Koekelberg : un an après la fin de l’ère Pivin, quel bilan pour la coalition PS-Ecolo-CDH?

BX1 revient cette semaine sur les réalisations des trois majorités communales dont la composition a le plus changé en octobre 2018: Koekelberg, Ixelles et Molenbeek, mais aussi sur le premier bilan de l’arrivée d’Ecolo dans les collèges de Saint-Gilles, Uccle et Bruxelles-Ville.

Rétroacte

Débutons par la situation à Koekelberg. L’histoire commence par un séisme au niveau local. Au soir du 14 octobre 2018, Philippe Pivin (MR) est en tête (38,79%) devant le PS d’Ahmed Laaouej (30,60%) et Ecolo-Groen (16,73%), mais perd sa majorité absolue. Une alliance PS-Ecolo/Groen- Alternative Humaniste se met alors en place et évince le libéral. Voilà 38 ans que la famille Pivin tenait les rênes de cette petite commune du Nord-Ouest de Bruxelles. Philippe Pivin (MR) avait en effet succédé en 2001 à son père Jacques. Le libéral décide de ne pas siéger au conseil communal. C’est son dauphin, Lucas Ducarme, qui mènera l’opposition.

Renvoyée dans l’opposition, la Liste du Bourgmestre Pivin connaît rapidement plusieurs défections.  D’abord du sp.a, puis de Défi. L’ancien échevin Dirk Lagast (sp.a), rejoint, dès le lendemain, la majorité arc-en-ciel. Il y obtient la présidence du CPAS. Annoncé sur le départ, l’ancien secrétaire d’État bruxellois Robert Delathouwer (sp.a) reste finalement au conseil communal pour soutenir l’équipe d’Ahmed Laaouej (PS). Également élu sur la LB, Abdellatif Mghari (DéFI) vient renforcer à son tour la majorité. Celle-ci compte désormais 17 sièges contre 10 pour la LB.

La jeunesse: priorité numéro un

Les membres de la majorité n’hésitent pas à le répéter: Koekelberg est la cinquième commune la plus jeune du pays. Une population qui est également peu argentée et qu’il s’agit d’aider en mettant l’accent sur l’enseignement, l’extrascolaire et l’aide à la mise à l’emploi. Première mesure: la baisse du prix des activités d’encadrement organisées durant les vacances. Celui-ci est aligné sur celui moins élevé des garderies. À titre d’exemple, une famille avec deux enfants paie désormais 50 euros au lieu de 85. Le nombre d’enfants inscrits est passé entre-temps de 60 à 110.

La valeur des chèques sport a doublé en 2020, passant de 30 à 60 euros. L’âge requis pour en bénéficier a été baissé à trois ans, contre quatre auparavant. La commune a également engagé une personne à mi-temps pour s’occuper spécifiquement de l’emploi des jeunes. À charge notamment pour elle de les aider dans leur recherche d’un job étudiant.

Enseignement

Compétente pour l’enseignement francophone, Véronique Lefrancq (CDH) évoque surtout un investissement dans le numérique, la mise en place du “quart d’heure lecture” et le renforcement de la surveillance sur le temps de midi: “La première nécessité a été de prévoir une classe mobile avec portables, tablettes et tableaux numériques pour chacune des deux écoles communales. Il s’agit d’un endroit accessible pour les différentes classes de l’école. On a aussi équipé tous les enseignants d’un PC portable”. Coût de la mesure: 75.000 euros.

Vient ensuite le quart d’heure lecture. “À Koekelberg, on s’arrête chaque jour dans les écoles et on ne fait plus rien durant 15 minutes à part lire. Cela vise à améliorer la pratique de la langue française. C’était une demande des enseignants, mais cela marche très bien chez les enfants qui peuvent aussi lire des BD ou des mangas”, explique Véronique Lefrancq. Outre un investissement dans la rénovation d’une cour de récréation (25.000 euros), la commune a légèrement investi (22.000 euros par an) pour augmenter l’encadrement sur le temps de midi. “Comme un peu partout, ce sont des ALE qui s’en occupent, mais des enseignants sont désormais là en renfort.Quand vous mettez un ou deux professeurs dans une cour, les enfants font plus attention”, indique l’élue.

L’administration revalorisée

Les conditions salariales des travailleurs les moins bien payés de la commune seront revues à la hausse dès le 1er mars prochain. Il s’agit des agents au niveau le plus faible, le niveau E, et qui affichent neuf années d’ancienneté. Moyennant évaluation positive, leur niveau E sera intégré dans le niveau D. Concrètement: une cinquantaine de travailleurs sur les 300 que compte l’administration communale vont bénéficier d’une hausse de 80 à 200 euros nets selon leur situation familiale et leur ancienneté. La majorité a aussi décidé d’augmenter le second pilier de pension pour les contractuels qui passe à 2% en 2020 (contre 1%) et 3% en 2021.

“Il n’y avait pas eu depuis très longtemps une programmation sociale aussi ambitieuse. On a fait le choix d’affecter les moyens disponibles, tout en conservant l’équilibre budgétaire, de revaloriser les petits niveaux. On est parti du constat que certains travailleurs communaux étaient dans des situations qui en faisaient des travailleurs pauvres. On peut dire les choses telles qu’elles sont. Ils avaient un traitement qui leur permettait à peine de vivre”, indique le bourgmestre socialiste. Au total, les deux décisions signifient un coût annuel d’environ un demi-million d’euros pour les finances publiques.

Pauvreté, sécurité et logement

Les pensionnés peuvent désormais aussi bénéficier des chèques sport et la dotation du CPAS a été revue à la hausse. Elle est passée, entre le budget 2018 et le budget initial pour 2020, de 4,3 à 4,6 millions. “Le CPAS n’a jamais été aussi financé et cela est amené à évoluer selon les besoins. Il y a une paupérisation qui augmente au sein de la population. Le nombre de bénéficiaires est passé, entre 2015 et aujourd’hui, de 400 à 700”, explique l’échevin des Finances Khalil Aouasti (PS). En ce qui concerne les logements communaux, le montant annuel consacré à la rénovation du parc immobilier est passé de 25.000 à 300.000 euros.

Dans un tout autre registre, celui de la sécurité, un des axes forts de Philippe Pivin résidait dans la mise en place de nombreuses caméras de surveillance. Son successeur socialiste a décidé d’en moderniser certaines et d’en rajouter deux autres. Le nombre total de caméras s’élève désormais à 52. “On est aussi en train de procéder à des travaux de sécurisation des abords des écoles et des crèches. Je ne peux pas rentrer dans les détails, mais il s’agit d’éviter les intrusions. Il m’a semblé qu’à ces endroits sensibles et vulnérables, il fallait clairement mettre en oeuvre un audit, qui datait de 2016, mais n’avait jamais été mis en oeuvre”, indique Ahmed Laaouej.

L’abandon du projet CIRK

Si certaines politiques menées peuvent s’inscrire dans d’une relative continuité de l’ancienne équipe, tel n’est certainement pas le cas du projet CIRK. Porté à bout de bras par l’ancien maïeur libéral, le projet centré sur la pratique des arts du cirque a été purement et simplement abandonné juste avant le début du chantier. Le futur complexe de 3.000 m2 devait permettre à terme aux artistes de pouvoir s’entraîner, créer et échanger dans des conditions idéales. Le coût s’élevait à 10 millions d’euros, dont près d’une moitié supporté par Beliris et l’autre par la commune.

Pour la nouvelle majorité, le montage financier était problématique et mettait en danger la pérennité des finances communales. “Je pense qu’on n’avait pas la carrure financière. On a découvert là un gouffre financier”, indique la cheffe de file et échevine Ecolo Anne Tyssaen. À la place, l’arc-en-ciel prévoit de créer du logement et de l’activité économique (des bureaux par exemple). “On veut aussi aérer le quartier et mettre de l’espace vert”, précise Khalil Aouasti (PS), compétent pour le Logement.

Ecolo: mini-piétonnier, pocket parc et rue scolaires

Du côté d’Ecolo-Groen, l’ancien échevine, Tinne Van der Straeten, a fait partie des membres de la majorité qui ont contribué à faire de Koekelberg la première commune belge à déclarer l’état d’urgence climatique. Élue députée fédérale en mai dernier, celle-ci a démissionné pour respecter l’interdiction de cumul au sein de son parti. Les autres réalisations mises en avant par Ecolo-Groen sont la piétonnisation de la rue des Braves, la transformation en rue scolaire de l’avenue du Château, le projet d’un pocket parc rue Jean Jacquet et l’installation prochaine d’un appareil de mesure de la qualité de l’air.

“Cette appareil nous sera fourni par Bruxelles-Environnement. En fonction de ses résultats, il pourrait permettre d’encourager la création d’un maximum de rues scolaires. Il y a aussi un autre projet de rue scolaire rue des tisserands, tandis que le projet de pocket parc devrait donc voir le jour en 2020. Pour cette année, mon combat sera d’aider les habitants à sortir de la précarité énergique. On a déjà fait des consultations, mais je veux en faire davantage. Il s’agira cette année d’être le facilitateur pour que les gens obtiennent les primes régionales”, explique l’échevine de l’Environnement Anne Tyssaen.

“Gabegie et assemblage difforme”

Koekelberg fait sans conteste partie des communes où les relations entre la majorité et l’opposition, en tout cas son chef de file, sont les plus exécrables. Le premier conseil communal s’est d’ailleurs déroulé dans une ambiance particulièrement exécrable. Le chef de groupe de la LB, Lucas Ducarme, avait ainsi refusé de regarder et de serrer de la main du nouveau bourgmestre lors de sa prestation de serment. Un an plus tard, le libéral ne mâche toujours pas ses mots vis-à-vis de la majorité: “On ressent une autre façon de gérer la commune, une gestion complètement utilitariste. On voit ça chaque mois lors des séances communales; Il n’y a ni envie, ni imagination de la part de cette majorité qui est vraiment un assemblage difforme”.

“On compte dans cette majorité des anciens partenaires du MR qui ont été se vendre, parfois chèrement. Le sp.a a reçu la présidence du CPAS, Défi des mandats dans des para-communales et il y a le CDH qui, avec deux élus, se retrouve avec deux échevins. On se retrouve avec des gens qui s’associent juste pour le pouvoir. On observe aussi une main-mise du PS dans cet assemblage”, explique Lucas Ducarme. Pour lui, il y a une volonté manifeste de faire table rase du passé: “Ils ont arrêté le projet CIRK et jeté à la poubelle les cinq millions d’euros que Koekelberg avait obtenu auprès du fédéral. Le centre historique de la commune avait pourtant bien besoin de ce projet pour être dynamisé”. La décision de ne pas appeler Jacques Pivin le home du CPAS comme le souhaitait l’ancienne majorité ne passe pas non plus.

Le libéral évoque enfin un mépris général de la majorité envers l’opposition et une gestion financière inquiétante. “En 2018, on avait encore 2,3 millions de boni et le budget 2020 est seulement en positif de 92.000 euros! C’est de la gabegie! Ils ont commencé en engageant six collaborateurs politiques. Ce n’est pas anecdotique et cela a un coût important”, insiste Lucas Ducarme. Du côté de la majorité, on confirme le chiffre de 92.000 euros, tout en le nuançant. “Il compare les comptes et le budget, mais ce n’est pas la même chose. Les comptes seront sans doute plus élevés. plus globalement, à quoi ça sert d’avoir un tel boni, si c’est pour ne pas l’utiliser? “, réplique Khalil Aouasti.

Ahmed Laaouej assure, pour sa part, avoir allégé son cadre en renonçant à la BMW et au chauffeur de son prédécesseur et fustige l’accusation de mépris: “Dois-je rappeler que son premier acte politique a été de refuser de me serrer la main lors de ma prestation de serment? Je crois que, dans les annales de la politique belge, c’est plus que rare. Je pense qu’il s’est décrédibilisé dès le premier jour, mais c’est son problème. En tout cas, moi, aller dans son bac à sable ne m’intéresse vraiment pas”. De manière générale, les éventuels problèmes qui existent avec le MR se limitent surtout à son chef de file, assurent PS et Ecolo. “Il est insultant”, affirme Anne Tyssaen.

Quelles perspectives à court terme?

Parmi les projets encore prévus sous la législature, figurent notamment la création d’une maison de l’emploi, l’ouverture d’une antenne de quartier pour les agents de prévention dans le haut de l’entité ou encore le réaménagement de l’espace prévu initialement pour CIRK. La commune espère aussi obtenir, durant cette législature, un contrat de quartier pour la rue Jean Jacquet. “On voudrait installer six fontaines à eau potable avec l’aide de Vivaqua“, indique aussi Ecolo. Un projet de salle omnisport pourrait par ailleurs voir le jour si la majorité met la main sur des subsides régionaux. Mais cela reste actuellement très hypothétique.

Vient enfin, last but not least, le Belgian Chocolate Village. Il s’agit d’en faire un projet rentable ou en tout cas moins déficitaire. Ouvert en 2014 dans les bâtiments de l’ancienne chocolaterie Victoria, ce musée du chocolat a toujours été dans le rouge. Déjà réduit de 50.000 euros sous cette législature, le déficit annuel à charge des finances locales s’élève encore à 350.000 euros. Selon Ahmed Laaouej, le musée “n’était manifestement pas géré par le précédent administrateur-délégué”. Lequel n’était autre queLucas Ducarme. Ambiance donc.

Il reste désormais un peu moins de cinq ans à la coalition arc-en-ciel pour imprimer sa marque sur la commune et convaincre l’électeur en 2024 que former cette majorité était un bon choix. “C’est très chouette de travailler dans cette majorité. Il n’aurait pas été facile pour Ecolo de rentrer dans une majorité qui avait déjà l’habitude de fonctionner. On aurait été sur une voie de garage. Ici, il y a un vrai renouveau qui permet à chacun de nous d’appréhender le pouvoir et d’être sur un pied d’égalité. On a tous de l’ambition. On a renversé les libéraux. Maintenant, on doit prouver qu’on est bien à notre place”, conclut Anne Tyssaen.

Julien Thomas – Photo: Belga/Benoit Doppagne