Mark MacGann devant la commission Uber Files : “Je n’ai vu aucune complicité avec le gouvernement”

L’ancien directeur des politiques publiques et lobbyiste chez Uber est à l’origine de la publication des documents autour des pratiques du géant américain.

Les travaux de la commission spéciale du Parlement bruxellois consacrée aux Uber Files se poursuivent ce mercredi avec l’audition de Mark MacGann, l’ancien lobbyiste chez Uber à l’origine de la révélation des documents autour des pratiques de l’entreprise américaine. Il a révélé ces pratiques en juillet 2022 dans le cadre d’enquêtes dévoilées dans les quotidiens du Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ), parmi lesquels Le Soir en Belgique. Ces dossiers ont dévoilé comment l’entreprise a enfreint la loi dans plusieurs pays et fait pression sur certains gouvernements pour permettre à la société de transports de poursuivre ses ambitions au niveau européen.

Les députés bruxellois ont posé leurs questions durant près de 40 minutes avant que Mark MacGann prenne la parole pour répondre à ces diverses questions, émanant de tous les partis. “La plupart des travailleurs d’Uber étaient très intelligents mais il n’y avait pas de place pour le débat chez Uber. L’équipe locale d’Uber était au courant des pratiques peu orthodoxes de lobbying d’Uber. Mais ils n’avaient pas le choix, explique-t-il d’emblée. “Concernant les activités illégales, comme les obstructions à la justice, les ordres émanaient de San Francisco (NDLR : où se trouve le siège central d’Uber)”.

“J’avais le numéro de Pascal Smet mais je ne dirais pas que c’était mon ami”

“Mes interactions avec les politiques bruxellois étaient des coïncidences. Ce n’était pas mon rôle : on avait une équipe interne et des consultants externes pour cela. C’étaient des cabinets d’avocats, des fiscalistes… On dépensait, juste ici à Bruxelles, des millions d’euros par an pour ces fournisseurs de services externes”, avoue Mark MacGann, confirmant que l’entreprise américaine a mis énormément de moyens pour mettre la pression sur les politiques. “On a dépensé énormément pour obtenir des études d’académiques connus. On fournissait des données déjà biaisées : on leur donnait les ingrédients pour obtenir les réponses qu’on voulait, pour dire aux gouvernements américain, britannique, belge que les études prouvaient ce que nous voulions”.

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L’ex-lobbyiste explique également sa relation avec Pascal Smet (one.brussels/Vooruit), pointé dans l’enquêter des Uber Files révélée en juillet 2022 : “Est-ce que c’était plus facile à Bruxelles qu’ailleurs ? Les Belges sont plus accessibles et moins hautains que d’autres, en tout cas. Personnellement, j’avais le GSM de Pascal Smet, mais parce qu’on se connaissait avant que je travaille chez Uber, et on se connaissait dans des positions différentes des nôtres actuellement. Il n’a jamais été chez moi, je n’ai jamais été chez lui, je ne dirais pas qu’on était ami”, précise-t-il.

Il ajoute que sa rencontre avec Boris Dilliès (MR), alors député bruxellois et aujourd’hui bourgmestre d’Uccle, s’est résumée à un café et qu’il dit ne plus savoir s’il avait payé, lors d’un premier rendez-vous, et confie une deuxième rencontre avec l’élu libéral. Il confirme également trois rencontres avec Pascal Smet, dont deux dans son bureau. Il a également rencontré le chef de cabinet de Pascal Smet, Matthias Dobbels “une ou deux fois”. Je n’ai pas de souvenir de cadeau ou de voyage offert à des politiques bruxellois”, ajoute-t-il plus tard.

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“Uber a gagné une place à la table des négociations”

Comment Uber a-t-il pu juger de l’efficacité de ces campagnes d’influence ? “On a vendu du rêve à des chauffeurs Uber qui avait besoin d’un deuxième emploi pour arrondir leurs fins de mois. Nous leur avons donné des GSM à 900 euros. On subventionnait les courses sur Uber, ce qui faisait qu’on était toujours moins cher que les taxis. On a acheté le marché et c’est ce qui nous a permis d’opérer. Même si on était illégal”, explique-t-il. “C’était difficile pour les politiques de Bruxelles de rejeter en bloc Uber. C’était populaire. (…) Et Uber a quand même gagné une place sur la table des négociations malgré le fait qu’on était illégal”.

Mark MacGann confirme qu’Uber a disposé de versions provisoires du futur plan Taxi, en cours de négociations par le ministre-président Rudi Vervoort (PS) et le ministre de la Mobilité de l’époque Pascal Smet (one.brussels/Vooruit). “Nous étions dans l’illégalité mais que disions-nous ? Votre loi est mauvaise, elle est dépassée”, précise-t-il. “Nous expliquions en Belgique et dans le monde qu’aucun service de taxi n’était à la hauteur. Nous voulions récupérer le marché et rendre exsangues les compagnies de taxi déjà installées.

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“Pas de complicité avec le gouvernement”

Mark MacGann estime toutefois qu’il n’y a pas eu de relation privilégiée entre Uber et le gouvernement bruxellois : “Je ne vois aucune complicité avec le gouvernement”, dit-il. “Nous étions à la mode, nous avons manipulé les médias, nous avions des tonnes d’argent… C’était comme David contre Goliath, en quelque sorte”.

L’ancien lobbyiste confirme qu’Uber utilisait notamment un logiciel, God View, qui permettait de savoir quel véhicule était à quel endroit et qui l’empruntait. “Nous savions par exemple que la femme d’Alain Juppé (ex-Premier ministre et maire de Bordeaux) était à Bordeaux et utilisait un Uber”, confie-t-il.

Autre méthode utilisée : la création de faux profils sur les réseaux sociaux : “Nous avons infiltré les groupes Facebook des chauffeurs de taxi pour savoir qui allait manifester. (…) Nous étions aussi dans des groupes WhatsApp de chauffeurs Uber. Nous ne voulions pas qu’ils forment des groupes, au risque de devenir un syndicat. C’était contraire à la philosophie d’Uber. Nous avons créé de faux profils pour mettre à mal ces groupes”.

Il termine son intervention avec ses recommandations en matière de transparence autour des pratiques de lobbying : “Il n’y a pas de nuances dans la transparence, dans l’éthique. Soit c’est autorisé, soit ça ne l’est pas. Il devrait y avoir des règles claires et précises pour les lobbyistes du secteur prévu. On pourrait également envisager qu’un politique ne prenne pas de fonction dans une entreprise privée durant un certain temps”. Il estime qu’un registre des lobbyings devrait être mis en place, avec tous les moyens de communication possibles. Il précise encore qu’il doit vérifier s’il peut fournir certains documents au Parlement bruxellois, sans encourir des poursuites potentielles.

Des chauffeurs dédommagés pour des manifestations

Après une nouvelle salve de questions de la part des députés de la commission spéciale, Mark MacGann a précisé certaines réponses. D’abord sur la motivation des employés d’Uber : il confirme que de nombreux employés recevaient des actions et avaient donc intérêt qu’Uber fonctionne pour que les actions grimpent. Il confirme toutefois que certains membres du personnel se sentaient mal à l’aise sur le plan éthique avec les méthodes d’Uber et ont donc décidé de quitter leur poste.

Le lanceur d’alerte confirme qu’Uber a poussé des chauffeurs de son entreprise à manifester devant le cabinet de Rudi Vervoort et les avoir dédommagés, afin de permettre une présence médiatique autour de la réglementation des transports rémunérés à Bruxelles.

Des faux contrats pour les chauffeurs Uber

Mark MacGann précise avoir fait une requête à Uber, en 2019, pour que l’entreprise lui fournisse tous les documents le concernant, et ce grâce à la réglementation européenne sur le RGPD. Il confie avoir découvert dans ces documents des contrats qui étaient signés du nom de Mark MacGann, alors qu’il n’en avait pas la connaissance. “Ces chauffeurs avaient donc des faux contrats. Ces chauffeurs n’avaient donc pas d’assurance. C’était une astuce pour contourner la loi, dit-il. “Je l’ai signalé à Uber et la société m’a dit que c’était une erreur informatique. (…) J’espère qu’Uber a désormais été honnête dans les discussions autour du cadre légal actuel à Bruxelles”.

Il ajoute avoir entendu des rumeurs selon lesquelles le secteur du taxi aurait été financé par le PS : “Je n’ai aucune preuve de cela. Mais ces rumeurs ne signifiaient pas que j’étais contre le secteur des taxis”.

“Uber a créé de la précarité”

“C’est difficile pour un gouvernement de dire non à une entreprise qui dit qu’elle va créer des emplois. Mais Uber n’a pas créé d’emploi, il a créé la précarité. Uber ne veut pas de syndicat, Uber ne veut pas que les travailleurs aient une voix”, rappelle-t-il concernant les objectifs de l’entreprise américaine. Une réponse en guise de conclusion de cette audition de près de trois heures devant la commission spéciale du Parlement bruxellois.

Ce jeudi, dès 9h00, la commission spéciale reprendra ses travaux avec les auditions des CEO des sociétés Heetch et Uber. Des auditions qui seront également à suivre en direct sur BX1 et sur notre site.

Retrouvez toutes les séances de la commission spéciale Uber Files en replay 24h/24 sur notre site

■ Reportage de Thomas Dufrane, Frédéric De Henau et Stéphanie Mira.

Grégory Ienco – Photo : BX1

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15 février 2023 - 15h05
Modifié le 16 février 2023 - 07h25