“Brussels is yours” : en vue du Brexit, Bruxelles vend ses atouts auprès du secteur bancaire à Londres
Alors que le Brexit annonce la prochaine sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne d’ici le 30 juin 2020, au pire, la Région de Bruxelles-Capitale multiplie les séminaires et les contacts à Londres afin de négocier l’arrivée de nombreux acteurs de divers secteurs. Avec l’objectif de créer des emplois et de donner envie à d’autres entreprises d’investir dans la capitale à l’avenir. Nous avons suivi l’un de ces séminaires, organisés à l’ambassade belge sur Belgrave Square, à Londres. Banquiers, assureurs et jeunes entrepreneurs ont suivi cette conférence, et plusieurs ont déjà confirmé leurs projets de déménager une partie de leurs effectifs à Bruxelles.
Le vote des Britanniques, le 23 juin 2016, actant la prochaine sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne a résonné aux quatre coins du Vieux Continent, et plus particulièrement à Bruxelles. Dans la capitale belge, cette sortie annonçait évidemment des négociations difficiles entre le gouvernement de Theresa May et les institutions européennes. Mais surtout, de nombreuses agences européennes et diverses entreprises allaient envisager un déménagement hors de Londres, pour rester au sein de l’Espace Économique Européen (les 27 pays de l’Union européenne, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein). La Région bruxelloise a donc saisi la balle au bond et rapidement confirmé son souhait de voir certaines agences et entreprises prendre la direction de la capitale belge. Il reste toutefois à convaincre ces institutions de passer la Manche.
Dès février 2017, la Région bruxelloise a pour se faire, créer la Plateforme Brexit, une collaboration entre quatre cabinets ministériels afin de développer une stratégie destinée à gérer au mieux la sortie du Royaume-Uni, avec le moins d’impact possible pour Bruxelles. Cette plateforme comprend diverses administrations bruxelloises ainsi que le ministère bruxellois de l’Économie (représenté par Didier Gosuin, DéFI), le ministre-président de la Région Rudi Vervoort (PS), le ministère bruxellois en charge des relations internationales (représenté par Guy Vanhengel, Open VLD) et le secrétariat d’État bruxellois en charge du commerce extérieur (représenté par Cécile Jodogne, DéFI). Depuis lors, cette Plateforme Brexit enchaîne les réunions et séminaires entre Bruxelles et Londres afin de propulser la capitale belge au sommet des désirs des hommes d’affaires londoniens.
« Le futur est proche »
Ce mardi, une délégation belge s’est ainsi rendue à Londres pour l’un de ces séminaires. Organisé par le cabinet de la secrétaire d’État Cécile Jodogne, ce séminaire se concentrait sur le secteur des banques et des assurances. Et cela, dix jours seulement après le début de la nouvelle campagne de la Région bruxelloise auprès des Britanniques : « The future is close. Brussels is yours » (traduisez : Le futur est proche, Bruxelles est à vous). « La campagne a été lancé il y a peu, avec un site internet et des explications riches pour les entreprises localisées au Royaume-Uni », nous explique Cécile Jodogne dans l’Eurostar menant à Londres. « Mais notre projet a été lancé seulement quelques mois après le vote des Britanniques. Nous avons déjà lancé quelques séminaires auprès d’un public bien ciblé. Nous avons été en contact avec des associations professionnelles et des fédérations bien connues de divers secteurs. Ce n’est pas un travail lancé en toute hâte, loin de là ». Le budget pour cette campagne est de 400.000 euros, et est entièrement financé par la Région bruxelloise. Les séminaires à Londres ne sont par contre pas comptés dans ce total.
Trois secteurs ont donc été clairement identifiés, pour lesquels la Région bruxelloise organise donc des séminaires et une communication spécifiques. Ce sont ces secteurs que la capitale souhaite attirer sur le long terme : les finances et les assurances, les sciences de la vie, et l’audiovisuel. « Bruxelles n’est pas la plus grande ville d’Europe et n’a pas l’intention de remplacer la City », ajoute Cécile Jodogne. « Nous avons plutôt des ambitions sur des secteurs bien précis, qui nous ont été rapportés comme porteurs selon le rapport Buysse. Faire une campagne générale et publique n’aurait aucun sens dans ce cas. Bruxelles a des talents spécifiques et un écosystème favorable, c’est ce qu’on souhaite mettre en avant ».
28,5 milliards d’euros
La Région bruxelloise souhaite ainsi prendre les devants concernant le Brexit, et assurer le futur des entreprises qui craignent pour leurs transactions avec l’Europe. Car 20 % du chiffre d’affaires du secteur bancaire au Royaume-Uni (soit 28,5 milliards d’euros) concerne des transactions avec l’Union européenne, et 21 % des actifs dans les assurances britanniques dépendent de propriétaires européens. « Comme le dit notre campagne, le futur est proche et il est incertain. Et l’incertitude, ce n’est pas une chose dans le monde des banques et assurances », confie-t-elle. « La plateforme Brexit a été créée avec trois objectifs : saisir les opportunités d’investissement, transmettre et tenter de répondre aux questions et inquiétudes des membres de la Région bruxelloise sur l’impact du Brexit, et préparer les entreprises exportatrices vers Bruxelles. » Tout ceci dans les secteurs ciblés par la Région bruxelloise. Et cela, sans concurrence avec les autres régions : une autre commission, menée cette fois par le fédéral et le ministre de l’Économie Kris Peeters (CD&V) permet notamment aux trois régions de ne pas se marcher sur les pieds. « Nous nous concentrons sur nos secteurs, et la Flandre et la Wallonie se concentrent sur d’autres », confirme Cécile Jodogne.
La secrétaire d’État bruxelloise au commerce extérieur affirme en tout cas que les arguments avancés convainquent de plus en plus d’entreprises. « Lloyd’s, QBE, Moneygram, Transferwise… notamment, ont décidé de s’installer sur Bruxelles », enumère-t-elle. « D’autres sont en discussions mais nous ne pouvons pas encore confirmer lesquelles. Nos arguments ? Bon nombre d’assurances et de fintechs sont déjà installés en Région bruxelloise. Nous avons également des incubateurs spécialisés en fintech, afin de pousser ces jeunes entreprises. Nous avons une proximité avec de nombreuses grandes villes européennes, et nous ne sommes qu’à deux heures de Londres en Eurostar. Bruxelles dispose également d’une belle qualité de vie, avec une multiculturalité et un multilinguisme qui sont très prisés par les entreprises internationales ». Et ces arguments ont, selon nos informations, encore fait mouche auprès de quelques entreprises durant ce nouveau séminaire londonien.
Mais quel est l’intérêt pour Bruxelles d’attirer toutes ces entreprises alors que seuls “4.000 travailleurs” seulement pourraient migrer dans l’Union européenne suite au Brexit, selon une récente estimation de Sam Woods, haute responsable de la Banque centrale britannique ? “Avec l’installation de ces nouvelles entreprises, nous allons pouvoir compter sur un écosystème économique encore plus fort. Et cet écosystème va indirectement amener d’autres entreprises et de nouveaux emplois”, assure Cécile Jodogne.
« La Belgique doit plus se mettre en avant »
Ce séminaire n’était d’ailleurs pas le premier du genre. Quatre ont déjà été organisés par le passé, et deux autres, concernant l’audiovisuel (en février 2019) et les sciences de la vie (en mars 2019), sont déjà programmés. Du côté de l’ambassade belge à Londres, ces rencontres sont l’occasion de montrer que « la Belgique a des atouts à mettre en avant ». « La Belgique a souvent été très timide, elle doit plus se mettre en avant », nous confie ainsi cet acteur britannique du secteur bancaire. « Bruxelles, c’est une place intéressante pour la fintech », nous explique encore un autre. Les présentations de Cécile Jodogne, de la FSMA (autorité belge de surveillance des marchés financiers), de la BNB (Banque Nationale de Belgique) ou encore du SPF Finances ont visiblement convaincu durant ces deux heures intenses entre explications des taxes belges, découvertes des autorités financières et questions autour de l’installation d’une entreprise en Belgique.
Eric Mouilleron, CEO de l’entreprise de fintech Bankabale, qui emploie une quarantaine de personnes à Londres, envisage ainsi de s’installer à Bruxelles. « Déjà parce que j’habite Bruxelles », sourit-il. « Aussi parce que c’est géographiquement intéressant par rapport aux autres pays européens. Parce que l’environnement réglementaire est clair et intéressant pour nous. On peut discuter, cela se passe très bien. Parce qu’il y a une vraie capacité d’accompagnement de la part des autorités. Tout est fait pour qu’on soit en ordre de marche ».
En outre, depuis le vote sur le Brexit, il est difficile de recruter à Londres. « C’est une place financière incontournable mais depuis deux ans, on manque de talents forts, on a du mal à recruter, car ces talents partent ailleurs. » À Bruxelles, notamment.
Au bout de ces deux heures de séminaire, il est déjà temps de quitter l’ambassade belge ainsi que les embouteillages londoniens. Direction l’Eurostar, la valise pleine de cartes de visite et de contacts avec des entreprises intéressées parce que la Région bruxelloise a à offrir. À moins que le prochain vote du Parlement britannique sur l’accord trouvé avec l’Union européenne capote, le 11 décembre prochain, et rabatte à nouveau les cartes sur ce fameux Brexit.
À Londres, Grégory Ienco