Si nous ne mettons pas cette étape de validation, Google ou Apple nous retirent de leur plateforme. Quant aux 20.000 personnes, c’est peu mais cela permet de prévenir la personne à côté de qui vous avez fait la file pendant 15 minutes sans prendre son numéro de téléphone qui va pouvoir se faire tester et s’isoler et ainsi casser la chaîne des transmissions.” 

Parmi les personnes qui ont été prévenues par Coronalert qu’elles avaient eu un contact à haut risque et qui sont allées se faire tester, le taux de positivité est de 14% contre 7% dans le reste de la population.

Une nouvelle version pour le déconfinement

“Nous avons eu un million d’euros pour développer l’appli. Je n’ai jamais été payé alors que je travaille 30h/semaine dessus. La société qui en est propriétaire est en perte sur ce produit. Nous n’avons pas gagné des millions comme le pense certaines personnes, se défend Axel Legay. Si nous avions eu plus de budget, peut-être que nous aurions fait mieux. Nous avons dû dupliquer le code allemand. Maintenant, nous développons notre propre code en opensource ce qui va permettre d’avoir de nouvelles fonctionnalités.”

Car des améliorations, tout le monde est d’accord qu’il faut en apporter. “Il faut se placer du point de vue de l’utilisateur et voir pourquoi les gens ne l’utilisent pas”, ajoute Inge Neven de la Cocom. “Nous avons fait l’erreur de ne pas expliquer l’utilité, ajoute Axel Legay. Les gens posent peu de questions sur la technologie. Ils veulent savoir ce qu’ils doivent faire avec pour qu’elles soient utiles. Et il faut aussi que l’appli soit plus dynamique.”

Les concepteurs travaillent donc sur une nouvelle version. Elle permettra à l’utilisateur d’encoder lui-même son test même s’il n’a pas généré un code avant d’aller se faire tester. “Il faudra tout de même appeler un call center car il ne faut pas que quelqu’un entre qu’il est positif juste parce qu’il veut embêter son patron avec qui il a été une heure en réunion pour le mettre en quarantaine. Nous devons nous assurer qu’un test a bien été fait. Cela restera toujours mieux de générer un code avant mais il y aura cette possibilité.”

L’application communiquera aussi avec l’utilisateur grâce à des notifications. Elle pourra dire “vous ne m’avez pas utilisé depuis trois jours” ou “pensez à activer votre bluetooth quand vous sortez” ou encore “vous devez donner votre autorisation pour que je prévienne vos contacts à haut risque”.

“Nous avons prouvé que l’application était sûre, respectait la vie privée. Nous allons résoudre les erreurs et nous devons admettre que nous avons mal expliqué la manière de l’utiliser. Nous devrions refaire des campagnes de communication. Coronalert sert à prévenir les gens et c’est tout. Cela n’envoie rien à la police si vous n’avez pas respecté votre bulle ou la quarantaine. Nous devons l’expliquer à la population. C’est ça de la gestion du risque sur le long terme.”

Axel Legay espère être prêt lors du prochain déconfinement, soit mi-mai. En tout cas, cette nouvelle version est au programme de la conférence interministérielle santé de ce mercredi matin.

Vanessa Lhuillier – Photo: BX1