Rue de la Loi : l’été des petits pas (J+67)

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Mettre le rosé au frais, réserver la planche à voile ou le jet-ski, vérifier que les gamins ont bien mis de la crème solaire, penser à compenser la facture carbone du vol pour les Canaries ou chercher un meilleur emplacement au camping des flots bleus pour l’année prochaine. L’été, l’électeur a des préoccupations qui l’éloignent un chouia du déficit public, de la compétitivité des entreprises, de l’encadrement des loyers ou de la qualité de l’air en Région bruxelloise, du caractère arlésien du RER wallon (dont on parle tant mais qu’on ne voit jamais arriver) ou même de la réforme de l’État. Cette distraction estivale est une calamité pour le monde politique qui ne cherche rien d’autre qu’à être regardé, scruté, admiré en permanence. À l’heure où même les quotidiens de référence se détournent tandis que les hebdomadaires offrent à leurs lecteurs des quiz de l’été et un comparatif des glaciers de la Côte ou des maillots de bain top-biche (pour les régimes, repassez en avril, maintenant c’est trop tard), le commentaire politique se fait rare. Même les bureaux de parti se tiennent dans une relative indifférence médiatique. C’est la diète. La sieste imposée. La torpeur qui vous fait lever à pas d’heure et vous donne juste assez d’énergie pour aller du frigo au transat et retour.

Comment, dans ces conditions, donner assez d’éclat au courage des élu(e)s qui continuent de négocier si vaillamment, debout, dans la canicule ? Comment alerter les foules sur ces décisions courageuses de l’été ? Didier Reynders et Johan Vande Lanotte, au fédéral, Elio Di Rupo en Wallonie et Bart De Wever en Flandre continuent pourtant de travailler durement, assurent leurs services de communication. Et c’est un sacerdoce, une tâche sans répit. Certes, les autres négociateurs quittent peu à peu le pays. Il ne reste plus que l’un ou l’autre groupe technique (notamment en Wallonie sur le budget) qui travaillent réellement. Mais nos formateurs ne baissent pas les bras : ils profiteront de l’absence des moins résistants qu’eux pour s’atteler à la rédaction de projets de note de préformation ou de texte de base d’un possible accord de gouvernement. Et il leur faudra bien deux semaines (du 5 au 15 août pour la Wallonie, jusque début septembre pour le fédéral sans doute parce qu’il faut traduire dans les deux langues) pour remettre toutes les foisonnantes idées de leurs collègues dans l’ordre. Bon, d’accord, à l’heure d’internet, les entretiens pourront se faire ailleurs qu’en Belgique, la suppression du roaming (merci l’Europe) permet de mener des bilatérales à distance, et la rédaction de ces fameuses notes, pour peu qu’on soit accompagné d’un bon ordinateur portable, peut se délocaliser aisément.

Allez, soyons de bon compte. Cet été, nos négociations gouvernementales tournent au ralenti. Et on est un poil moqueur en évoquant les subterfuges avancés pour masquer cette pause politique. Cela ne veut pas dire qu’il ne se sera rien passé en juillet-août. Au contraire : le PS et la N-VA ont bien fini par se retrouver autour d’une même table de conversation, alors qu’Ecolo a refusé de s’y asseoir. Le sp.a a donné un mandat de négociation à son président John Crombez pour discuter avec Bart De Wever, alors qu’une partie du parti s’y refusait. En Wallonie, le MR discute désormais du prochain gouvernement wallon après avoir dû patienter sagement dans l’antichambre pendant près de deux mois. C’est l’été des petits pas. Celui où l’on profite du temps qui passe et de l’éloignement physique ou mental de l’électeur pour infléchir les directions annoncées. Bien sûr, rien n’est encore fait. Le PS et la N-VA ont partagé quelques heures de discussion, sans plus. Le sp.a veut bien discuter avec Bart mais avec un programme qui ressemble  à un coup de barre à gauche. Le PS fait mine de vouloir garder Ecolo à bord en Wallonie et coté MR, on trouve que cela n’avance pas bien vite. Mais nous sommes désormais au cœur du débat. Au milieu du gué, là où se nouent les rapports de force. Avec un clivage gauche-droite qui ne s’est jamais aussi bien porté.

Car les enjeux ne relèvent pas que du positionnement politicien mais bien des politiques publiques à mettre en place pour les 5 prochaines années. Au fédéral, faut-il poursuivre la politique du gouvernement Michel (oui diront MR, CD&V, Open VLD et même N-VA / non rétorquent PS, sp.a et Groen, pour se limiter aux 7 formations qui ont participé à la fameuse réunion du 28 juillet) ? La retraite à 67 ans, la politique de santé publique, la gestion des demandeurs d’asile sont autant de points qui divisent droite et gauche. C’est de la politique, la vraie, la noble. Elle se débat hélas en plein été et à l’abri des regards.

En Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, le MR peut-il endosser suffisamment de point de la “note coquelicot” pour permettre à Ecolo de rester à bord, ou les points de rupture des libéraux (qui ne déplaisent pas à certains socialistes) vont-ils contraindre les écologistes à faire un pas de côté ? Le pacte d’excellence, la gestion des aéroports, les exportations d’armes, la fiscalité sont autant de sujets qui fâchent. Jean-Marc Nollet, qui devra remettre son mandat de coprésident en jeu dans quelques semaines, peut-il se contenter d’une fleur wallonne qui virerait au bleu pâle ? Pour l’instant, nos négociateurs décompressent et réfléchissent. En s’observant. Toujours en s’observant. Pour le PS, monter au fédéral sans le sp.a est encore plus suicidaire qu’avec. Pour le sp.a, monter au fédéral sans monter en Flandre serait absurde. Pour Ecolo, se couper de Groen deviendrait problématique. Pour la N-VA, renoncer au fédéral serait un demi-échec. Chacun est donc parti à la plage avec son devoir de vacances. Mais aussi avec son téléphone portable. Parce que l’été porte conseil.