“Cette nuit, c’était la 249ᵉ fusillade à Bruxelles depuis 2021, je ne les compte plus”, déclare le procureur Julien Moinil à la Chambre

Le procureur du roi de Bruxelles Julien Moinil a tiré la sonnette d’alarme devant les députés.

Le procureur du Roi de Bruxelles Julien Moinil a indiqué mardi en commission de la Chambre avoir demandé d’accélérer la cartographie des groupes criminels actifs dans le trafic de drogue et responsables des incidents de tirs à l’arme à feu qui se sont multipliés ces derniers temps en Région bruxelloise, notamment à Anderlecht et Forest. Tout en soulignant l’arrivée d’agents supplémentaires à la police judiciaire fédérale (PJF) de Bruxelles, décidée en urgence par le gouvernement fédéral, il a mis en garde: ce n’est pas suffisant. Les cadres de la magistrature et du personnel judiciaire doivent être remplis, a-t-il martelé, tandis que les autres maillons de la chaîne ont aussi urgemment besoin de renforcement: de l’aide à la jeunesse au SPF Justice en passant par les polices locales et fédérale.

“Cette nuit, j’ai encore été reveillé”, a-t-il commencé par déclarer en faisant référence à la fusillade de la nuit dernière à Forest. Ajoutant :“C’était la 249ᵉ fusillade à Bruxelles depuis 2021, je ne les compte plus. Ce n’est pas un problème nouveau”.

Savoir “contre qui on doit se battre”

En fonction depuis janvier et très rapidement confronté à ces fusillades qui font la une des journaux, le procureur du Roi avait rassemblé la police fédérale et les zones de police bruxelloises pour demander “une image complète” des groupes qui se livrent une guerre pour le contrôle de lieux de deal afin de savoir “contre qui on doit se battre”. Il a raccourci le délai et attend cette analyse complète “pour la fin du mois”, a-t-il indiqué mardi, en faisant l’état des lieux de la lutte contre les violences liées au trafic de drogue dans la capitale.

Reportage | Coups de feu à Forest : “Paradoxalement, la situation s’améliorait dans le quartier”, indique le bourgmestre

Julien Moinil avait déjà longuement exposé sa vision des choses le 18 février au Parlement bruxellois. Une invitation un peu “surprenante”, a-t-il répété mardi, car l’essentiel des compétences en la matière se situe bien au niveau fédéral, pas régional. Le 18 février, le procureur du Roi ne s’était pas privé de critiquer d’ailleurs avec force le désinvestissement du fédéral dans la police et la justice, résultant en un manque de moyens et de personnel qui handicape fortement la lutte contre les narcotrafiquants.

Manque de ressources

“Si j’ai parfois eu des mots durs envers le politique, c’est parce que ça fait des années que nous avons ce problème de fusillades et de drogue”, a-t-il exposé en commissions Intérieur et Justice rassemblées. Après la succession d’incidents violents à l’arme à feu en février, “j’ai eu immédiatement 25 personnes supplémentaires à la PJF de Bruxelles, ce qui est une bouffée d’oxygène pour mener ces enquêtes”, constate-t-il. “C’est insuffisant (il en manque une centaine, NDLR). J’espère que les efforts de capacité se poursuivront“, ajoute-t-il, avant d’exposer tous les maillons qui manquent de moyens pour fonctionner correctement.

Il y a les zones de police locale, surtout la zone Midi, pointe-t-il, “qui est dans un état inquiétant”. “Les bourgmestres tentent de faire ce qu’ils peuvent”, constate le procureur. “L’idéal serait que pour chaque hotspot, il y ait chaque semaine une opération”, comme celle qui a eu lieu tout récemment sur la place Bethléem à Saint-Gilles. “Mais il n’y a pas les capacités policières.” Idem pour la police des autoroutes , celle des chemins de fer, en manque chronique d’agents, les assistants de justice, nécessaires au suivi des peines alternatives, les magistrats des cours et tribunaux, les greffiers… Une première étape serait de remplir les cadres prévus par la loi, martèle le procureur du Roi tout au long de son intervention et de ses réponses aux questions.

“Je suis en colère, car j’ai l’impression que le simple respect de la loi, c’est difficile”. “Pour les Russes et la guerre, c’est la mobilisation générale”, note-t-il, faisant référence aux milliards que la Belgique envisage de dégager pour sa Défense. “Pour la guerre que nous menons, police et justice, pour protéger l’État, je ne comprends pas pourquoi c’est si difficile”, alors qu’on parle de montants bien inférieurs. Son propre parquet de Bruxelles manque de 43 employés, donne-t-il pour exemple.

Criminels incarcérés qui continuent d’opérer leur trafic

Il y a les prisons, depuis lesquelles des criminels incarcérés continuent d’opérer leur trafic. “Faites quelque chose pour que l’on puisse sécuriser les dirigeants d’organisation criminelle”, adresse-t-il aux députés. “Ce n’est pas si compliqué de dire ‘monsieur, vous avez commandité des faits depuis la prison, vous ne pouvez plus téléphoner!”

Le procureur de Bruxelles s’est également exprimé sur la fusion des zones de police : “Je ne suis pas contre. Mais que cette réforme n’entraine pas un bourbier administratif car j’ai besoin de gens sur le terrain.” 

► A lire aussi : Fusillade à Clemenceau: arrestation d’un homme de 19 ans, suspecté d’être l’un des tireurs

Un point très douloureux, finalement: l’aide à la jeunesse, qui manque cruellement et depuis de nombreuses années de places d’accueil pour les mineurs en danger. “Un des tireurs de Clémenceau, son premier dossier remonte à ses quatre ans. Il était mineur en danger, victime de violences”, indique Julien Moinil. Or, “on a des dizaines de refus de prise en charge” d’enfants dans des situations similaires. “Il ne faut pas s’étonner, avec ce désinvestissement, que les mineurs en danger deviennent des délinquants.”

  • Le procureur de Bruxelles Julien Moinil à la Chambre

Avec Belga – Photo : Belga