Comment la pandémie de coronavirus va changer Bruxelles

Trottoirs trop étroits, manque d’espaces verts et des quartiers (trop) densément peuplés, l’urbanisme bruxellois s’est révélé peu adapté à la gestion de la pandémie de coronavirus et du confinement. Pourtant, pendant des siècles, les aspects sanitaires étaient des critères importants dans l’aménagement des villes. Alors que le déconfinement se poursuit progressivement, des initiatives d’aménagements temporaires et de création de zones résidentielles où les piétons et cyclistes disposent de plus d’espace de voiries fleurissent dans la capitale. La pandémie de coronavirus va-t-elle signer le retour de l’urbanisme hygiéniste à Bruxelles ?

Difficile à dire si la pandémie que nous vivons va influencer en profondeur la conception de Bruxelles à l’avenir. Cependant, nous pouvons le supposer en jetant un regard dans le rétroviseur. Il fut en effet un temps où les aspects sanitaires avaient un poids important dans l’aménagement des villes. “L’urbanisme comme discipline moderne est apparu au XIXe siècle, justement au moment des grandes pandémies” raconte Geoffrey Grulois, professeur à la faculté d’architecture de l’ULB et coordinateur du laboratoire LoUIsE (Laboratoire Urbanisme, Infrastructures, Écologies et Paysage). Pour lutter contre les maladies, l’idée est alors d’amener de l’air dans les villes grâce notamment à la création de grands parcs, de grandes avenues arborées et des habitats plus sains.

L’impact du choléra

L’exemple le plus important dans le domaine est le Paris du baron Haussman avec son grand boulevard qui a transformé le centre de la ville au milieu du XIXe siècle. Cependant, Bruxelles aussi possède toujours des signes de cette approche hygiéniste de l’urbanisme. “Dans les années 1860, il y a eu une grande opération d’urbanisme hygiéniste visant à lutter contre le choléra qui s’est traduite par la création des boulevards du centre et des places publiques avec la place De Brouckère, la place de la Bourse, le boulevard Adoplphe Max notamment et toute la couverture de la Senne. Dans la même logique, le quartier Léopold va être créé, puis les cités-jardins. Les logements sont aussi réfléchis pour être salubres, bien ventilés, bien éclairés naturellement” explique Benoît Moritz, architecte urbaniste et professeur à l’ULB. Mais à partir de 1950 et la démocratisation des vaccins, la question de l’hygiène et des aspects sanitaires vont progressivement disparaître des préoccupations urbanistiques. La réflexion se portera alors plus sur la mobilité (notamment sur les autoroutes urbaines) et sur la fonctionnalité des bâtiments, indique Benoît Moritz.

Vers un retour en arrière ?

Septante ans après leur progressive disparition, ces préoccupations hygiénistes reviennent aujourd’hui. Le confinement et la pandémie nous ont permis de voir Bruxelles différemment, justement avec ce point de vue sanitaire, et d’en tirer certaines leçons. “Dans la réglementation bruxelloise, un trottoir doit faire minimum 1m50 de large. Il y a plein de trottoirs qui ne sont donc pas adaptés aux mesures de distanciation sociale. Il ne faut pas forcément tout réaménager dans l’urgence, mais cela indique quand même que 1m50 ce n’est pas assez” pointe Benoît Moritz.

La pandémie et le confinement remettent aussi en avant l’importance d’avoir des logements décents. La situation de confinement a montré les fortes disparités qui existent dans ce domaine. Nous ne sommes pas tous égaux devant la qualité d’un logement ni l’accès aux espaces verts” indique Geoffrey Grulois. Si certaines notions de l’urbanisme hygiéniste du XIXe siècle ont largement leur place dans les réflexions concernant la ville de demain, il n’est pas question d’un retour en arrière. Il faut se rappeler que la création du boulevard Haussman à Paris s’est réalisée à grand coup d’expropriations et de destruction, insiste Geoffrey Grulois. Selon le professeur en urbanisme, il serait absolument impensable de remodeler la ville uniquement sur des critères hygiénistes simplement parce qu’ils ne sont plus les seuls à entrer en compte. Les enjeux sociaux et écologiques notamment sont à prendre en considération.

Pour Benoît Moritz, on retrouve aujourd’hui des notions de l’urbanisme du XIXe siècle avec effectivement ce désir d’air, d’éclaircissement de l’espace et d’amélioration de la circulation des personnes. Mais il rejoint Geoffrey Grulois : il n’est plus question de faire des grandes percées du tissu urbain comme à l’époque. En revanche, cela peut passer entre autres par la diminution de l’espace public dédié aux voitures. Les deux experts mentionnent l’exemple du bois de la Cambre, fermé à la circulation depuis plusieurs semaines pour laisser davantage de place aux piétons et à la mobilité douce.

Dans la capitale, l’urbanisme tactique est utilisé pour aider les piétons à respecter les mesures de distanciation sociale (grâce à des bacs à fleurs par exemple), des zones résidentielles voient le jour et des pistes cyclables sont créées.

Des aménagements a priori temporaires, mais qui pourraient bien s’inscrire profondément dans l’urbanisme de demain.

Emilie Eickhoff – Photo : Belga