Rue de la Loi : la fuite qui veut pousser Ecolo vers la sortie en Wallonie (J+76)

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

On croyait les négociations engourdies dans la torpeur estivale. Officiellement, une “pause” qui devait permettre aux informateurs fédéraux (Didier Reynders et Johan Vande Lanotte) et au formateur wallon (Elio Di Rupo) de plancher sur un document de synthèse (une note de préformation pour les premiers, l’ossature d’un accord de gouvernement pour celui qui préside les négociations wallonnes). Mais le mois d’août n’exclut pas les grandes manoeuvres, ni les coups tordus. Ce 9 août, le journal le Soir a donc pu prendre connaissance d’une note de négociation déposée par Ecolo en complément de la note coquelicot. Commentaires du journal et des quelques politiques qui ont souhaité réagir (et dont il n’est pas exclu qu’ils aient inspiré l’article) : “les Verts surenchérissent”. Cette note, qui d’après le journal n’aurait pas été prévue, irait “plus loin, plus fort que la note coquelicot”, trop loin, trop fort, interrogent les confrères qui y voient une potentielle stratégie des verts pour justifier leur sortie des négociations.

D’après mes informations, cette note ne date pourtant pas de ces derniers jours, comme le laisse entendre cet article. Elle a été déposée par les écologistes aux alentours de la mi-juillet (il y a donc déjà trois semaines). Surtout, elle répondait à une demande d’Elio Di Rupo qui souhaitait que les partis qui entraient à ce moment-là en négociations précisent leurs demandes. Et notamment vis-à-vis d’Ecolo, pour que l’on y aborde les points qui n’avaient pas déjà été rencontrés par la note coquelicot. En réalité, au-delà de la note coquelicot et de la note du Mouvement Réformateur, les négociateurs ont déjà engrangé de multiples documents, qui émanaient des groupes de travail ou des précisions que l’une des formations souhaitait faire connaitre à ses partenaires. La particularité de la note Ecolo est qu’elle se présente sous forme de synthèse alors qu’il existe plus d’une dizaine d’autres documents épars, glisse un négociateur.  Le statut de cette note et la date de son dépôt sont donc essentiels pour bien comprendre la séquence qui se joue sous nos yeux. Car conclure de ces 16 pages qu’elles seraient une preuve de radicalisation d’Ecolo qui chercherait à quitter la table des négociations relève davantage du commentaire que de l’analyse réelle du document. La seule certitude, c’est que les négociateurs écologistes ne font pas de la figuration et documentent leurs prises de position. Il semblerait d’ailleurs que ce document, au moment de son dépôt, n’ait pas particulièrement provoqué de remous au sein des négociateurs.

La fuite d’une note n’est jamais anodine (c’est de bonne guerre, et tous les journalistes, l’auteur des lignes y compris, en profitent) : il n’y a pas meilleur moyen pour torpiller un projet. Que la note sorte 3 semaines plus tard, quand les ténors sont absents, qu’elle soit isolée de son contexte et qu’on lui donne une valeur temporelle qu’elle n’a pas, relève du coup tordu. On le sait bien : Elio Di Rupo et Paul Magnette ont beau répéter qu’ils ont besoin des écologistes pour que la Wallonie penche à gauche, Jean-Luc Crucke a beau plaider pour leur présence au nom du défi climatique, il existe tant chez les rouges que chez les bleus, de solides inimitiés envers Ecolo. Chez les socialistes liégeois, parmi une majorité des cadres du Mouvement Réformateur, on préfère se passer d’Ecolo. Les auteurs de la fuite sont donc probablement à chercher de ce côté.

En faisant sortir ce texte dans la presse, les opposants à une tripartite wallonne viennent de marquer un point. D’abord parce qu’ils ont réussi à faire passer l’idée que les verts faisaient de la surenchère par rapport à la note coquelicot et prenaient leurs distances avec le pré-programme négocié avec les socialistes (ce qui est donc faux, mais puisque c’est écrit dans le Soir, cela restera). Ensuite et surtout parce qu’ils viennent d’écorner le peu de confiance qui pouvait exister entre les trois partenaires de négociations. C’est l’une des hantises des verts : se retrouver dans le même scénario que lors des précédents gouvernements arc-en-ciel, quand bleus et rouges tiraient à tour de rôles sur les écologistes et que tout (ou presque) se retrouvait dans les journaux. “À deux partenaires, quand il y a une fuite, vous savez que c’est forcément l’autre, cela oblige à une certaine loyauté. Quand on est trois, on vous dira toujours que c’est l’autre qui a fait la fuite et c’est infernal”, résumait il y a quelques semaines un écologiste hostile à une majorité où Ecolo ne serait pas indispensable. Les faits sont en train de lui donner raison. Et Jean-Marc Nollet, qui doit remettre son mandat de co-président en jeu dans un contexte aussi incertain, doit forcément y réfléchir.