Attentats du 22 mars : cinq ans après, où en est la menace terroriste ?
Le 22 mars 2016, la Belgique sombrait dans l’horreur avec les attentats de Brussels Airport et de Maelbeek. La menace terroriste est à son maximum. Cinq ans après, où en est-on ? Les groupes islamistes sont-ils toujours aussi présents ou l’extrême-droite gagne-t-elle du terrain ?
Depuis quelque temps, il faut reconnaître que nous avons tous les yeux braqués sur une menace microscopique. Cependant, le terrorisme n’a pas disparu avec la pandémie de la covid-19. Au contraire, selon plusieurs services de renseignements, elle aurait même tendance à repartir à la hausse ces derniers mois. L’an dernier, la Grande-Bretagne a ainsi déjoué 3 attentats sur son territoire. En Espagne, des opérations ont également eu lieu et la France est en alerte.
De plus, depuis quelque temps, Daesh semble reprendre des couleurs en Syrie et en Irak. « Les choses ont drastiquement changé depuis 2015, explique Didier Leroy, chercheur à l’Institut royal supérieur de défense (IRSD). Les différentes campagnes de la coalition ont permis de neutraliser la structure de Daesh en Syrie orientale et en Irak. Leur morcellement leur rend la tâche plus complexe mais ils sont toujours là et le sentiment des populations locales ne change pas. Daesh conserve une idéologie simple à comprendre, antisystème et lors de l’apogée de l’Etat islamique, la vie devait être plus facile que maintenant. »
Récemment, deux kamikazes ont perpétré un attentat à Bagdad alors que cela n’était pas arrivé depuis longtemps. « On a l’impression en lisant les médias occidentaux qu’on assiste à une résurgence de Daesh mais en réalité, les attaques ont lieu de manière hebdomadaire en Syrie ou en Irak. Seulement, elles ont lieu dans des endroits plus reculés où les occidentaux ont moins d’intérêt économique, précise Didier Leroy. La population irakienne est tiraillée entre d’un côté l’armée régulière et les milices chiites qui ont des intérêts personnels à faire valoir, et de l’autre Daesh dans les gouvernorats sunnites. On l’a bien vu lors de la visite du Pape. Le pays est toujours dans un état catastrophique. Et en Syrie, vous avez une majorité sunnite avec un pouvoir oligarchique alaouite avec Bachar el-Assad auquel s’ajoute l’armée kurde qui est aussi mal vue car on assiste à une kurdisation de la vie. On ajoute encore le Hezbollah libanais, la Turquie, l’Iran, les Etats-Unis et la Turquie. Vous obtenez donc un cocktail avec beaucoup trop d’ingrédients pour que la situation ne s’arrange. »
Pour Didier Leroy, Daesh ou une organisation du même type a donc encore de beaux jours devant elle. Le conflit n’est pas près de se résorber et évidemment, cela peut avoir des conséquences sur les pays occidentaux dont la Belgique.
Une menace à 2 sur 4
En 2019, le spectre d’un attentat s’éloigne. L’Ocam, l’Organe de coordination pour l’Analyse de la menace, a passé notre pays au niveau d’alerte 2 sur une échelle de 4. Cela signifie qu’il existe toujours un risque mais que celui-ci n’est pas hautement probable. Cependant, cela n’empêche pas d’être vigilant et plusieurs événements récents ont même tendance à inquiéter les spécialistes du contre-terrorisme.
►22 mars pour l’Histoire : témoignages et hommages
“Il faut être très prudent sur l’avenir de l’Etat islamique et l’extension de Daesh au Sahel, en Afghanistan ou en Libye qui connaît un chaos sans précédent, explique Thomas Renard, chercheur spécialisé dans le terrorisme à l’Institut d’Egmont. Mais pour le moment, l‘Etat islamique n’est pas assez fort pour remobiliser des jeunes chez nous. Il y a cinq ans, nous étions devant une configuration exceptionnelle. La Syrie était un pôle d’attraction et de fascination. L’EI était la promesse d’une autre société avec une image moderne où les jeunes ont leur place. Le djihadisme avait presque une connotation positive. Et puis, on avait un phénomène de mode, de quartier. Les jeunes se radicalisaient ensemble parce que cela faisait bien. Aujourd’hui, on ne fantasme plus une expérience avec l’EI. Les groupes fondamentalistes présents en Belgique depuis les années 80 sont toujours présents mais ils n’ont plus la portée qu’ils ont eue voici 5 ans.”
Alain Grignard a passé quarante ans dans la police. Spécialiste du terrorisme, il a vu naître les groupes islamistes dans les années 80 mais aujourd’hui, il ne croit pas non plus en une résurgence de la menace. “Il faut tout de même rester vigilant. Comme je dis toujours, la prédiction est un art difficile surtout en ce qui concerne l’avenir. Nous n’avions pas vu la montée en puissance des groupes avant 2015. Aujourd’hui, l’idéologie portée par Al Qaeda existe toujours mais elle est moins visible, moins sexy pour les Européens. Cependant, les causes de la radicalisation sont toujours présentes et on ne peut pas exclure des actes isolés mais les risques sont minimes.”
L’Ocam surveille quelque 130 combattants revenus de l’Etat islamique. Le rapatriement des enfants et des mères décidé par la Belgique est également une source de tension et de surveillance. Et puis, les renseignements s’appuient sur les acteurs de terrain car les individus isolés sont plus difficiles à repérer.
Une organisation différente sur le terrain
Depuis les attentats de 2016, la Belgique, et Bruxelles en particulier, ont mis en place des structures plus professionnelles pour repérer les individus radicalisés ou à risque. Les plans comme le Plan Canal se sont succédé. L’Ocam a eu des moyens supplémentaires d’analyse. Les communes ont toutes mis en place des référents radicalisme. Des dossiers sont toujours en cours à Molenbeek, Anderlecht ou encore Schaerbeek. On est passé d’une stratégie d’urgence à une stratégie de gestion sur le long terme. “Par contre, les causes de la radicalisation de certains jeunes comme l’absence de perspective ou des conditions socio-économiques plus précaires sont toujours présentes, constate Hadelin Féront, responsable de la cellule Pré-rad chez Bravvo. Plus qu’un plan de relance économique, il faudrait un plan global de lutte contre l’exclusion sociale. Et la pandémie n’arrange rien puisque les jeunes sont remontés contre la police qui elle-même est mobilisée sur les problématiques de respect des mesures sanitaires. Du coup, elle a moins de temps pour ses autres missions.”
La Région bruxelloise a aussi mis en place son centre de crise en septembre dernier. En cas d’attaque terroriste, il doit permettre une meilleure coordination entre les services notamment dans l’accès aux caméras de surveillance de l’espace public, Stib comprise.
Le procès des attentats, un moment délicat
Si la menace semble être plus faible aujourd’hui, les experts et agents de terrain, évoquent tous la possibilité d’un acte provenant d’un individu isolé lors du procès des attentats en septembre 2022. “Quelqu’un pourrait vouloir faire évader Salah Abdeslam”, s’interroge Hadelin Féront. “C’est la plus belle campagne de communication depuis longtemps pour l’Etat islamique”, reconnaît Alain Grignard. “C’est symbolique. L’EI a besoin de communication pour exister et tous les médias seront au procès, ajoute Thomas Renard. C’est une opportunité pour marquer les esprits. On l’a vu avec l’attaque des anciens locaux de Charlie Hebdo en France. Cela pourrait être un élément précipitant pour une personne proche de cette idéologie.” “L’arme des terroristes, c’est l’émotion, commente Alain Grignard. On ne doit pas se laisser terroriser par les terroristes même si un acte isolé est toujours possible. La police ne doit pas relâcher ses efforts et d’autres idéologies sont présentes.”
La crainte des groupes d’extrême-droite
Récemment, l’Ocam pointait la crainte des actes de violence de la part de groupes d’extrême-droite. Les discours de haine se multiplient sur les réseaux sociaux. “Les méthodes de l’idéologie salafiste et de l’extrémisme de droite sont comparables, souligne Paul Van Tigchelt, directeur de l’Ocam dans un rapport. Ils déshumanisent tous deux l’adversaire. Ils utilisent une dialectique « nous contre eux » dans laquelle cet adversaire doit être détruit, car sinon le « nous » – qui que ce soit – ne survivra pas.”
En Allemagne ou en France, ces courants sont très forts et des rapprochements se font entre eux et la Belgique. Ces mouvements s’internationalisent avec des montages financiers complexes qui leur permet d’avoir des moyens pour de la propagande et des entraînements. En utilisant les réseaux sociaux grand public, ils compliquent également la tache des enquêteurs qui doivent analyser des millions de messages.
“Notre société est sous pression. La privation de nos libertés est un facteur de tensions, conclut Hadelin Féront de Bravvo. On le voit bien avec les interventions de la police. Il y a la question du racisme et il faut être vigilant car on sent une augmentation des griefs. La frustration permet de mobiliser autour d’un discours haineux.”
Vanessa Lhuillier – Photo: BX1