Les engagements des partis francophones face à l’extrême-droite, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le débat entre Georges-Louis Bouchez et le président du Vlaams Belang à la VRT.
Georges-Louis Bouchez a-t-il décidé de briser le cordon sanitaire et de considérer les partis d’extrême droite comme des formations politiques comme les autres, avec lesquelles on peut débattre ou peut-être même gouverner ? Cette question est désormais ouverte et le président du MR, sommé d’y répondre.
D’ici lundi midi, le président du MR va donc devoir dire s’il continue ou pas d’adhérer au principe du cordon sanitaire. C’est ce que lui demandent très officiellement les présidents du PS, d’Écolo et des Engagés (autrefois le CDH). Très précisément, le MR est appelé à dire s’il renie une charte qui date de 2002. Le fait que cette demande de clarification se fasse par voie d’un communiqué de presse qui porte les signatures de Paul Magnette, Rajae Maouane, Jean-Marc Nollet et Maxime Prévot indique le caractère solennel de la requête. « Une ligne rouge a été franchie (…) un acte très grave au regard des enjeux de la démocratie (…) » qui ne peut rester sans suite, écrivent les présidents de ces 3 partis politiques.
Georges-Louis Bouchez a-t-il franchi cette ligne rouge ? La charte de la démocratie de 2002 à laquelle il est fait référence ici précise effectivement dans son point 11 que les partis francophones refuseront de participer à un débat télévisuel ou radiophonique auquel participe un représentant d’une formation non démocratique. C’est Daniel Ducarme qui signe ce document pour le MR. Nous sommes en mai 2002, dans un moment où les 4 partis francophones, PS/MR/CDH et Écolo, veulent clairement repréciser les choses vis-à-vis de l’extrême droite. Le 8 mai, c’est la date symbole de l’Armistice de 1945. Mais en 2002, nous sommes surtout deux semaines après le 21 avril, c’est-à-dire le jour où Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle française. À l’époque, la condamnation est unanime. Les partis francophones ont observé ce qui se passe en France, mais aussi ce qui se passe en Flandre et ont donc décidé tous ensemble d’ériger des règles claires, des balises qui se veulent des digues pour protéger l’espace francophone des partis d’extrême-droite. Ainsi, pas de débat, pas d’interview croisée, pas de coalition gouvernementale, pas de négociation, pas d’alliance au moment des votes, pas de manifestation commune, etc. En un mot, pas de banalisation des mouvements d’extrême droite.
Alors évidemment, en 2002, Georges-Louis Bouchez n’a que 16 ans. On peut tout à fait concevoir qu’il n’ait pas connaissance de cet engagement. Mais en allant sur le plateau de la VRT débattre avec le Vlaams Belang, le président du Mouvement Réformateur ne pouvait pas ignorer qu’il transgressait au moins l’esprit du cordon sanitaire. Sa défense qui consiste à dire que ce cordon ne s’appliquerait que dans l’espace francophone, et qu’en allant à la VRT, il se plaçait dans un cadre différent, cette défense-là est bien en contradiction avec la charte de 2002. Et l’explication qui distingue le cordon sanitaire politique (qui relève des partis) du cordon sanitaire médiatique (qui serait de la responsabilité des journalistes) ne tient pas la route non plus. Il y a effectivement un cordon sanitaire pratiqué par les médias francophones pour éviter l’expression en direct des partis d’extrême droite. Mais la charte de 2002 va bien au-delà de cette pratique défendue par les principaux éditeurs de services audiovisuels. Elle précisait bien que le respect du cordon médiatique incombe au personnel politique lui-même.
L’autre argument souvent entendu consiste à vouloir mettre sur un pied d’égalité extrême droite et extrême gauche. Et d’estimer que si le PTB est dans le débat, il n’y a pas de raison que l’extrême droite n’y soit pas. Outre qu’il faudrait clairement établir quels points de programme peuvent être considérés comme liberticides dans les partis à gauche de la gauche, cet argument de la symétrie fait l’impasse sur une différence fondamentale : les partis d’extrême droite souhaitent retirer des droits (au logement, au travail, aux allocations sociales…) à des catégories de citoyens en fonction de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur confession, etc. C’est une spécificité d’une famille politique bien précise qu’on n’a pas le droit de relativiser. Et c’est surtout un argument qui sert à ne pas répondre sur le fond lorsqu’on est pris le doigt dans le pot de confiture brune.
Ce débat, il pourrait sembler d’arrière-garde. À quoi sert d’avoir un cordon sanitaire quand les idées d’extrême droite s’expriment à longueur de journée sur les réseaux sociaux ? Eh bien, justement pour faire la différence entre une opinion qui reste dans le champ démocratique et une autre qui n’y est pas. L’extrême droite est omniprésente dans les médias français. Ses idées font des ravages sur les chaînes d’infos où elles paraissent plus que banalisées. La constatation est la même pour la Flandre. Il suffit de regarder les résultats des élections de ces 30 dernières années, en France, en Flandre et en Belgique francophone, pour constater les effets du cordon sanitaire. Georges-Louis Bouchez, qui adresse régulièrement de subliminaux clins d’œil à l’électorat d’extrême droite (par exemple en estimant que Zemmour est de par sa constance plus respectable que Pécresse), va donc devoir clarifier ce point sensible. La charte de la démocratie et le cordon sanitaire ne peuvent pas être observés à moitié. Les engagements moraux ne se négocient pas à géométrie variable. Ils existent ou ils n’existent pas. Le racisme est condamnable ou il ne l’est pas. Les partis liberticides sont fréquentables ou ils ne le sont pas
■ Un édito de Fabrice Grosfilley