Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (25 mars) : “Faut être courageux”

Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son  quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.

Mathis a 16 ans. J’ai l’impression d’être entré dans un épisode de Black Mirror, me confie-t-il ce soir. « On est surveillés, des drones nous interdisent de parler à nos copains dans les parcs, on ne peut pas se réunir ». Un mélange de Black Mirror et Walking Dead.

Roger Job, photographe, est passé au centre Botanique ce soir, pour faire des photos. Ce centre héberge en temps normal 300 hommes. Il est là pour enregistrer notre histoire. En 2020, on dirait plutôt la digitaliser.

  • Roger : Tu avais visité ce centre avant de postuler au Samusocial ?
  • Moi : Non
  • Roger : Je ne savais pas qu’un tel endroit existait à Bruxelles.
  • Moi : Tu en as vu d’autres, tu ne reviens pas de Syrie ?
  • Roger : Si, mais je ne savais pas qu’un tel endroit existait ici. Enfin, tes équipes sont incroyables. Faut être courageux pour travailler dans ces conditions. Ton coordinateur, Omar, il pourrait postuler au prix Nobel de la paix.
  • Moi : Sans doute, la force des hommes indispensables, c’est qu’on ne les remarque pas.

Alain Maron, ministre, est venu visiter notre centre à Poincaré avec un responsable du cabinet. Ce mot m’a toujours fait marrer : « cabinet ». Il me rappelle quand j’étais petit. Je me demandais pourquoi mon oncle, notaire, avait un cabinet. Ça me faisait peur à l’époque, en même temps que cela suscitait un rire nerveux, cette référence aux toilettes faite si sérieusement par le monde adulte.

Alain Maron s’est pris les angoisses de l’équipe. S’il y a une chose qu’on peut admirer au sein du staff du Samu, c’est sa franchise et sa transparence. En les regardant vider leurs émotions, j’ai soudain lu toute la fatigue du Ministre. Et senti son impuissance, autant que la mienne sans doute, à proposer des solutions concrètes. Le bateau des impuissants semble bien plein en ce mois de mars. On ferait presque le test de tomber les masques. Enfin, après une demi-heure, on a sorti Maron du feu. Il s’en est allé, fatigué. Dans ce combat, chacun fait ce qu’il peut avec ses armes. Mais c’est la qualité des armes qui pose problème, et non pas celle des hommes.

Pendant ce temps, les ONG continuent à parler et à bouger ensemble, sauf l’une ou l’autre, qui préfèrent jouer tout seul. On ne sait pas trop pourquoi. Sans doute parce que pour certains l’enjeu du plantage de drapeau prend le dessus sur l’action. Ou par peur de perdre un subside. On en revient toujours là finalement, foutus subsides.

Le Samusocial est-il un château fort ou un château de cartes ? Lundi, il s’en est fallu de peu qu’un coup de vent ne fasse s’effondrer l’ensemble. Une angoisse s’est emparée du personnel. Cela vient par vague ce genre de moments. Tout à coup, sans qu’on s’y attende, l’ensemble du staff semble prêt à démissionner. On pourrait croire au complot. Et pourtant cela ressemble plus à une influence des astres. Ou à une influence de l’anxiété environnante, augmentée par un week-end de réseaux sociaux qui débattent sur les courbes épidémiologiques, sur le nombre de décès ou sur l’augmentation du taux d’hospitalisation en soins intensifs. À moins qu’on ne discute de ces masques qui masquent le débat essentiel : celui de notre improvisation.

On pourrait aussi parler des tests insuffisants, seule arme à pouvoir détecter les positifs et les isoler. Surtout dans des environnements de dortoirs collectifs où les lits sont aussi rapprochés qu’au Samusocial.

Le château tient. Aucun staff n’est encore officiellement contaminé. Les recrutements continuent, mais déjà il nous faut nous préparer au confinement en 24 heures/24.

Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.

Photo : Roger Job/Samusocial