Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (11 mai) : “Quels changements pérenniser”

Chronique Samusocial - Kristof Vadino - 11052020

Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son  quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.

Il semble que la pente descendante de la courbe épidémiologique est bien amorcée. Le « flatten the curve » s’est donc traduit en réalité. On pourra toujours critiquer, évaluer, remettre en question, mais aujourd’hui la réalité de la courbe est là. De là à dire qu’à force de marcher droit on a infléchi la ligne, il n’y a qu’un pas…

Ce vendredi, j’ai eu l’occasion de visiter un de nos projets au parc Peterbos. Un lieu particulier, une somme de tours sans magie, trop souvent assimilées à une zone de non-droit. Un lieu chargé de souvenirs d’enfance. Dans ma tête, les blocs 3, 2 ou 6 résonnent même de manière poétique. Les deux femmes que le Samusocial a placées en hébergement depuis quelques mois au cœur de la tour numéro 3 ont des lumières dans les yeux. Pour elles, le Peterbos est synonyme d’un certains repos, tant attendu. Et ce malgré le sentiment d’insécurité du lieu la nuit. Ce qui ne se comprend que quand on a passé plus de trois ans dans nos structures d’urgence de Poincaré, de Rempart ou de Botanique. Elles font partie de ces personnes pour lesquelles l’hébergement d’urgence était une solution à long terme. Problématique classique de personnes sans papiers. Pourtant, aujourd’hui, après des années de patience, leur dossier semble enfin se débloquer.

La semaine a été marquée par la continuation des tests sur l’ensemble du personnel et des hébergés de nos centres touchés par le COVID-19. Si globalement, le dépistage s’organise relativement rapidement et efficacement, c’est l’analyse des résultats qui semble poser quelques problèmes. La plupart des tests demandent un numéro de registre national pour pouvoir être enregistrés au niveau fédéral. Or, la majorité de nos hébergés n’ont pas de papiers. Un détail administratif qui pose quelques obstacles nécessitant l’ingéniosité de l’ensemble d’une chaîne décisionnelle pour débloquer la situation.

Un rapport d’Antares Consulting qui analyse la gestion de crise au niveau international souligne d’ailleurs que, durant ces mois de crise, “l’innovation et la coopération ont permis d’activer rapidement des solutions qui, dans des conditions normales, n’auraient pas été possibles. Nous avons observé, dans un certain nombre de pays (…) une grande rapidité pour générer des innovations, et notamment grâce à une vision collaborative et multidisciplinaire“. À notre niveau également, l’esprit de coopération a ainsi souvent permis de lever les barrières qu’auraient pu poser certaines règles bureaucratiques, tout comme il a permis de ressusciter des idées qui avaient disparu du radar de nos réunions ou qu’on avait mises au congélateur.

“Ces innovations importantes ont été réalisées dans un contexte où les régulations se sont accélérées ou relaxées. Certains processus qui, en temps normal, se déroulent sur plusieurs années, ont été réglés en quelques semaines (comme la régulation de la télémédecine dans plusieurs pays)”, continue le rapport.

Aujourd’hui, la question de l’étape post-COVID est donc sur toutes les langues. Selon Antares Consulting, elle pourrait être temporelle, mais intense. Dans ce cas, il faudra sans doute continuer à appliquer les mesures et gérer la “tempête”, jusqu’à un retour plus ou moins rapide à l’avant. Selon d’autres, elle pourrait durer, être longue, très longue, mais de basse intensité. Dans ce cas, la réorganisation de certains services, comme l’aide aux sans-abris, devra évoluer dans la durée.

Au niveau du Samusocial, nous avons donc interrogé nos coordinateurs de centres ces derniers jours sur les opportunités qu’avait créé le COVID-19 en termes de qualité de l’accueil. Ou autrement dit, nous leur avons demandé quels seraient les changements qui s’étaient mis en place durant cette crise qu’ils voudraient voir se pérenniser. L’une des réponses qui revient fréquemment touche à la continuité de nos mesures d’hygiène. Pour eux, il est indispensable de poursuivre le nettoyage renforcé dans toutes nos structures et continuer à investir dans la sensibilisation à l’hygiène des hébergés et dans la promotion de la santé.

Une autre réponse, qui nous permettra aussi d’évoluer suite à cette urgence, touche au aux heures d’ouverture de l’ensemble de nos structures. Jusqu’à présent, un certain nombre de places, principalement les places hivernales, étaient ouvertes en 12/24, ce qui implique de réveiller les personnes sans abri tôt le matin, de les forcer à prendre leur petit-déjeuner rapidement et puis à quitter le bâtiment. Le confinement nous a permis de maintenir ces places ouvertes en 24/24. Depuis ce changement, nos équipes constatent un apaisement général de tensions entre hébergés (ils ont le temps), de tensions avec le voisinage (qui ne voit plus les personnes sans-abris attendre l’ouverture de nos centres sur les bancs du quartier). Ces réflexions sur un 24/24 seront examinés plus en profondeur avec les partenaires après la crise afin d’objectiver l’impact sur la qualité d’accueil et le bien-être des sans-abri.

La prochaine étape : se concerter avec les autres acteurs du secteur afin d’objectiver l’impact de la crise sur la qualité de l’accueil et le bien-être des sans-abris. Le COVID-19 aura révélé la forte solidarité entre les partenaires associatifs, il faut maintenant débattre sur les leçons tirées de cette crise.

► Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.

Photo : Kristof Vadino/Samusocial