Didier Gosuin : “Avec le coronavirus, j’ai perdu le goût… de la politique”
Didier Gosuin (DéFi), bourgmestre d’Auderghem, revient sur les 18 derniers mois. Il en sort déçu par les politiques et craint une montée des complotistes et de l’individualisme.
Nous sommes en janvier 2020 et on commence à parler d’un nouveau coronavirus. Quel est votre état d’esprit?
Je ne suis pas médecin, je n’ai pas une connaissance globale de ce qui se passe. Je crois la tendance et rien ne me permet de contester. Je me dis qu’on va passer entre les gouttes. J’avais connaissance de premiers cas en France où j’étais en vacances. La presse française avait alors une longueur en avance. Et là, je pense que ce n’est pas du tout ce qu’on nous avait dit.
Quelles ont été vos premières mesures lors du premier confinement?
Comme on a une infrastructure culturelle, j’ai d’abord arrêté la saison des événements début mars. On a été les premiers à faire cela. J’ai eu plein de lettres de gens qui ne comprenaient pas. Avec la commune, on est allé au restaurant et j’ai dit au patron qu’il devait s’attendre à une fermeture. C’était dur, il s’est mis à pleurer. Si, en 2019, on avait écrit une telle histoire, on se serait dit “quel délire fictionnel”… et pourtant cette fois c’était la réalité. La grande difficulté était de travailler sans aucune direction. On a lancé des opérations de solidarité. On a mis en place des mesures odieuses comme mettre du scotch sur les bancs, ce qui empêchait les personnes âgées de se reposer. On a été assailli de contraintes à appliquer, qui étaient mal comprises. Et on a récolté des tomates pourries. Certaines décisions traduisaient un manque total de préparation. Le meilleur exemple, ce sont les masques. On a été laissé à l’abandon par les politiques et les experts.
Avez-vous l’impression que les maisons de repos ont été abandonnées?
Les maisons de repos ont été abandonnées au départ. J’ai fait le tour et j’ai eu des témoignages très forts. Par souci de ne pas trop engorger les soins intensifs, on a refusé des personnes qui dès lors étaient condamnées à mourir dans d’atroces souffrances. Ça a été terriblement bouleversant. J’ai eu une directrice en pleurs. A la maison de repos de la commune, on n’a pas connu ça à la première vague mais cela a été l’hécatombe pendant la deuxième. Ma tante n’a pas survécu.
Comment se passe ce premier confinement pour vous?
Il a fallu mettre en place le télétravail et on n’était pas prêt techniquement. Je crois que notre société a été plus résiliente que jamais mais cela a été possible parce que des gens sont restés en service. Le local a été le niveau qui a apaisé les mesures. On a initié des mouvements de solidarité, apporté des plats à domicile, fabriqué des masques…
Quand on déconfine en juin de l’an dernier, vous vous dites que c’est fini?
En juin, on se dit que c’est bon. On lâche la bride et, au retour des vacances, c’est rebelote. Soit on a fait une erreur d’analyse, soit c’était du cynisme car il fallait faire tourner la machine économique. Est-ce que sciemment on a fait un choix risqué ? Je ne sais pas.
Pensez-vous que la coordination entre les bourgmestres a bien fonctionné?
On a toujours été dans la réaction. J’ai fait éclater ma colère à un Cores (Conseil régional de sécurité). J’étais partisan d’anticiper le port du masque et, dans un premier temps, cela n’a pas été suivi. On me disait qu’on ne pouvait pas prendre une mesure qui n’était pas soutenue par la population. C’était un symbole. Si j’ai toujours eu la chance d’être bien perçu comme bourgmestre, nous subirons le contrecoup de la désagrégation sociétale. Même si on sera sûrement le dernier niveau à en pâtir.
On vous sent déçu.
C’est de l’amertume. Avec le coronavirus, j’ai perdu le goût…. de la politique. Quand j’ai vu ces jeux d’électoralisme où certains se concentraient sur une partie de la population en créant des sentiments de rejets ou d’abandon, cela m’a déçu. On avait une opportunité de consolider les mouvements de solidarité, de faire l’exemple. Tout le monde a été d’accord pour dire que l’organisation des soins de santé était une imbécilité dans la sixième réforme de l’Etat. Tout le monde l’a dit et la Vivaldi veut encore aller plus loin. Qu’est-ce que l’on a appris? Il faut reconstruire la solidarité interpersonnelle. A la sortie de la guerre, tout le monde est meurtri. On prend des mesures fortes avec le vote des femmes ou la création de la sécurité sociale. Ici, on n’a rien pris comme mesures fortes et je pense que cela n’arrivera pas. Macro économiquement, le repli sur soi, le populisme gagnent du terrain. J’ai plutôt pas une vision pessimiste mais je pense que le vivre-ensemble va se détruire. On a eu des discours pour la jeunesse que je comprends mais il n’y a pas qu’eux qu’on a privé d’un an et demi de vie. Des personnes âgées, c’était peut-être leur dernière. Tout le monde a eu dur. Il n’y a pas d’échelle mais on a posé le débat ainsi. On a vu les mouvements de foule, de contestations. In fine, je ne suis pas sûr qu’on sorte plus fort de cette crise.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous?
Ce qui est difficile, c’est de prendre des décisions sans être à 100% certain de l’étendue du risque. On n’avait pas d’information. Je n’ai jamais reçu de données pour les personnes dont il faut vérifier la quarantaine ou le tracing. Certaines décisions me paraissaient totalement absurdes. Fermer les plaines de jeux par exemple. Ça, c’était mon mal-être. Dans cette crise, il y a un vecteur nuisible, ce sont les réseaux sociaux avec le complotisme, les incitations à la désobéissance civile. Camus dit “nous étouffons dans un monde parce que nous vivons à côté de gens qui croient qu’ils ont absolument raison sur tout”. Or, à son époque, il n’y avait pas la diffusion de ces inepties. Aujourd’hui, les réseaux sociaux n’aident pas à construire un dialogue constructif avec la population. Quand 12 personnes meurent au home Reine Fabiola, c’est terrible de devoir gérer les réseaux sociaux. On est totalement désarmé. On se demande dans quelle chienlit on est. Je ne crois pas à un sursaut collectif et je ne crois pas qu’on va assagir les réseaux sociaux. C’était pourtant une occasion unique de les responsabiliser.
Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?
On se retrouve à peu près dans la situation de juin. La seule variable nouvelle, c’est la vaccination. J’espère qu’il n’y aura pas de reprise et qu’ils savent ce qu’on fait. Je ne peux pas donner mon avis sur les variants. J’entends qu’on peut avoir une nouvelle forme, qu’il y a des hésitations çà et là. Il y a eu tellement d’allers et retours et d’erreurs en un an et demi, alors j’espère qu’il n’y en aura plus. L’impact socio-économique va être considérable car, aujourd’hui, certaines entreprises sont sous baxter et on ne pourra plus financer un confinement une quatrième fois. Pour la première fois en 45 ans, je présente un compte en mali. On a 700.000 euros en coûts directs plus les indirects comme les pertes de rentrées, l’augmentation du nombre d’encadrants… On tourne autour des 2 millions d’interventions communales. On va devoir reparler du financement des communes. On est pas sorti de l’auberge.
Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?
Je ne suis pas un animal bizarre. Comme pour tout le monde, le confinement est quelque chose d’horrible. Ce sentiment qu’on nous prive de liberté et sans comprendre toujours pourquoi. Ne plus voir ses enfants, ses petits-enfants, ses amis, c’est compliqué. Et puis pendant un an, je n’ai pas pris de vacances et quand on est sur le pont tous les jours, ça fatigue. J’ai pris mes premiers jours au mois de mai car j’allais exploser. Il fallait que je me déconnecte.
Vous auriez aimé être encore ministre de la Santé?
Je n’aurais pas aimé car j’aurais dû gueuler. Tout ça était prévisible avec la sixième réforme de l’Etat. On gère le morcellement des compétences. C’est insoutenable. Cependant, ce n’était pas forcément mieux dans d’autres pays.
Qu’est-ce que ça a changé chez vous?
D’une certaine manière, j’ai perdu le goût de la politique. Si je dois encore m’investir, c’est en faisant contre-feu face à cette montée de l’individualisme. J’espère qu’on peut encore inverser les choses.
Vanessa Lhuillier
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